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bébés génétiquement modifiés

Les Chinois auraient mis au monde deux bébés génétiquement modifiés par CRISPR

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Cette information ressemble à une escalade dramatiquement lourde de conséquences éthiques : un scientifique chinois affirme être à l’origine de la naissance de Lulu et Nana, deux jumelles dont il a modifié les gènes en ayant recours à l’outil CRISPR-Cas9. Des bébés génétiquement modifiés, une première mondiale que toute la communauté scientifique craignait et qui, si elle est avérée, représenterait un saut vertigineux dans l’inconnu.
 

Un scientifique de l’université de Shenzhen, en Chine, affirme qu’il a réussi à aider à faire naître les premiers bébés génétiquement modifiés du monde. Jiankui He a déclaré à l’Associated Press que des jumelles sont nées ce mois de novembre après qu’il ait modifié leurs embryons en utilisant la technologie CRISPR. La manipulation a consisté à retirer le gène CCR5, qui joue un rôle crucial dans l’infection cellulaire de nombreuses formes du VIH.

Confusion académique

La dépêche de l’Associated Press a été diffusée peu après un rapport publié plus tôt aujourd’hui par le MIT Technology Review selon lequel une équipe de recherche à la Southern University of Science and Technology utilise la technologie CRISPR pour supprimer le gène CCR5 et créer des enfants résistants au VIH. Le rapport de Technology Review cite des documents qui sont disponibles sur le site web du Registre chinois des essais cliniques (ChiCTR) (ici et ici). Le ChiCTR est un registre principal du Registre international des essais cliniques de l’Organisation mondiale de la santé.
 
Il est important de préciser que cette information ne fait pas encore l’objet d’une confirmation issue d’une entité indépendante de l’équipe du chercheur chinois, et qu’elle n’a pas non plus encore fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique à comité de lecture. Une information à prendre donc avec prudence mais qui semble néanmoins vraisemblable tant les bruits ont couru ces derniers mois de travaux de la recherche chinoise sur la modification de gènes humains par l’outil CRISPR-Cas9.

LIRE DANS UP : Un gène modifié par CRISPR introduit pour la première fois chez l’humain

Selon les documents publiés par le MIT TR, la recherche a été approuvée par le Comité d’éthique médicale du Shenzhen Women’s and Children’s Hospital. Son compte-rendu présent sur le registre des essais cliniques chinois indique également que le délai d’exécution de l’étude s’étend du 7 mars 2017 au 7 mars 2019, et qu’il s’adresse aux couples mariés vivant en Chine qui répondent à ses critères de santé et d’âge et qui sont disposés à suivre un traitement de fécondation in-vitro. L’équipe de recherche a précisé que son but était d’« obtenir des enfants en bonne santé pour éviter le VIH, en apportant de nouvelles perspectives pour l’élimination future des principales maladies génétiques des embryons humains précoces ».
Un tableau joint à l’inscription de l’essai dans le registre des essais cliniques chinois indique que des tests génétiques ont déjà été effectués sur des fœtus de 12, 19 et 24e semaines d’âge gestationnel. Il n’est pas avéré que ces grossesses comprennent celle qui a donné naissance aux jumelles, dont les parents souhaitent rester anonymes.
 
He Jiankui
 
Le scientifique a dévoilé la naissance des jumelles en même temps que la tenue à Hong Kong d’un important symposium international sur les risques éthiques liées à l’utilisation de CRISPR en santé humaine. Le chercheur adresse à ses pairs ce message : « Je ressens une forte responsabilité : ce n’est pas seulement de faire une première, mais aussi d’en faire un exemple. La société décidera de ce qu’il faut faire ensuite en autorisant ou en interdisant ce genre de science ».
 
La plupart des scientifiques ont réagi vigoureusement en apprenant la nouvelle. « Il s’agit d’une expérience déraisonnable… une expérience sur des êtres humains qui n’est pas moralement ou éthiquement défendable », a ainsi déclaré le Dr Kiran Musunuru, expert en édition génétique à l’Université de Pennsylvanie. « Si elle est vraie, cette expérience est monstrueuse », a déclaré Julian Savulescu, professeur d’éthique pratique à l’Université d’Oxford. « Les embryons étaient sains. Aucune maladie connue. L’édition génétique elle-même est expérimentale et est toujours associée à des mutations hors cible, capables de causer des problèmes génétiques tôt et tard dans la vie. »
 
Vraisemblablement dans une relation de cause à effet après les réactions scandalisées de la communauté scientifique, les responsables de l’université de Shenzen viennent d’annoncer ne pas être au courant des travaux de He Jiankui. L’université affirme même que ce chercheur était en congé sans solde depuis février 2018.  Elle s’empresse de condamner en se disant « profondément choquée » par ce qui s’apparente « à une sérieuse violation des normes de l’éthique académique ». L’université ne dit pas qu’il s’agit d’une fausse information mais jure ne pas être au courant de ces travaux. Cette dénégation ajoute à la gravité de la situation.
En effet, CRISPR Cas9 est un outil de manipulation génétique d’utilisation extrêmement aisée. Nous le répétons souvent dans les colonnes de UP’ Magazine, c’est cette facilité d’accès qui en constitue le plus grand risque. Avec la naissance qui semble avérée de ces deux jumelles génétiquement modifiées, nous serions donc en présence d’une action d’un chercheur isolé, hors de toute convention et encadrement académique.
 
