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Que pensent les penseurs ?

Après les attentats du 13-Novembre, que pensent les penseurs ?

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Depuis ce malheureux vendredi  13 novembre, la société française s’est retrouvée, brutalement, dans un épisode de son histoire qui marquera sans nul doute un profond changement. Nous vivons une mutation qui nous trouble et nous interroge.  Comment la comprendre ? La France peut s’enorgueillir de ses intellectuels ; ils ont, pour nombre d’entre eux, été des phares de la pensée mondiale. Qu’en est-il aujourd’hui ? Où sont passés les intellectuels ? Que nous disent-ils ? Silence assourdissant ou provocation, certains discours semblent  à contretemps des changements du monde. Revue de détail.
 
« L’histoire est un cauchemar dont il faut se réveiller » nous dit James Joyce dans son Ulysse. Le cauchemar, les français, mêlés au monde, l’ont vécu ce vendredi 13 novembre. Depuis ce moment, les choses ont changé, tout a changé. Passé l’effroi des images relayées ad nauseam sur les chaînes d’information, c’est une nouvelle société française que nous avons découverte. Celle des fleuves de larmes, poings serrés, se serrant sur les lieux des attentats, celle des minutes de silence interminables et lourdes de sanglots, celle des Marseillaise, devenues en une poignée de seconde le tube mondial de 2015, entonné partout, celles du drapeau tricolore devenu emblème mondial, couvrant les murs des grands monuments de la planète comme ceux des amis de Facebook, celle du mot longtemps tabou, « guerre », décliné et redécliné sur tous les tons.
 
Quelque chose d’étrange et de fort est en gésine depuis une semaine. Peur mêlée au réflexe de sursaut et de résistance, union nationale voire sacrée autour de mesures que jamais on n’aurait cru qu’elles pussent être prises par un gouvernement de gauche, retour d’un sentiment patriotique qu’on avait cru tombé dans les oubliettes de l’histoire ; ce vendredi 13-novembre marque une date ou rien semble ne plus pouvoir être comme avant.
 
Devant la violence de cette mutation, le désarroi et l’incompréhension font partie de la normalité nous disent les psychologues et psychanalystes accourus à notre écoute. « On ne se remet jamais d’un tel événement, on le traverse, puis on surmonte lentement la douleur. C’est pourquoi il est inutile d’asséner aux gens des phrases du genre : «Vous devez faire votre deuil.» Le deuil, c’est un travail qui se fait seul, c’est le remplacement de l’histoire traumatique par la mémoire » nous dit la psychanalyste Elisabeth Roudinesco. Elle poursuit, nous confiant un vademecum : « Il faut cultiver l’esprit de résistance face à la tyrannie et à la barbarie et savoir que c’est la guerre. Il faut se souvenir de ceux qui ont su résister au nazisme et au fascisme et ne pas céder à la haine de l’autre. »
Guerre, encore une fois le mot est lâché. Il expliquerait et justifierait tout. On cherche alors, chez les grands intellectuels qui aiment si volontiers se pavaner dans les fauteuils médiatiques, des éléments de réponse. Help ! Mayday !
 
Silence assourdissant, troué de quelques exceptions, qui prennent la forme d’orages de fin d’été plutôt que de pensée forgée.
Ecoutons donc, dans le silence de la pensée, quelques murmures épars.
 
Résistances
 
S’il est un mot qui revient souvent dans ces temps troublés, c’est bien celui de Résistance. Les français seraient ainsi « entrés en résistance ». Non pas celle de la deuxième guerre mondiale, non ; une forme nouvelle de résistance qui ne requiert pas d’actions violentes ou de faits d’éclats. La résistance serait simplement de vivre normalement.
Le philosophe Vincent Cespedes parle de « néo-résistance », estimant ainsi que « c’est une forme de résistance nouvelle que d’aller dans les cafés. Ce n’est pas résister comme lorsqu’on prend les armes ou le maquis, c’est une néo-résistance, adaptée à un nouveau terrorisme« . Pourquoi néo-résistance? Parce que, comme il l’expliquait au Huffington Post, « elle s’adresse à la nouvelle génération, parce que nous avons de nouveaux moyens de la mettre en œuvre – les réseaux sociaux notamment – et parce que nous sommes entrés dans une nouvelle ère ».
 

