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Le numérique peut-il sauver la France ?

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L’annonce au moment de la rentrée des classes d’un nouveau plan numérique pour l’école par le Président de la République rappelle indiciblement le rôle du numérique dans l’imaginaire collectif : c’est un symbole de modernité et de transformation. C’en est presque devenu une bouée de sauvetage, au moins pour le gouvernement actuel qui est bien mal au point dans l’opinion et la situation économique qui ne s’améliore pas. L’école va mal, allez, hop, on y met du numérique et du très haut débit et tout va s’arranger.

Dans les entreprises, c’est un peu la même chose. Les gourous de la communication et du marketing ont lancé la grande mode de la transformation numérique. Un terme valise qui veut dire tout et n’importe quoi, de l’intégration du web social au marketing en passant par les modifications managériales et organisationnelles induites par les usages numériques. Presque toute l’industrie du numérique, surtout des services, s’est emparée de ce sujet.

Liée assez intimement au numérique, l’open innovation est aussi à la mode dans les grandes entreprises, avec pour objectif de les sauver de la léthargie et de leur permettre d’innover pour se démarquer de la concurrence et de conquérir de nouveaux marchés. Rapidement.

Le train de Schumpeter est en retard

Comme je l’avais évoqué il y a un an au sujet de l’emploi, le numérique est une révolution schumpétérienne qui détruit beaucoup d’emplois traditionnels, notamment dans les classes moyennes, mais en créé insuffisamment dans des métiers bien rémunérés. Il a entrainé une automatisation qui n’a pas été compensée par la création d’activités dans d’autres domaines même si l’on entrevoit quelques perspectives dans le domaine de la santé ou de l’environnement et de l’énergie.

Même aux USA qui sont l’un des champions technologiques du numérique, l’équilibre est très défavorable. Les emplois dans les classes moyennes ont fondu comme neige au soleil, sous les coups de boutoir des délocalisations, de l’automatisation de nombreux métiers permise par le numérique et des soubresauts liés aux différentes bulles et crises financières. Les emplois à pourvoir sont soit faiblement rémunérés, en particulier dans les services, soit très bien rémunérés, dans la finance ou les technologies.

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Le Japon est logé à la même enseigne que les USA même s’il a réussi à réduire le processus des délocalisations de ses usines et de sa R&D. Il n’y a qu’en Chine, en Corée et à Taïwan où le numérique est un réel outil de croissance. Les technologies numériques pourraient contribuer sérieusement à diminuer la quantité de travail nécessaire pour l’ensemble de la population humaine. Au point même que les fondateurs de Google en sont à faire du Martine Aubry et à anticiper des semaines avec moins de 35 heures de travail ! Comme si le gouvernement Jospin avait été en fait ultra-visionnaire en anticipant cette transformation profonde de la société ! Visionnaire, peut-être, mais bien trop tôt. Un peu comme ces startups mal financées qui sortent des innovations bien trop tôt par rapport à la capacité d’absorption du marché ou plus simplement, l’état des infrastructures numérique comme la bande passante des télécoms.

En France, les politiques de sauvegarde de l’emploi ont encouragé ce phénomène de déclassement des emplois. Les emplois aidés d’une manière ou d’une autre sont pour l’essentiel ceux qui sont au niveau du SMIC ! Or ces emplois ont la particularité d’être liés aux services et pas aux industries qui font la compétitivité du pays. A l’autre extrémité du spectre, on aide un peu les emplois plus qualifiés, notamment avec la niche fiscale du Crédit Impôt Recherche. Mais elle ne couvre qu’une petite partie de ces emplois. Tout ceci est très bien expliqué dans “La France sans ses usines” de Patrick Artus et Marie-Paul Virard.

L’obligation de l’export

Pourtant, la poursuite de la numérisation du pays et de l’industrie sont des passages obligés. Il faut cependant faire la part des choses entre ce qui peut relever du rattrapage et ce qui peut développer de manière différentier la compétitivité économique du pays. Parfois, on a un peu tendance à confondre les deux.

