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RSE

De la RSE à la transformation des business models

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Lorsque l’on mentionne la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), la réaction est parfois un grognement, parfois un gémissement. Le plus souvent, poussées par des impératifs de performance et de retour sur investissements, les entreprises produisent une perception négative des initiatives de RSE, en interne comme en externe.
Cécile Renouard, Directrice du programme de recherche « Entreprises et développement des Pays Emergents» (CoDEV) au sein d’ESSEC IRENE, s’appuie sur son expérience de recherche sur le terrain avec des multinationales pour proposer des pistes d’analyse et de résolution des dilemmes éthiques. Elle propose de s’engager dans une transformation des business models.

De la “RSE” aux “Responsabilités d’entreprise”

Il y a en fait des perceptions divergentes de ce qu’est la RSE d’un pays à l’autre. En Inde, par exemple, on exige des entreprises qu’elles dépensent 2% de leur profit dans des activités de RSE, sans une définition stricte de la nature de ces activités (philanthropie, etc.). La Commission Européenne définissait en 2011 la RSE comme «la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société». L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié des directives pour que les multinationales contribuent au progrès économique, environnemental et social en vue d’atteindre un développement durable. Les Nations Unies ont développé un ensemble de principes pour les entreprises et les Etats : la méthode « Protéger, respecter et remédier ». Pour les entreprises qui s’engagent dans des conduites éthiques, ces lignes directrices les aident à garder le cap.
 
Cependant, ces directives qui relèvent de la “soft law” n’ont pas encore été traduites en des lois nationales et internationales. Par ailleurs, de nombreux dilemmes éthiques dépassent le simple respect de la loi, des normes ou des règlements. En termes de politique fiscale, par exemple, les pratiques de prix de transfert, souvent légales, peuvent sembler illégitimes lorsque les entreprises déplacent leurs profits vers des paradis fiscaux et réduisent le montant des impôts payés dans les pays où elles opèrent. Pour gérer de tels dilemmes, les entreprises doivent se forger une vision de leurs responsabilités au sens large.
 
La notion de responsabilité est liée à une réflexion sur ce qu’est une entreprise, d’un point de vue philosophique. L’argent ne représente qu’une facette de l’entreprise. Une entreprise est un groupe de personnes qui a un impact sur l’environnement dans lequel il opère. Par ailleurs, il y a un malentendu général stipulant que les actionnaires sont propriétaires de l’entreprise, alors qu’en réalité, la loi distingue le fait de détenir une part et celui d’être propriétaire d’une entreprise. Sous cet angle, une entreprise est un projet qui doit être financé par le profit, mais qui doit aussi – en tant que corps et personne morale – être en phase avec l’intérêt public. Une entreprise n’est pas un simple acteur de l’économie mais est, à bien des égards, une institution politique au sens de l’ancienne cité grecque polis, c’est-à-dire le « vivre-ensemble ». C’est là que réside le sens de ses responsabilités, et plus précisément de sa responsabilité politique de collaborer à un projet de société.

Analyser et mesurer son impact sur la société

Les responsabilités sont liées aux impacts : la gestion de chaque responsabilité suppose de minimiser les impacts négatifs et de maximiser les impacts positifs sur les parties prenantes. Les mesures d’impacts relèvent d’une multitude d’approches. Le programme de recherche Entreprises et Développement des Pays Emergents (CODEV) de l’ESSEC IRENE à l’ESSEC Business School applique aussi bien des méthodes qualitatives que quantitatives (Une alternative aux méthodes RCT (contrôles aléatoires) utilisées par les groupes pharmaceutiques) pour analyser et mesurer l’impact d’une entreprise multinationale sur ses parties prenantes – et plus spécifiquement sur les populations autour des sites de production où elles opèrent, au Nigéria, en Indonésie, en Inde et au Mexique, comme détaillé ci-dessous :
– L’impact sociétal de Total dans les régions d’extraction pétrolière du Delta du Niger, Nigéria (2008-2014)
– L’évaluation d’un projet de Danone visant à renforcer l’autonomie de chiffonniers en Indonésie : gérer la multiplication des déchets plastiques et lutter contre la pauvreté (2011-2014)
– Le projet de Veolia à Nagpur, Inde : Les Partenariats Public-Privé et l’accès à l’eau dans les pays émergents (2011-2012)
– Michelin en Inde : Risques de réputation et juridiques autour d’un site industriel (2012-2015)
– Danone au Mexique : Mesure de l’impact social du Projet Pepenadores de Danone (2013-2015).
 
