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Facebook désamour

Big Tech : le big désamour.

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Nous n’avons plus le même regard sur eux. Facebook, Twitter, Amazon, Apple, Google et autres géants de la Silicon Valley sont devenus des entités monstrueuses par leur taille démesurée, leur puissance financière parfois supérieure à celle de certains États, la fortune insolente de leurs jeunes dirigeants ; des sociétés parfois vieilles d’à peine une décennie mais capables d’une influence incontrôlable sur des milliards d’individus, soufflant le chaud et le froid sur des pans entiers de l’économie. Souvenez-vous il n’y a pas si longtemps, le monde s’extasiait devant ces « startups » dont les fondateurs, tout juste teenagers, en jeans et teeshirts, voulaient changer le monde. Un romantisme qui n’est plus d’actualité, à l’heure d’une prise de conscience brutale des États, des médias et des utilisateurs sur la nature de ces plateformes. Partout autour du globe, les géants du net inquiètent et sont mis en accusation, sommés de s’expliquer, de modifier leurs modèles. Comment comprendre ce retournement si rapide et brutal, ce désamour, cette perte de confiance, voire ce rejet ?
 
Quand en 2004 Mark Zuckerberg crée à Harvard son réseau social Facebook, il a une vision : changer le monde et la relation entre les individus. Quelques années auparavant, en 1997, quand le moteur de recherche inventé par Sergueï Brin et Larry Page prend le nom de Google, personne ne pouvait imaginer que vingt années plus tard, cette invention serait utilisée pour plus de 90 % des recherches sur Internet. Quand en 1996 Jeff Bezos lance son site de commerce de livres Amazon, qui aurait prédit qu’il deviendrait la première fortune du monde ?
 

Changer le monde

Des premières heures de ces startups à aujourd’hui, leurs technologies ont changé le monde. Chaque nouvelle vague technique augmentait l’accès à la connaissance et la productivité. Chaque innovation faisait apparaître des plateformes encore plus simples d’utilisation, plus pratiques, rendant encore plus de services. Qui pourrait aujourd’hui imaginer surfer sur internet sans l’aide Google ? Qui peut prétendre, en toute sincérité, se passer d’un smartphone ? Comment concevoir d’arracher un adolescent au réseau de ses amis Snapchat ou Facebook ? Que se passerait-il si Twitter n’existait plus ? On n’ose penser à ce que deviendrait Donald Trump…
 
Ces technologies ont favorisé le développement économique et dans une grande mesure l’essor de la mondialisation. De nouvelles activités sont nées autour d’elles, l’économie du numérique s’est imposée presque partout. Des pléiades de nouvelles sociétés, de nouveaux modèles, de nouvelles applications, de nouveaux usages sont apparus comme les fleurs dans une prairie printanière. Grâce à ces technologies, il a semblé à beaucoup que le monde devenait meilleur. Et nombreux sont ceux qui croyaient dur comme fer qu’il en serait toujours ainsi.
 

Premières fractures

Et puis est arrivée l’année 2016. Trois fractures majeures ont commencé à ébranler les certitudes les mieux établies. Cette année-là, pour la première fois, les smartphones sont devenus la première plateforme de diffusion des contenus, dépassant les bons vieux PC. Tous les contenus possibles pouvaient ainsi toucher des milliards d’individus, directement, partout, à tout moment. A partir de cet instant, les plateformes comme Facebook ou Google, suivies par une multitude de marchands, de médias, de porteurs de bonnes ou mauvaises nouvelles se sont autorisé à des opérations dignes des meilleurs techniques de propagande : notifications incessantes, tracking des utilisateurs, variabilité des contenus en fonction des destinataires, gaming, etc. Une politique d’addiction massive des utilisateurs s’était mise en marche.
 
La deuxième fracture est d’ordre géopolitique. 2016 c’est notamment l’année de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et celle du Brexit. A ces occasions – et ce sera confirmé pour les élections qui interviendront en Europe et particulièrement en France – le monde s’aperçoit que Facebook influence la démocratie. 126 millions d’Américains auraient ainsi été exposés, via Facebook, à des messages produits par des officines russes pour peser sur le scrutin. Des scientifiques révèlent que Facebook conférait plus d’impact aux messages négatifs qu’aux messages positifs. Dès lors, des régimes ou des organisations politiques à tendance autoritaire encouragent une politique répressive. On l’observe partout dans le monde et plus particulièrement en Asie. L’automatisation qui a été la clé de rentabilité des plateformes a révélé son effet pervers : une exposition incontrôlable aux risques de manipulation par des acteurs extérieurs aux intentions malveillantes. Les organisations terroristes, et plus spécifiquement Daech, avaient très tôt perçu la brèche et inondé les réseaux de leur propagande et manœuvres de recrutement.
 

