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Métaux stratégiques : comment s’affranchir de notre dépendance ?

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La transition énergétique, favorisée par les énergies renouvelables doit en théorie permettre aux États d’être « moins dépendants d’un cercle restreint de pourvoyeurs de ressources ». Dans les faits, l’accélération de la transition vers un système énergétique bas carbone s’accompagne de nouvelles vulnérabilités liées à la disponibilité de ressources dites « critiques » (1). Il resterait dans le monde, en l’état actuel des réserves, 18 ans de chrome, 20 ans d’étain, 30 ans de nickel, 33 ans de manganèse, 38 ans de cuivre, 60 ans de cobalt… L’offre n’étant pas extensible à l’infini, leur rareté interroge sur la dépendance à venir de certains pans de notre économie, et de notre pays en général, surtout depuis la crise des terres rares, en 2011, qui a réveillé cette conscience.
 
La transition énergétique, qui vise à substituer aux énergies fossiles des énergies renouvelables, dévoile peu à peu que, si sa production se nourrit de vent, de courant et de soleil, cette énergie n’est pas pour autant gratuite. D’après une récente étude de l’OCDE, la consommation de métaux devrait passer de 7 à 19 milliards de tonnes par an d’ici 2060 : l’utilisation de matières premières devrait pratiquement doubler dans le monde d’ici à 2060, accompagnant l’expansion de l’économie mondiale et l’élévation des niveaux de vie, ce qui exercera sur l’environnement une pression deux fois plus forte qu’aujourd’hui.
Guillaume Pitron dans son livre « La Guerre des métaux rares » (2) rappelle qu’en nous libérant de la dépendance aux hydrocarbures qui ont alimenté la première révolution industrielle, nous devons nous préparer à une dépendance accrue aux métaux. Et que, là non plus, les réserves ne sont pas infinies.
 

A quoi servent les métaux stratégiques ?

Produits par un nombre restreint d’entreprises ou de pays, pour des usages de haute technologie, peu ou pas substituables dans leurs utilisations, ce sont là les caractéristiques principales des métaux dits « stratégiques », jugés actuellement comme indispensables dans le domaine industriel, la recherche sur les énergies renouvelables et la high tech. Ce sont également des métaux possédant des caractéristiques économiques et géologiques particulières : « technologiques » puisqu’ils sont principalement utilisés dans les nouvelles technologies appliquées à l’électronique, la défense et la  transition  énergétique ; une certaine rareté car ce sont des métaux dont la production est faible en comparaison des métaux dits « de base » que sont le fer, l’aluminium ou le cuivre. À titre de comparaison, presque deux  milliards de tonnes de fer ont été produites en 2016 contre seulement 250 tonnes de béryllium. 
 
Ces métaux permettent de produire une électricité propre. Ils font tourner les rotors des éoliennes ; ils transforment les rayons du soleil en courant par le biais des panneaux photovoltaïques. Ils possèdent de nombreuses autres propriétés chimiques, catalytiques et optiques qui les rendent indispensables à une myriade de technologies vertes ; ils piègent les gaz d’échappement dans les pots catalytiques de véhicules ; ils embrasent les lampes à basse consommation ; ils conçoivent les matériaux industriels plus légers et plus robustes que jamais.
 
Par leurs propriétés semi-conductrices, certains métaux modulent les flux d’électricité transitant dans les appareils numériques ; ils sont à la base des smartphones et de tous les capteurs qui environnent notre quotidien.
 

Une transition énergétique très gourmande en métaux stratégiques

L’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) a indiqué en 2015 que pour une même quantité d’énergie produite, les éoliennes et centrales solaires nécessitent jusqu’à 15 fois plus de béton, 90 fois plus d’aluminium  et 50 fois plus de cuivre et de fer que les centrales de production utilisant des combustibles fossiles traditionnels. Les éoliennes terrestres de 6 mégawatts, hautes de 170 mètres, consommeront environ 1 500 tonnes d’acier ainsi que plusieurs dizaines de kilos de terres rares, soit 70 % fois plus que les technologies précédentes. Chacune d’entre elles consommera également 20 tonnes de cuivre et plusieurs kilomètres de câbles en cuivre pour être reliées  les unes  aux autres et aux centrales.
Il y a dans un avion, entre autres, plusieurs tonnes de titane, d’aluminium, ainsi que  plusieurs centaines de kilos de cobalt. Enfin, les nouveaux alliages qui équipent l’A350, plus légers et donc moins gourmands en carburant, sont composés d’aluminium et de lithium. Un panneau solaire nécessitera une production accrue de germanium et de silicium tandis qu’une voiture électrique emportera plusieurs dizaines de kilos de cobalt, de nickel, de manganèse et de lithium dans sa batterie.
 

Depuis dix ans, les marchés ont profondément évolué : les pays producteurs de ces matières premières ont pris conscience de la richesse que représentent leurs ressources et cherchent à mieux les valoriser. Les pays consommateurs se sont rendu compte des aléas liés aux approvisionnements et des enjeux de compétitivité. En cas de difficultés d’approvisionnement, c’est en effet l’ensemble de la chaîne qui est fragilisée et en conséquence l’économie nationale. La question de la durabilité des modèles a donc partie liée avec l’autonomie des Etats.