Edgar Morin
 
Edgar Morin en appelle aussi, d’une autre façon, à la résistance. Au nom de l’humanité qui est en nous : « Nous devons résister aux barbaries […]. Cette résistance me rend vivant. La force qui m’anime vient d’une certitude. Je sens présente en moi l’humanité dont je fais partie. Non seulement je suis une petite partie dans le tout, mais le tout est à l’intérieur de moi-même. C’est peut-être cela qui me donne l’énergie de continuer sur la voie qui est la mienne. Et à un moment donné, sans que vous ne sachiez pourquoi, c’est comme une catalyse, quelque chose se passe, se transforme, bascule… C’est cela, l’espoir ».
 

Abdennour Bidar
 
Cette résistance, il faut aussi l’appliquer à la tentation de l’amalgame et celle de fustiger les communautés musulmanes.  Le philosophe spécialiste de l’Islam, Abdennour Bidar, lance dans Libération un appel vibrant : « Consciemment et inconsciemment, [Daech] est la proie de forces radicalement antihumanistes, qui cherchent à l’entraîner et à nous entraîner dans une sorte d’apocalypse. Les humanistes du monde, musulmans compris, doivent tous coopérer et associer leurs forces de résistance, d’urgence, à ce scénario de folie. »
Il poursuit, « Il faut résister tous ensemble à ces mécanismes psychologiques où l’on cherche à nous entraîner, et pour cela ne pas se tromper d’ennemi : il est extérieur. Ne tombons pas dans le piège de l’ennemi intérieur qui désignerait le musulman, l’immigré, le réfugié, qui vit ici. Ne laissons pas les terroristes nous rendre ennemis de nous-mêmes. Ils savent qu’à eux seuls, ils ne peuvent pas nous vaincre, alors ils tentent d’utiliser contre nous nos propres tentations de discorde. »
 
Dans la même veine, Tahar Ben Jelloun en appelle, lui aussi, à une forme de résistance, celle des musulmans, qui prendrait le slogan « Pas en mon nom » : « Plus que jamais, les pays musulmans, ceux qui croient à l’islam de paix, ceux qui croient à la fraternité monothéiste, doivent se mobiliser, car on a volé et violé leur religion, au nom de laquelle on massacre des innocents. Réagir en masse, provoquer un «Printemps de l’islam», un islam renouant avec ses siècles de lumière et du savoir. Dire et crier: «Pas en mon nom.» Revenir à l’éducation, à la pédagogie quotidienne et lutter pour remettre les valeurs à leur place ».
 
Accepter la guerre
 
D’autres voix se font entendre pour nous inciter à fuir le déni de réalité. Oui, nous sommes effectivement en guerre ; il faut l’accepter et en tirer les conséquences.
Bernard-Henri Lévy affirme ainsi dans La règle du jeu : « Appeler un chat un chat. Et oser formuler ce mot terrible de « guerre » dont c’est la vocation, le propre et, au fond, la noblesse en même temps que la faiblesse des démocraties de le repousser aux limites de leur entendement, de leurs repères imaginaires, symboliques et réels. […]Consentir à cet oxymore qu’est l’idée d’une République moderne tenue de combattre pour se sauver ».
 

Bernard-Henri Lévy
 
Qui dit guerre, dit appel à un comportement d’exception. L’historien Jean-Noël Jeanneney nous rappelle dans Le Monde aux leçons de l’histoire et au devoir de courage : « C’est donc bien du côté de guerres définies comme telles qu’il faut aller quérir des leçons, pour mettre en garde radicalement contre les illusions trop confortables : celles des concessions de la lâcheté. »
 
Dans une de ses chroniques, Renée Fregosi, philosophe et directrice de recherche en science politique,  nous met face à nos responsabilités qu’oblige une situation de guerre : « Osons prendre la défense d’une démocratie qui s’éprouve dans la pratique quotidienne incertaine et imparfaite, plutôt qu’elle ne se projette dans un avenir radieux cauchemardesque. Osons défendre Alain Finkielkraut et répliquer à voix haute, ne nous replions pas dans une « société qui murmure » comme le redoute lucidement Boualem Sansal  ».
 
Toutefois, l’historien Pascal Ory remet les choses en perspective et définit dans un article qu’il signe dans le Monde, ce qu’est cette guerre. Pour lui, « le terrorisme est la guerre de notre temps, parce que la planète où subsistent encore les guerres classiques (l’Afrique, l’Asie et, en pont sur les deux, le Proche-Orient) y frappe la planète pacifiée (l’Occident, exceptionnellement privé de guerre classique depuis 1945), mais aussi parce qu’il réalise la conciliation tant rêvée par tant d’intellectuels humanistes entre l’individualisme extrême, cher à l’Occident, et la fusion absolue, chère aux nostalgies fondamentalistes. C’est, en effet, un individualisme « radical ». Dans le temps, il opère la synthèse de deux figures historiques aujourd’hui, du coup, un peu datées : celle de l’homicide politique et celle du militant totalitaire ».
Cette guerre nouvelle nous oblige à réviser nos valeurs.
 