Les récents débats générés par les socialistes “frondeurs” et autres Montebourg sur une relance de la consommation à l’ancienne en “redistribuant du pouvoir d’achat” démontre l’incompréhension des enjeux économiques du pays. Ce genre de relance par la demande est bien vaine car ce pouvoir d’achat que l’on veut distribuer, on ne l’a pas puisque le pays vit collectivement déjà au-dessus de ses moyens. Avec ou sans relance du pouvoir d’achat, la compétitivité économique ne change pas d’un iota. Celle-ci ne dépend pas de la demande intérieure.

Réduire la dette et le déficit passe soit par la vente de nos actifs soit par l’amélioration de notre balance commerciale. Ce dernier moyen est le seul, à terme, de rembourser une dette qui est détenue à majorité par l’étranger.

La raison pour laquelle le niveau d’endettement actuel est dangereux est simple : avant, le déficit public pouvait peu ou prou être absorbé par l’inflation, la planche à billets et la croissance. La dévaluation du franc permettait d’améliorer notre compétitivité à l’export tout en renchérissant le cout de nos exportations.

Aujourd’hui, les politiques publiques ne permettent plus de contrôler deux de ces trois leviers : l’inflation est très faible voire négative et les dévaluations compétitives ne sont plus permises du fait de l’Euro. Reste la croissance, mais pas n’importe quelle croissance. Il ne suffit pas d’augmenter le PIB. Il faut impérativement améliorer notre balance commerciale.

Sortir de l’Euro n’arrangerait rien si, dans le même temps, la compétitivité intrinsèque du pays ne s’améliorait pas. Il n’y a donc pas beaucoup d’autres choix économiques aujourd’hui que l’amélioration de la compétitivité et de notre balance commerciale. Les économistes s’accordent pour dire qu’il faut un juste équilibre entre une compétitivité coût et compétitivité hors-cout, celle qui passe par l’innovation et un ciblage plus haut de gamme de nos offres. Le numérique peut aider à améliorer ces deux pans de la compétitivité du pays.

La question numéro un du numérique pour “sauver la France” d’un point de vue économique est donc directement liée à l’amélioration de notre balance commerciale. Cela devrait en être une obsession, notamment au niveau des politiques publiques. Il y a eu de bons changements d’attitude comme par exemple au Quai d’Orsay, plus tourné vers la vente de “l’entreprise France” qu’avant. Modulo le passage éclair de Fleur Pellerin sur ce thème et la grosse bourde de la démission de Thomas Thévenoud, éphémère secrétaire d’Etat au commerce extérieur !

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Dans le numérique comme ailleurs, les stratégies industrielles de nature protectionnistes ne fonctionnent pas. L’erreur numéro un, c’est de se tourner en priorité sur notre marché intérieur, qui pèse moins de 3% du marché mondial dans le numérique. C’est le cas du fameux “cloud souverain” qui a mené à la création de Cloudwatt et Numergy. Ces deux sociétés accumulent les travers de l’innovation à la française pilotée par les grandes entreprises et l’Etat et en particulier un actionnariat et une gouvernance incompatibles avec l’esprit de conquête de marché qu’elles devraient avoir. Et conquête hors de France, pas juste pour rassurer celles des entreprises françaises qui ont peur, pour des raisons certes justifiées, de placer leurs données dans les data centers de sociétés américaines du cloud. Ce cloud souverain a presque autant de chances de succès que l’idée de créer un moteur de recherche à la française, lancée en 2005 avec l’initiative Quaero.

Le numérique doit contribuer à modifier l’équilibre actuel entre services et industrie, dans l’ensemble des secteurs d’activité. Les services développent bien l’économie intérieur mais en général, pas assez les exportations. Il vaut ainsi mieux avoir des entreprises françaises – même avec des usines distribuées dans le monde – qui exportent que des grands de la distribution ou du service implantés à l’étranger. La raison est simple : ils rapatrient beaucoup moins de devises en proportion de leur chiffre d’affaires. Le poids de l’innovation dans leur activité est aussi moindre.