Ces études permettent de dire que les initiatives de philanthropie ne fonctionnent pas : il n’est pas suffisant de donner des livres et des aides matérielles, comme ont pu le faire des compagnies pétrolières dans le Delta du Niger. Ce qui est efficace, c’est le Développement avec un grand D – c’est-à-dire le Développement des capacités au sein des populations concernées, en termes de comportements et de compétences. Cela suppose une participation aux différents projets, impliquant les personnes, en leur donnant les moyens d’évoluer et de prendre conscience de leurs capacités afin qu’elles soient actrices du changement. L’impact d’une entreprise sur la société est aussi un impact sur les relations des personnes entre elles. Lorsque l’on analyse l’impact d’une entreprise sur son environnement, on remarque que les relations sociales sont souvent affaiblies. Il est essentiel pour une entreprise de créer des relations sociales, des liens et une cohésion sociale durable au sein des communautés où elle opère. Ceci suppose de changer d’état d’esprit et prendre le temps d’étudier comment peut être aidé le développement local – non pas à court-terme, comme c’est si souvent le cas, mais sur le long-terme. Les entreprises ne devraient pas redouter la complexité des problématiques de développement auxquelles elles font face, surtout dans les pays émergents. C’est une leçon que l’entreprise Danone, par exemple, a dû apprendre sur le terrain, quand elle essaya de mettre en place un programme de développement en Indonésie, qui s’est montré peu adapté à l’environnement informel dans lequel il devait s’insérer. D’autres projets de Danone ont quant à eux mieux fonctionné au Brésil et en Argentine.

Transformer les business models

Ce regard sur les responsabilités nous invite à voir les parties prenantes non pas seulement comme des fournisseurs ou clients directs, ou comme les groupes sociaux autour d’un site de production, mais comme différents groupes affectés par les opérations tout au long de longue chaîne de valeur à laquelle ils appartiennent, depuis les producteurs jusqu’au consommateur final. Ceci met les entreprises face à des défis « politiques » tels que l’éducation, la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique, la réduction de la pauvreté, etc. Il ne s’agit plus de projets locaux menés à une échelle très limitée, pour un petit nombre de personnes, mais d’une nécessaire transformation des business models, c’est-à-dire une transformation profonde de la stratégie, de la production, du marketing, de la finance ou encore de la chaîne logistique. Notre économie (et la majorité de nos lois) a été créée à une époque où l’on pensait que les ressources étaient inépuisables. Remplacer l’homme par des machines semblait aussi être une bonne idée, essentiellement pour améliorer le niveau de vie. Mais ces concepts ont été fondés sur des principes qui aujourd’hui semblent faux : il n’y a plus « toujours assez de terre à partager » comme l’avait déclaré John Locke. Il n’y a pas non plus un stock illimité de pétrole et de gaz.
 
La transformation de nos business models est une problématique pour la société dans son ensemble. Est-il possible d’arrêter de dire que l’accroissement du PIB créé de meilleures conditions de vie ? Certes, notre modèle économique a amélioré les conditions de vie d’une partie du monde – le monde industrialisé – mais de manière générale, la qualité de vie des générations futures a été mise en danger et la majorité des personnes pauvres sont marginalisées. Par conséquent, si nous voulons changer, il est peut-être temps de considérer la manière dont nos modèles économiques contribuent aux problèmes de notre temps et réfléchir au fait que la prospérité est atteignable en mettant l’accent sur d’autres aspects tels qu’une plus faible consommation, la sobriété et la modestie dans notre approche de la croissance et du profit.
 
Ce ne sont pas seulement les géants multinationaux qui sont concernés. Les petites entreprises aussi : non seulement à cause de l’effet domino qu’ont les géants sur la chaîne avec les PME, mais parce que beaucoup de petites entreprises sont motivées, plus agiles et plus flexibles pour faire les choses rapidement. Pocheco, le leader français de la fabrication d’enveloppes, est un excellent exemple d’une petite entreprise qui s’est montrée capable de remédier à ses difficultés tout en s’engageant dans la RSE : une vision commune pour des relations éthiques avec les employés et les ratios salariaux, et une stratégie axée sur des produits naturels de qualité, avec un impact environnemental positif. L’entreprise est profitable, tout en respectant les règles et les autres parties prenantes. Cela donne espoir.

De ceux qui doutent, de ceux qui ont peur…et les leaders

Dans la lignée de cette responsabilité politique, les entreprises doivent aussi travailler avec les législateurs pour s’assurer que la transformation des business models est menée à la même vitesse pour tous, au niveau global. La collaboration avec les institutions nationales et internationales est essentielle pour assurer un changement d’envergure. Une entreprise – qui utilise son pouvoir et son influence tout en étant soutenue par la loi et les règlements – peut en effet avoir un excellent impact sur le futur. Le leadership est naturellement composé de ceux qui souhaitent aller de l’avant, ceux qui sont cyniques, et ceux qui restent dans l’entre-deux, peut-être par peur, peut-être par doute du rôle que devrait jouer la RSE dans les entreprises et l’économie moderne. C’est dans ce contexte qu’un leadership efficace, courageux et éthique au sein d’une entreprise peut faire toute la différence. Ceux qui ont peur, ou doutent, suivront des leaders courageux et créatifs qui ont une vision positive du futur.
 
Cécile Renouard, Directrice du programme de recherche «Entreprises et développement des Pays Emergents» (CoDEV) au sein d’ESSEC IRENE
 

LIRE AUSSI DANS UP’ : Rencontre avec Cécile Renouard

 
Publications de Cécile Renouard :
 
Ethique et entreprise, 2013 + pocket, 2015
L’entreprise au défi du climat, 2015 – Avec Frédéric Baule et  Xavier Becquey
 

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