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La demande augmente donc de plus en plus, l’offre stagne, et les coûts économiques et écologiques deviennent exorbitants puisque ces métaux demeurent indispensables à de nombreux secteurs de l’industrie française et mondiale. Avec la croissance continue de la population mondiale qui devrait atteindre 10 milliards d’habitants en 2050 (contre 7 milliards aujourd’hui) et la constitution d’une classe moyenne de plusieurs milliards de consommatrices et consommateurs, une pression de plus en plus forte s’exerce sur les ressources de notre planète. Les ressources minérales se trouvent au cœur d’enjeux sociaux, économiques et environnementaux, qui rendent notre pays dépendant. La France est en effet fortement soumise aux importations en la matière.

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Quand parle-t-on de seuil critique (minerai critique) ?

Selon France Stratégie, un « matériau critique » est « un métal dont la chaîne d’approvisionnement est menacée et pour lequel l’impact d’une restriction d’approvisionnement serait  néfaste  à  l’économie  d’un pays ». Au niveau géologique, ce sont souvent des co-produits, c’est-à-dire qu’ils sont récupérés conjointement à d’autres métaux parfois  plus  importants  en  termes  économiques. À titre d’exemple, le cobalt est principalement un sous-produit du cuivre (65 %) et du nickel (35 %) tandis que 75 % de la production de germanium est issue de concentrés de minerai de zinc et 25 % de l’exploitation des cendres de charbon. Pour résumer, ce sont des métaux auxquels sont associées des tensions sur les approvisionnements, tant sur l’offre que sur la demande (3).
 

La Chine au coeur de la chaîne de valeur

D’après l’analyse de Raphaël Danino-Perraud pour l’Ifri (3), sur les 27 minerais considérés comme critiques par l’Union européenne, 97 % sont extraits hors de ses frontières et la Chine produit plus de 50 % de 16 d’entre eux. Au-delà de la problématique strictement minière, c’est toute la chaîne de production qui est concernée. La Chine a produit en 2017 60 % du cobalt raffiné alors qu’elle ne représente que 3 % de l’extraction minière. En 2013, elle produisait 97 % des minerais de terres rares, 97 % des oxydes, 89 % des alliages, 75 % des aimants Ne-Fe-B et 60 % des aimants Sm-Co.
Les États-Unis sont maintenant quasiment absents des cinq segments de la chaîne de valeur des terres rares et les pays européens ne sont pas mieux placés. En mai 2018, le Chinois Tianqui annonçait être parvenu à un accord pour l’acquisition de 24 % de SQM, géant du lithium au Chili. Grâce à cette opération, les entreprises chinoises représenteraient plus de 50 % de la capitalisation dans le domaine du lithium. Cette situation dominante sur des matériaux permettant la production de batteries électriques (lithium-cobalt) et d’éléments essentiels à la construction de voitures hybrides ou d’éoliennes (terres rares) met en lumière la position dominante de la Chine sur de nombreuses technologies de la transition énergétique bas-carbone.

 

Les préconisations du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

C’est dans ce contexte que la section des activités économiques du CESE, après s’être penchée sur la question industrielle, puis sur l’énergie, a décidé, début 2018, d’aborder le sujet de la dépendance aux métaux stratégiques. Son projet d’avis (4), présenté ce 22 janvier, propose des préconisations pour concilier développement et emploi avec une consommation plus sobre, afin de s’affranchir de ces dépendances. Le CESE estime notamment indispensable :
 
• De sécuriser l’approvisionnement français : il considère indispensable d’afficher une volonté politique forte de sécuriser l’approvisionnement de l’industrie française en métaux stratégiques. Cette volonté devra être marquée par un pilotage politique renforcé, une réflexion sur la coordination entre les différentes structures d’intervention publique et une meilleure coordination inter-entreprises, ainsi que se traduire par des engagements financiers en termes de postes dans les organismes publics concernés.
L’approvisionnement national ne peut se concevoir en-dehors du cadre de l’Union européenne. Les questions d’import/export de matières premières sont du ressort de l’Union. Le CESE préconise d’intégrer dans la politique douanière un contenu matière dans le même esprit que le contenu carbone. A terme, le CESE estime également qu’il conviendrait de définir des principes qui concevraient la gestion des ressources en métaux comme des biens publics mondiaux de l’humanité.
 