Nos industries numériques à l’export

Dans les industries numériques, la balance commerciale est nettement déficitaire. Presque tout le matériel informatique et numérique utilisé dans le grand public et les entreprises est importé, essentiellement d’Asie et des USA. Cet équilibre s’améliore doucement grâce aux éditeurs de logiciels qui arrivent à générer de la croissance : 11% de croissance en 2012 sur un CA total de 8 Md€ dont un quart à l’export d’après le dernier baromètre Syntec Numérique, ce qui donne environ 800m€ de CA incrémental. Celle-ci compense les baisses de chiffre d’affaire de grands industriels franco-étrangers qui battent parfois de l’aile (CA de Alcatel-Lucent = environ 14 Md€, ST Microlectronics = environ 5 Md€, Technicolor = environ 3 Md€). Ces dernières sociétés restent stratégiques pour notre industrie. Ainsi, ST Microelectronics, s’il est mal en point dans certains domaines, reste le leader mondial des MEMS, ces nano-composants et capteurs que l’on retrouve dans presque tous les objets connectés. Les CA cumulés de ces trois acteurs et des éditeurs de logiciels est à mettre en regard du marché des loisirs numérique en France, qui était de 15 Md€ en 2013 selon GFK.

Le marché des télécoms représente un poids encore plus important : 38 Md€ de CA en France. L’impact sur la compétitivité française de ce secteur peut se mesurer de trois manières : par la qualité des infrastructures haut débit fixes et mobiles, par leur rapport qualité prix et par l’activité internationale des opérateurs. Autant la France avait pris un peu d’avance avec le déploiement de l’ADSL et du triple-play, autant maintenant on est plutôt à la traine dans le très haut débit. L’objectif est de rattraper ce retard d’ici 2020. Pour le dernier point, jusqu’à présent, chez les opérateurs français, seul Orange avait une activité internationale significative. Elle représente un peu moins de la moitié de son CA d’environ 45 Md€. Donc, en théorie, Orange ramène des devises en France. Iliad pouvait devenir un acteur international si son acquisition de T-Mobile allait jusqu’au bout.

Nous devons avoir la même lecture pour le marché de la santé ou celui des séniors. L’or gris ! Certains vont le voir sous l’angle des services “locaux”, notamment les services à la personne et leur intermédiation. D’autres devront compenser cela par une approche plus industrielle, tournée vers l’export : dans les biotech, les medtechs et la e-santé !

Quid des startups qui deviennent internationales ? A ce jour, il y en a assez peu qui franchissent la barre des 50 m€ de CA. On peut surtout citer le cas exemplaire de Criteo. Certaines sont prometteuses comme dans le secteur des objets connectés (Withings, Parrot, Netatmo, Sigfox). L’enjeu pour nos startups est de créer des entreprises rapidement mondiales bien solidement implantées en France, notamment côté R&D. Le financement y joue un grand rôle évidement. On peut noter que, pour une fois, la puissance publique a amélioré la donne. Ainsi, Bpifrance a pu investir des tickets significatifs dans Withings, Sigfox ou Voluntis (dans la santé) dans le cadre de levées de fonds de plusieurs dizaines de millions d’Euros, du presque jamais vu chez nous ! Sans compter la belle levée de fonds de 73 md€ de Blablacar, cette fois-ci avec uniquement des investisseurs privés dont le prestigieux Index Venture.

Dans les aides à l’export, les entreprises peuvent s’appuyer sur les réseaux de français à l’étranger ainsi que sur Ubifrance. Cette structure est souvent décriée par les entrepreneurs et pourtant, ses services peuvent mettre le pied à l’étrier à bon nombre d’entrepreneurs, souvent de TPE et PME. Qui plus est, elle peut rendre service dans tous les pays et notamment en Asie, pas seulement aux USA ou en Europe.

Au risque de me répéter, les analyses économiques sur le positionnement trop “milieu de gamme” de l’industrie française négligent souvent une lacune française : la dimension vente, marketing et communication dans la vente des technologies. Elle est liée à une culture d’ingénieurs et de chercheurs pas assez en osmose avec la culture des business schools. Heureusement, la situation s’est bien améliorée ces dernières années avec les rapprochements entre les filières, avec le développement des filières entrepreneuriales dans nombre de cursus, puis celui des incubateurs et autres accélérateurs.

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