Révision des valeurs
 
C’est l’idée que développe Luc Ferry dans Le Figaro : « Lorsque les islamistes qu’on appelle, pour ne choquer personne, des «terroristes», se tuent eux-mêmes, lorsque le sacrifice de leur propre vie est dédié à la haine et à la mort, que peut-on faire contre eux ? Ils n’ont pas peur de mourir, ils pensent servir une cause sacrée, leur religion leur promet mille paradis et c’est dans l’allégresse qu’ils se font exploser. On a beau leur faire la guerre au Mali ou en Syrie, déployer nos forces de police et de renseignement sur le territoire français, leur hostilité se situe d’abord dans les esprits et dans les cœurs. Croit-on sérieusement que c’est seulement avec des bombes qu’on pourra en venir à bout? L’urgence, c’est d’abord et avant tout de lutter chez nous contre les multiples lieux d’endoctrinement, mais aussi de réviser nos propres modes de pensée. »
 
 

Raphael Glucksmann
 
C’est sur ce terrain que nous emmène Raphael Glucksmann en nous appelant à nous ressaisir : «La terreur de Daech peut nous faire perdre nos valeurs, il faut sauver la part de France qui est en nous», affirme-t-il. «Nous sommes à un moment de redéfinition de la société. […] Or on ne peut pas s’adonner à notre phobie, sinon on termine le travail de Daech. Il faut nommer le mal et reprendre la définition de qui on est. Reprendre notre récit national attaqué et qui n’est plus naturel», indique l’écrivain pour qui Daech n’est ni «une religion, une culture ou une civilisation».
 
La guerre que nous menons est une guerre des valeurs, une guerre des idéologies. C’est ce que pense mezza voce André Comte-Sponville. Il refuse dans une interview l’assertion selon laquelle on affirmerait que les auteurs des attentats n’ont rien à voir avec l’Islam. « Ils ont un point  commun avec l’Islam, c’est qu’ils sont musulmans » explique-t-il, de même que l’Inquisition était pratiquée par des chrétiens ajoute le philosophe. Pour lui, qui se définit comme athée, les responsables des religions ont un rôle à jouer dans la défense des valeurs humaines. « Dès lors que cette guerre n’oppose pas des Etats, mais des idéologies, il faut aussi mener le combat sur le terrain des valeurs ».
 
Sur ces thématiques, le consensus est donc clair. Un consensus tiède, qui ne gêne pas et qui a pour vocation d’apaiser les esprits et d’orienter autant que faire se peut les actions à venir. En revanche, à partir du moment où les penseurs se mettent à chercher des responsabilités, à trouver des causes à la situation, les propos dérapent très vite.
 
Responsabilités
 
Le coup de tonnerre le plus bruyant vient de Michel Onfray, l’un des plus connus de nos philosophes contemporains, auteur de plusieurs dizaines de livres dont beaucoup sont des succès de librairie. Onfray n’a pas attendu pour porter sa voix. A  1 h 20 du matin, la nuit des attentats de Paris, pendant que les secours s’affairent encore et que toutes les forces de sécurité sont sur les dents, une heure à peine après l’intervention martiale du président de la République nous apprenant que nous sommes en guerre, à ce moment singulièrement brûlant, il publie un tweet fracassant :
 
 
Le lendemain matin, samedi, dans une interview donnée au Point, il poursuit sur sa lancée. Les tueurs encore en cavale de Daech semblent fasciner le philosophe. « Ils ont une vision de l’Histoire contrairement à nous (l’Occident) soumis à un matérialisme trivial et aux mafias de l’argent« .
Michel Onfray admet que nous sommes en guerre. Mais cette guerre, dit-il, c’est nous qui l’avons commencée avec Georges Bush. Le journaliste du Point essaie de l’émouvoir : « mais les gens de Daech ont tué des innocents chez nous ! ». Réponse du philosophe : « nous aussi, nous avons tué des innocents« . Nous n’obtenons donc que ce que nous méritons. D’ailleurs s’insurge Onfray, « de quel droit les appelons-nous des barbares ? ». Selon le philosophe, ils sont comme nous. Ils font à la disqueuse ce que nous faisons avec des drones« .
Et Michel Onfray de conclure sa diatribe : « Il y a chez  les Français une ferveur sans objet ». Une manière de dire, relève Maurice Szafran dans un article au vitriol publié dans Challenges, que chez les tueurs de Daech, la ferveur dispose, elle, d’un objet.
 