• D’accélérer le déploiement de l’économie circulaire : l’enjeu global est de concilier développement et emploi avec une consommation plus sobre, en découplant la croissance économique des besoins en matières.  L’essentiel est de conserver la matière en appliquant les principes et les technologies de l’économie circulaire.
La transformation des modes de vie passe par une meilleure information des consommatrices et consommateurs sur le contenu des produits. A ce titre, l’existence d’un passeport produit permettrait de mieux les informer directement. La connaissance exacte de l’usage de la matière tout au long du cycle de vie et du contenu du produit est une condition essentielle de sa bonne utilisation.
Afin d’aller vers davantage de sobriété, le CESE préconise la création de fonds d’amorçage, via la BPI, pour développer l’économie de la fonctionnalité. Cette dernière, en partageant l’usage des objets, réduit les besoins de matière.
De même, les activités de recyclage en France souffrent de la différence de coût avec le recyclage à l’étranger, qui n’offre pas toujours les mêmes garanties environnementales. Le CESE préconise des mesures fiscales dédiées pour y remédier.
 
• De ne pas considérer la relance de l’exploitation minière comme un tabou : Le CESE estime que faire renaître l’exploitation minière en France métropolitaine ou la développer Outre-mer, ne doit pas être tabou. Avant toute chose, le CESE appelle à réformer le code minier. Cette réforme devra inclure l’association des parties prenantes, la définition des engagements environnementaux, y compris sur l’après-mine, l’articulation entre l’exploration et l’exploitation et l’adaptation aux statuts spécifiques des territoires d’Outre-mer.
Pour le CESE, il convient d’intégrer les infrastructures minières parmi les projets soumis à débat public, et de les soumettre à une expertise contradictoire.
Le CESE préconise de renforcer l’exploration des potentialités minières, en augmentant les moyens du BRGM, de l’Ifremer et de l’AFB. Dans le même sens, le CESE considère qu’il faut coupler la relance de l’activité minière avec la relance des formations de techniciens.

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Et si on recyclait ?

Si la majorité des minerais critiques sont utilisés dans les équipements électroniques ou à haute technologie, pourquoi ne pas envisager les déchets comme une ressource stratégique ? L’exploitation de ce que l’on peut dénommer « la mine urbaine » permettrait en effet d’utiliser une ressource relativement facile d’accès et qui présente des concentrations en métaux souvent meilleures que les très bonnes mines. L’UE a d’ailleurs commencé à prendre en compte cet enjeu comme le prouvent les multiples directives édictées depuis plusieurs années sur le recyclage des batteries, des véhicules et des déchets électroniques, sur l’éco-design, ainsi que son plan d’action pour l’économie circulaire.
Les difficultés sont néanmoins nombreuses tant sur le plan de la collecte des déchets que sur les processus de recyclage en tant que tels, et une véritable approche stratégique dans ce domaine essentiel permettrait de les surmonter. En effet, beaucoup de déchets ne sont pas collectés par les réseaux officiels et sont exportés illégalement à l’étranger où ils sont recyclés de manière très polluante. À titre d’exemple, seulement 5 % à 10 % environ de l’ensemble des batteries au lithium sont collectées chaque année (5).
La récupération des métaux contenus dans les produits électroniques et les alliages est néanmoins complexe sur le plan technologique. L’UE et la France disposent d’entreprises de pointe sur le segment du recyclage, telles que Rémondis, Véolia, Eramet et HC Stark pour les alliages, Umicore et Accurec pour les batteries. 
L’entreprise Euro Dieuze Industrie travaille sur le recyclage des accumulateurs des véhicules hybrides et électriques (métaux rares récupérés  : cobalt et lithium) ; Envie 2E / projet MEDUSA démantèle et traite des écrans LCD (métaux rares récupérés : indium et terres rares ; Récupyl recycle des panneaux photovoltaïques en  silicium (métaux rares récupérés : argent et indium) ; Rhodia fait de la récupération de pots catalytiques (métaux rares récupérés : terres rares) ; ou encore Rhodia BRGM / projet VALOPLUS qui s’occupe de la séparation des poudres et extraction de terres rares sur les lampes fluo-compactes.

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Pleinement utiliser et développer ce potentiel est un impératif stratégique, géo-économique et environnemental.
 
 
(1) Etude « La transition énergétique face au défi des métaux critiques «  de Gilles Lepesant, directeur de recherche au CNRS, chercheur associé au CERI et à l’Asian Energy Studies Centre (Hong Kong Baptist University)
(2) « La Guerre des métaux rares » de Guillaume Pitron – Edition Les Liens qui libèrent, 2018
(3) Note d‘analyse de l’Ifri, décembre 2018
(4) Cet avis, rapporté par Philippe SAINT-AUBIN (Groupe CFDT), pour la section des activités économiques, présidée par Delphine LALU (Groupe des Associations), et avec la contribution de la Délégation de l’Outre-mer, a été présenté lors de l’assemblée plénière du Conseil économique, social et environnemental du 22 janvier 2019. L’avis a été adopté en plénière avec 163 voix pour, 3 abstentions et 1 voix contre.
(5) Voir notamment : J. Heelan, E. Gratz, Z. Zheng, et al., « Current and Prospective Li-Ion Battery Recycling and Recovery Processes », JOM (2016) 68: 2632, disponible sur : https://doi.org.

 
Photo d’entête : Le plus grand gisement mondial de lithium en Bolivie 
 

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