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Entre deux mondes

Quelques pistes pour le monde d'après

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Dans l’incertitude qui désormais nous tient lieu de cap, se dessine toutefois une certitude : ce que nous vivons – et allons vivre – est indéchiffrable avec le logiciel du monde d’avant. Impossible d’inventer une nouvelle société humaine avec ces références-là ! Le défi avait été déjà posé lors de la première guerre du Golfe par Alain Hervé dans le mensuel « Le Sauvage » : « L’humanité vacille comme un bol de soupe trop plein, au bord de sa propre histoire. Allons–nous continuer d’accélérer, de fuir en avant : croissance économique, démographie, innovations scientifiques et techniques ? Au centre du cyclone, on attend, on retient son souffle, on attend une naissance » … En 1991, on ne parlait pas encore d’un monde d’après…

Aujourd’hui, un méchant virus a envahi le monde. Il a osé attaquer les humains. Il chamboule tout, partout sur la planète, faisant surgir la perspective d’un monde d’après. Pour lui donner du sens et la rendre opérationnelle, il faut en inventer le logiciel. Malgré les réticences, les résistances au changement, malgré l’inertie et la pression du confort, malgré les habitudes, malgré la désinformation de la plupart des médias qui insistent, implicitement mais lourdement, sur le « retour à la normale », malgré les « élites » qui interprètent les données de la science en fonction de leurs intérêts et de leur croyance en la toute-puissance de la technique et de l’économie, malgré tout cela, les lois de l’évolution nous obligeront à avancer dans une autre direction. Face aux forces nouvelles qui se développent, les humains sont sommés d’inventer une autre manière d’habiter le monde.

Variations d’échelles et mondialisation

Le « lointain » qui jusqu’alors nous confinait en même temps dans une curiosité et une indifférence aux désastres du monde, est devenu proche. Il est entré au plus près de chacune de nos vies. A l’instar des technologies de la communication, le virus est arrivé en vitesse accélérée et simultanée comme les news qu’on reçoit partout, venant de partout, à l’instant T. C’est sans doute cette diffusion planétaire accélérée et quasi simultanée qui a conféré à « la chose » sa super puissance.

Cette variation d’échelles qui privilégie le global aux dépens du local focalise sur la mondialisation dont finalement, on s’était peu soucié. Ni pour comprendre comment elle allait modifier notre perception du monde et de nous-mêmes, ni pour envisager quelles en seraient les conséquences spécifiques, écologiques, économiques, sociales, psychologiques… Le phénomène s’était produit. On ne voulait pas trop savoir. C’est si commode, l’ignorance… Pourtant la question de la mondialisation est en lien direct avec le virus, et sous beaucoup d’aspects. Comme elle est en lien, qu’on le veuille ou non, avec l’accroissement des inégalités, les menaces graves sur les ressources naturelles, et avec la question des libertés.

Aujourd’hui, on sait que dans toutes les sphères où se manifeste la vie, atmosphère, nanosphère, cosmosphère et jusque dans la technosphère, tout communique, tout est en résonance, tout est interactif et interdépendant. Même si cela ne se voit pas. Du fait de ces variations d’échelles, les interactions sont devenues exponentielles, et leurs effets associés, imprévisibles.

Juste un exemple avec ce qui se passe au niveau des micropolluants dans les eaux. Leur nombre et leurs effets associés sont en constante augmentation à cause, non seulement de la multitude croissante des éléments en présence, mais à cause du devenir mystérieux de leurs interactions. Comment maîtriser ce phénomène en lien direct avec la santé ? Ce sera un des nombreux problèmes à résoudre dans le monde d’après.         

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« Quelle dose de mondialisation l’Homme peut-il supporter ? » se demandait déjà en 2005 Rüdiger Safranski, ce philosophe allemand qui avait souligné le divorce entre le cercle des idées et celui des actions, l’abîme qui sépare l’universalité des abstractions théoriques et des idéaux proclamés dans les démocraties occidentales, et les limites et contraintes des réalités de terrain ; mais aussi la place toujours plus réduite des savoirs locaux dans le champ de la connaissance, les dangers de la pensée économique dominante, etc.  Pour lui, l’autonomie des territoires et des acteurs locaux et leur capacité à faire face à des situations concrètes seront des outils nécessaires à intégrer dans le logiciel du monde d’après. Son analyse nous incite à reconsidérer nos fonctionnements, nos déplacements, nos modes de consommation, nos relations interindividuelles et nos relations avec l’ensemble du Vivant. Il s’agira de réfléchir à comment habiter le monde autrement, comment rééquilibrer le savoir abstrait et théorique dominant par un savoir-faire adéquat. Et cela pour que la Terre continue à nous accueillir avec bienveillance.