Brain hacking

Incapables de filtrer avec efficacité les contenus malveillants, les plateformes font en revanche preuve d’ingéniosité pour créer des batteries de filtres destinés à orienter les messages vers des catégories ciblées de leurs utilisateurs. Se créent alors des bulles idéologiques qui façonnent des réalités numériques dans lesquelles les convictions se font plus rigides si ce n’est extrêmes. On voit ainsi apparaître l’ère des « fake news », la généralisation des convictions liées aux théories du complot, au déni des vérités scientifiques les plus établies comme le changement climatique. Les cerveaux sont rigidifiés par l’immersion dans ce maelström d’informations douteuses, à tel point qu’un ancien responsable de l’éthique chez Google, Tristan Harris, parle de « brain hacking », piratage des cerveaux.
Le plus tragique est que ces effets déviants ne sont pas nécessairement délibérés. Les « bulles idéologiques » sont l’enfant monstrueux des algorithmes nécessaires au fonctionnement des plateformes. Quand un réseau comme Facebook doit traiter des dizaines de millions de mises à jour de contenus par jour, il ne peut le faire qu’avec des algorithmes. Ceux-ci ont une tendance qui leur est « naturelle » : simplifier imperceptiblement leur horizon de recherche en empêchant de considérer les idées nouvelles pour privilégier plutôt les différentes facettes d’idées anciennes. C’est ainsi qu’ils fabriquent automatiquement des préjugés, des contenus fossilisés qui sont pris pour des opinions dominantes et des réalités du monde.
 
La troisième fracture est celle des revendications de plus en plus officielles du contrôle des données personnelles collectées par les plateformes. Facebook est gratuit, comme tant d’autres innovations de l’ère numérique. C’est ce qui en fait leur succès exponentiel. Mais en réalité rien n’est jamais gratuit. En contrepartie de leur utilisation de Facebook, les utilisateurs donnent leurs informations les plus personnelles. Et c’est cela qui a un prix, que les géants du net ont très rapidement appris à monnayer. C’est ce qui fait leur colossale fortune. Aujourd’hui Google et Facebook drainent plus de 88 % de la manne publicitaire en ligne. Leurs algorithmes sont si puissants, leur audience si massive que la concurrence semble impossible.  
 

La pluie et le beau temps

Forts de cette puissance immense, les géants du net peuvent faire la pluie et le beau temps sur tout leur écosystème. Quand Facebook, sous prétexte de chasser les fake news et de revenir à ses « fondamentaux » de réseau social, chasse les médias de ses fils d’actualité, c’est tout un secteur économique qui se retrouve sur le point de basculer. De la même façon, quand Apple décide de modifier les règles de ses applications, ce sont des milliers d’entreprises qui doivent s’adapter ou périr.
Les géants du web seraient-ils devenus trop gros ? Sont-ils dangereux ? « Ne nous laissons pas dévorer » s’alarme Roger McNamee cofondateur d’Elevation Partners un des investisseurs de référence de la Silicon Valley.
Une ligne de fracture apparaît et avec elle l’augmentation de la prise de conscience des risques que soulèvent ces plateformes. Si l’on ajoute à ce revirement les critiques liées à l’incivisme de ces géants qui échappent à l’impôt, aux risques sur la santé publique que peut faire porter l’addiction aux réseaux et aux machines numériques, à l’obsolescence programmée révélée au grand jour, on arrive à une situation inévitable. La magie ne fonctionne plus, le charme est rompu. Sylvie Kaufmann parle dans le journal Le Monde d’ « honneur perdu des Big Techs », de désamour et de moment Frankenstein. Ce moment où les créatures dépassent leur créateur.
 

Point d’inflexion

Les États vont devoir prendre en main le problème et réguler les activités des opérateurs du net. L’époque de la liberté et du développement sans frein semble révolue. David Autor, professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology, qui ne peut être taxé d’anti-technologisme de base, déclare au Guardian : « Nous sommes peut-être à un point d’inflexion où nous cessons de nous réjouir de plus en plus de nos champions de la technologie et devenons plutôt réalistes sur le fait qu’ils sont des entreprises à but lucratif comme tant d’autres avant eux. Ils créent d’excellents produits, ce qui est impressionnant. Mais leurs intérêts ne sont pas intrinsèquement civiques. Je ne leur en veux pas pour ça. Mais il est de la responsabilité du gouvernement, des régulateurs de la politique de concurrence et des citoyens attentifs de veiller à ce que ces acteurs non étatiques importants soient incités à se comporter de manière éthique ».
 
Ce besoin d’éthique prend une dimension majeure quand on observe le développement fulgurant de l’Intelligence artificielle. Google et Facebook y prennent une avance considérable. L’enjeu est d’ordre public. Les innovations qui viennent vont détruire des millions d’emplois, changer les règles de la vie privée, modifier en profondeur les modèles d’appréhension de la santé et construire un autre rapport des citoyens au monde. Dans son discours prononcé à Davos le 24 janvier dernier le Président français Emmanuel Macron appelle à prendre garde à ce que notre monde ne passe pas de celui de Schumpeter avec sa destruction créatrice à celui de Darwin avec sa loi du plus fort. Il prédit : « On doit aussi penser la régulation sur le plan des principes des grands acteurs internationaux du numérique et des innovations. Il y a des déstabilisations financières […]  mais il y a aussi des déstabilisations dans nos sociétés liées à l’innovation technologique. On n’a aujourd’hui pas le cadre pour les penser, à quel moment on va décider de stopper des innovations parce qu’il faudra le faire à un moment donné. À quel moment on va dire l’intelligence artificielle on met une ligne rouge parce que ça disrupte pour le coup non pas des vieux systèmes productifs mais notre rapport à la liberté individuelle, au respect des droits privés, parce que ça met en cause l’intégrité de l’humain et du vivant, il y a des sujets philosophiques et de principe qu’on va se poser ».
 
Régulation, ligne rouge, respect des droits. Les grands mots sont lâchés. Le temps des GAFA est vraiment en train de changer.
 

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