Les propos de Michel Onfray repris, le 21 novembre, dans une vidéo de propagande de Daech
 
Ces propos de Michel Onfray ont suscité un tollé venu d’horizons les plus divers. Bernard-Henri Lévy écrit : « Et quant à l’éternelle culture de l’excuse qui nous présente ces escadrons de la mort comme des humiliés, poussés à bout par une société inique et contraints par la misère à exécuter des jeunes gens dont le seul crime est d’avoir aimé le rock, le foot ou la fraîcheur d’une nuit d’automne à la terrasse d’un café, c’est une insulte à la misère non moins qu’aux exécutés. »
 

LIRE SUR UP’ : Michel Onfray : tchao crétin

Caroline Fourest dans sa chronique du Huffington Post laisse éclater sa colère n’hésitant pas à parler de « refrain de collaborateurs » : « C’est donc notre faute si l’on nous tue parce que nous aimons l’égalité, la laïcité et la liberté d’expression. Notre faute si nous nous défendons pacifiquement quand on menace nos droits. Et militairement quand on nous déclare la guerre.
Ces rengaines ne sont pas seulement immorales. Elles arment les terroristes. Elles facilitent leur recrutement. Elles nous désignent comme cible. Ce sont des refrains de collaborateurs, de supplétifs, qui font le jeu d’une propagande visant à nous détruire ».
 
Tariq Ramadan lui-même, le sulfureux penseur de l’Islam, sans commenter directement l’article de Michel Onfray, tient dans La Tribune de Genève, des propos qui s’élèvent contre un discours cherchant à trouver des responsabilités partout et in fine, nulle part : « Pour autant nous devons tous, nous tous, du Nord au Sud, en Occident comme en Orient, refuser de nous penser en victimes. Victimes de l’autre, responsables de rien. Partout, malheureusement, on retrouve cette attitude un peu lâche et très émotionnelle. «Ce n’est pas nous, cela n’a rien à voir avec l’islam, c’est l’Occident le responsable… Ils n’aiment pas l’islam et rejettent les musulmans.» Ces propos faisant écho à: «Ces musulmans nous colonisent, ils ne respectent pas nos valeurs, ils veulent nous convertir, refusent de s’intégrer et détestent nos libertés.» Dans ce nouveau monde, plus personne n’est donc responsable du chaos justement. Si telle est la réalité, il n’y a donc plus d’espoir ».
 
La faute de l’Occident
 
Les propos de Michel Onfray cherchant à faire porter la responsabilité du terrorisme à un monde occidental décadent, sans repère, trouve des échos chez d’autres penseurs. Il s’agit d’une antienne que l’on a déjà connue au moment des attentats du 11-septembre. A cette époque, Jean Baudrillard, l’éminent intellectuel français, expliquait dans son ouvrage Power Inferno que, pour comprendre la haine contre l’Occident, il faut renverser les perspectives : « Ce n’est pas la haine de ceux à qui on a tout pris et auxquels on n’a rien rendu, c’est celle de ceux à qui on a tout donné sans qu’ils puissent le rendre. Ce n’est donc pas la haine de la dépossession et de l’exploitation, c’est celle de l’humiliation. »  Sous cet éclairage, le 11 septembre n’est alors rien d’autre qu’une revanche par l’humiliation contre l’humiliation.
Baudrillard pensait que l’illusion d’extirper le terrorisme comme mal absolu deviendrait une absurdité et un non-sens car il est le verdict et la condamnation que notre société porte sur elle-même.  Alain Minc, situé à un point cardinal opposé dans la réflexion politique, ne disait pas autre chose en écrivant ans son livre Ce monde qui vient que, par le terrorisme, ce n’est pas tant la haine des non-occidentaux envers l’Occident qui menace la société occidentale, que la « détestation de l’Occident venue du plus profond de lui-même ».  Dès lors, les sociétés occidentales ne peuvent être « en guerre » contre le terrorisme.  En effet, il ne s’agit pas, pour nos sociétés, de combattre l’ « autre » mais de lutter contre une partie d’elles-mêmes.
 

Bertrand Stiegler
 
C’est dans le prolongement de cette idée que s’éclairent les propos d’un autre intellectuel, Bertrand Stiegler, qui réagit aux attentats du 13-novembre dans Le Monde. Pour lui, « ce n’est pas de guerre contre Daech qu’il s’agit, mais de guerre économique et mondiale, qui nous entraînera dans la guerre civile si nous ne la combattons pas ». Il ajoute, « Les attentats du 13 novembre sont des attentats-suicides, et ce n’est pas anodin : le suicide est en voie de développement dans le monde entier, et en particulier auprès d’une jeunesse qui sait qu’elle sera au chômage pendant très longtemps ».
 