Qu’est-ce que cela veut dire être un être humain ?

Cette deuxième question tout aussi importante et concrète  concerne notre existence en tant qu’être humain vivant parmi  huit milliards d’humains sur une même planète. Dans le logiciel du monde d’après, la question ne sera pas seulement d’habiter le monde autrement, mais de l’habiter autrement ensemble. 

Quel effet cela fait-il d’être un être humain ? avait demandé Le prix Nobel d’économie Amartya Sen, en ouverture du Troisième Forum sur le Développement humain, organisé à Paris en 2005 par le Président Jacques Chirac.

Pour cet économiste et philosophe indien, l’identité culturelle, le véritable fonctionnement démocratique et l’équité mondiale sont les notions-clés du « vivre ensemble ». Nul doute que ces questions soient à l’ordre du jour dans le logiciel du monde d’après.

Sa vision du développement humain consiste à percevoir les êtres humains en termes de bien-être et de liberté, ce qui diffère notablement d’une approche du développement qui se concentre sur les revenus, la richesse et les biens matériels des gens. En effet, pour lui comme pour de plus en plus d’économistes atterrés, le développement est d’abord humain ; et il s’inscrit dans une existence interactive.

C’est pour cela que les conditions de vie dans ce monde à la fois remarquablement prospère et parfaitement misérable devront être revues et corrigées. Comment sera-t-il encore possible – si nous devenons vraiment humains – de supporter que des millions d’enfants meurent de malnutrition et de maladies hydriques, que des millions d’adultes de pays dits pauvres, mais plein de richesses naturelles, soient en état de misère chronique, d’illettrisme, de maladie, de solitude, ou forcés à l’exil économique ou climatique, ou fuient des guerres liées à la volonté de puissance de dirigeants cruels ? Il sera sans doute nécessaire de s’insurger davantage pour changer ces états de fait inhumains du monde actuel.

La liberté de choisir son identité culturelle, le renouvellement de la vision démocratique, l’instauration d’un gouvernement de la discussion, le rôle du citoyen dans son pays, et sa compréhension de lui-même en tant que membre de l’humanité, ces questions devront être posées et traitées. De même que la question de la distribution des richesses sur le plan national comme international, ainsi que le problème des inégalités qui est au cœur des affrontements relatifs à la mondialisation. Toutes ces questions devront être reconsidérées.

Il ne faut pas oublier que ces contraintes et ces inégalités sont le fruit d’une idéologie de la domination qui sera difficile à anéantir. Tacite, sénateur dans un empire romain assoiffé de conquêtes, avait noté dans ses mémoires écrites au premier siècle de notre ère que « le désir de dominer est une passion dévorante qui étouffe tout sentiment ».

Alliance du sentiment et de la raison

Il faudra alors redonner au sentiment sa juste place, sa véritable portée, à savoir sa dimension de respect, de désir de justice et d’équité entre tous. C’est peut-être le sens que voulait donner André Malraux à cette phrase qui lui a été attribuée : le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. Autre sujet de réflexion qu’il faudra certainement approfondir, mais dont on peut percevoir déjà certaines directions.

Ce monde à venir doit s’ouvrir à une compréhension nouvelle de la Vie et du Vivant. La volonté de puissance et de conquête devra céder le pas à une vision bien différente. Les humains de ce monde à venir auront à développer une nouvelle conscience. Ils devront élaborer une raison qui tienne compte de la dimension sensible et spirituelle qui a habité les Hommes depuis le début des temps. La transcendance a toujours été un horizon nécessaire au développement de l’imaginaire, de la créativité, de l’intelligence et du cœur. Cet horizon sera à redécouvrir, à repenser et à revivifier.

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Marie Joséphine Grojean, Journaliste Nature et Écologie – Ecrivaine
Membre de l’Académie de l’Eau

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