Le chercheur chinois est un scientifique connu dans le petit monde de la génétique. Le pionnier de la génétique de l’université Harvard, George Church, témoigne que les déclarations de He Jiankui sont « probablement précises. J’ai été en contact avec l’équipe de l’université de Shenzhen et j’ai vu leurs données », précise-t-il à STATnews. Dans la même source, Le Dr George Daley, doyen de la Harvard Medical School, a déclaré qu’il avait invité He Jiankui à prendre la parole lors d’une conférence qu’il avait donnée en 2017 au Cold Spring Harbor Laboratory sur la modification du génome des embryons humains, des singes et des souris. Lors de cette séance, le chercheur chinois avait décrit la modification de l’ADN cible dans des embryons humains créés par fécondation in vitro, ce qui avait, selon lui, entraîné peu de modifications involontaires ( » effets hors cible « ).
 

Le tabou des bébés OGM

Ces technologies du vivant sont aujourd’hui sévèrement encadrées, voire interdites. Aux Etats-Unis, comme dans de nombreux pays européens, mais aussi en Chine, l’utilisation d’un embryon génétiquement modifié pendant la grossesse est interdite. Cette directive n’a pas empêché dès 2015 des scientifiques chinois de l’Université Sun Yat-sen de Guangzhou d’éditer pour la première fois les gènes d’un embryon humain à l’aide de la technologie CRISPR, qui leur a permis de retirer certains gènes en agissant comme des « ciseaux génétiques » très précis. Bien que d’autres scientifiques, y compris aux États-Unis, aient mené des recherches similaires, ce type d’expérimentations auraient été considérées comme particulièrement radicales si elles avaient effectivement porté leurs fruits. De nombreux scientifiques et éthiciens s’inquiètent de l’utilisation abusive de la technologie CRISPR pour perpétuer l’eugénisme ou créer des  » bébés design  » si elle est utilisée sur des embryons destinés à être portés à terme. Ce qui semble désormais être le cas avec la naissance des jumelles Lulu et Nana.
 
 
He Jiankui explique dans une vidéo promotionnelle en quoi a consisté son travail. Alors que les jumelles n’en étaient encore qu’au stade d’une unique cellule, il a utilisé les ciseaux CRISPR pour supprimer dans le code génétique, l’accès par lequel le VIH entre pour infecter un hôte. S’agissant de FIV, avant de réimplanter l’embryon, l’équipe chinoise a procédé à un séquençage du génome de l’embryon pour vérifier que la modification avait bien eu lieu. La grossesse s’est déroulée normalement mais a été suivie de près par les chercheurs de He Jiankui. Après la naissance, ils ont à nouveau séquencé l’ensemble du génome des jumelles pour valider que la chirurgie des gènes s’était bien passée et surtout qu’aucun gène n’avait été altéré autre que celui permettant de prévenir l’infection par le VIH. He Jiankui affirme qu’il n’a détecté aucune altération non voulue (off the target) ni aucun dommage collatéral. Ce point est important car CRISPR est souvent critiqué pour les effets collatéraux qu’il induit sur des gènes non ciblés à l’origine.

LIRE DANS UP : Dégâts collatéraux : CRISPR provoquerait des mutations génétiques inattendues

L’opération a donc, selon le chercheur, été un succès ; mais il n’en demeure pas moins qu’elle soulève d’immenses questions éthiques. Parmi elles, on retiendra que l’opération a consisté à modifier le génome de deux fillettes qui, elles-mêmes transmettront cette modification à leur descendance. Par ailleurs, l’intervention n’a pas été menée dans un but thérapeutique mais dans un but préventif : éviter que ces deux êtres ne puissent, un jour contracter le virus du sida. Cette expérience est le premier jalon d’une route que de nombreux scientifiques et spécialistes d’éthique craignent ne voir s’ouvrir. Celle d’un eugénisme où l’on ferait naître des bébés génétiquement modifiés, calibrés pour une multitude de raisons, allant du simple confort ou de la prévention de maladies à des motivations sociétales ou politiques, ombres cauchemardesques de populations formatées et calibrées.
 
 

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