Pour Stiegler, le terrorisme trouve ses racines dans le monde que l’Occident offre. Philosophe ayant fondé son œuvre sur la technicité, Stiegler affirme que  « la stratégie des GAFA [Google-Amazon-Facebook-Apple], ne peut qu’étendre leur écosystème et intensifier la colonisation de l’Europe : faire exploser les transports, l’immobilier, l’éducation, toutes les filières, via de nouveaux modèles type Uber. Or cette pratique disruptive détruit les équilibres sociaux – ce que [le philosophe allemand] Theodor W. Adorno anticipait en parlant dès 1944 de « nouvelle forme de barbarie » à propos des industries culturelles ». Il poursuit « Ce n’est pas en déclarant la guerre à Daech que cela s’arrangera. Cette déclaration n’est qu’une manière de se débarrasser de ses propres responsabilités en faisant porter le chapeau à des gens devenus extrêmement dangereux et que nous avons coproduit avec Daech ». Il conclut ses propos : « On ramène le radicalisme à une question de religion, et c’est scandaleux. La plupart des recrues de l’islam radical n’ont pas de culture religieuse. Ce n’est pas de religion dont il s’agit, mais de désespoir ».
 
Ces positions reprennent une rhétorique constante. Elles sont à rapprocher du discours récurrent sur le conflit israélo-palestinien, sur le terrorisme islamique, et à un degré moins dramatique, sur les crises de nos banlieues et nos problèmes d’intégration. Alain Finkielkraut s’insurge, à cet égard, dans le Figaro contre «l’ethnocentrisme de la mauvaise conscience de l’Occident».
 
On s’habitue à tout
 
Dans un autre registre, on relèvera la prise de position singulière par le ton d’un autre intellectuel vénéré et controversé à la fois : Michel Houellebecq. L’auteur de Soumission se livre dans Il Corriere de la Serra  (traduction) à une violente attaque contre les gouvernants actuels qui mènent le docile peuple français à la guerre : « On s’habitue, même aux attentats. La France va résister. Les Français sauront résister, même sans étaler un héroïsme exceptionnel, sans même avoir besoin d’un «déclic» collectif de fierté nationale. Ils résisteront parce qu’on ne peut pas faire autrement, et parce qu’on s’habitue à tout. […] Contrairement à ce qu’on pense, les Français sont plutôt dociles et se laissent gouverner facilement, mais cela ne veut pas dire que ce sont des complets imbéciles. Leur défaut principal pourrait se définir comme une sorte de superficialité incline à oublier, et cela signifie qu’il faut périodiquement leur rafraîchir la mémoire. La situation déplorable dans laquelle nous nous trouvons est à attribuer à des responsabilités politiques précises ; et ces responsabilités politiques devront, tôt ou tard, être passées au crible. Il est très improbable que l’insignifiant opportuniste qui occupe le fauteuil de chef de l’État, tout comme l’attardé congénital qui occupe la fonction de Premier ministre, pour ne pas mentionner ensuite les «ténors de l’opposition» (LOL), sortent avec les honneurs de cet examen ».
 

Michel Houellebecq
 
Sous couvert de soutenir le peuple abandonné par les élites politiques, Houellebecq le trahit une seconde fois par une forme de justification du terrorisme.
 
 
A l’issue de cette revue, prise à chaud, pendant la semaine qui a suivi les attentats du 13-Novembre, on est frappé de la nature des réactions des penseurs patentés sur la mutation que nous vivons. Devant les événements, les réactions des intellectuels sont encore de l’ordre de l’émotion, de la pensée immédiate. On peut déplorer avec le philosophe Jean-Luc Nancy qu’à la place d’une pensée à la hauteur de la situation, « retentissent des éclats suspects, des dérives mal identifiées et du battage à tout va, donneur de leçons tous azimuts. Ça fait débat, ça fait photo, ça fait du bruit ». Il ajoute dans son article paru dans Libération: « Mais il ne faut pas s’y tromper. Il faut savoir écouter le silence et regarder ce qui ne se montre pas ».
Nous sommes sans nul doute au cœur d’une mutation de la société ; une mutation ample qui va durer. Une mutation que nul ne pourra saisir qu’après coup. Mais, ajoute Jean-Luc Nancy, « il est possible, il est nécessaire de penser selon cet horizon ou cette ligne de fuite. Cela n’empêche pas de penser au présent. Au contraire ».
 
 

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