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Monsanto
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La réputation, talon d’Achille des multinationales qui trichent

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L’exercice du Tribunal citoyen entend expliciter les manquements de l’entreprise Monsanto dans le respect des droits à la santé, l’alimentation, un environnement sain, la liberté et l’accès à l’information, le refus de la guerre et la protection de la vie.  Il faut prendre au mot les multinationales qui font des effets d’annonce à tour de bras, vantant leurs valeurs éthiques. Il se pourrait que la plus grande crainte des groupes attaqués en justice soit de perdre leur réputation. Pourront-ils continuer impunément à purger leurs passifs en se faisant racheter ?
 
Les lobbys designers des campagnes de séduction, comme le Black Rock Group aux Etats Unis, peuvent s’inquiéter. Car à force de conseiller aux entreprises de multiplier les codes de bonne conduite, de faire nommer des directeurs de l’éthique ou des droits humains, ils pourraient bien voir la démarche ruiner leurs clients. C’est l’argument qu’a développé l’avocat du barreau de Paris, William Bourdon, invité à plaidoyer en clôture du Tribunal citoyen dédié à Monsanto, ce week-end à La Haye. « Le droit mou ce n’est pas pour les chiens ! » s’est-il exclamé, invitant les cinq jurés du tribunal à regarder de près les déclarations de la multinationale, attestant d’un comportement irréprochable.
 
Plaidoyer de William Bourdon
 
Car c’est là que pourrait bien être son talon d’Achille… « Si vous ne prenez pas les engagements éthiques de Monsanto au sérieux, vous encouragez le cynisme ». Il propose de considérer notamment le code de déontologie de Monsanto – document de 28 pages disponible sur sa page web– pour vérifier que la firme respecte ses propres engagements.
 
Cet axe ressemble à la stratégie utilisée par Corinne Lepage dans le procès de l’Erika (en 2012) qui a prouvé les manquements de Total aux engagements figurant dans la charte interne du groupe. « Notre rôle n’est pas de juger ni de condamner mais de voir si les activités de Monsanto sont en conformité avec le droit international des droits de l’homme », confirme Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour de justice des droits humains et présidente du Tribunal Monsanto.
 
Ces règles peuvent provenir des diverses dispositions internationales, Conventions ou Traités (Rio, Kyoto, Carthagène, droits de l’homme, droit de l’enfant, discrimination à l’égard des femmes, principes directeurs du droit des entreprises et des droits humains des Nations Unies…), Statut de Rome établissant les règles de la Cour pénale internationale, ou des règles que l’entreprise s’est fixée à elle même ou auxquelles elle a adhéré comme le Global Compact des Nations Unies.

Violation de la liberté scientifique

Le cortège des trente témoins venus des quatre coins de la planète, ce week end à La Haye pour le Tribunal Monsanto, pourrait donner du grain à moudre aux jurés qui doivent rendre leur verdict d’ici le 10 décembre, jour anniversaire de la déclaration des droits de l’homme.
 
Les 5 juges avec au centre la presidente belge Francoise Tulkens
 

Leurs récits ont décrit des enfants malformés (ceux de Maria Liz Robledo en Argentine ou de Sabine Grataloup en France), des eaux polluées, des paysans dépossédés ou floués (comme Percy Schmeiser dont les cultures ont été contaminées par des OGM voisins), des scientifiques sous pression (on pense au témoignage de Nicolas Defarge, co-auteur de l’étude Séralini ou à celui de Claire Robinson qui indique que le King’s College de Londres confirme les dégâts sur le rein et le foie des produits à base de glyphosate et souvent chargés en adjuvants dangereux (travaux de Robin Mesnage).
 
Des histoires qui répètent à l’envi des situations de collusion et de corruption. « Et cela passe par une violation nouvelle, selon William Bourdon, celle de la liberté scientifique. La confiscation de l’information par Monsanto, cette stratégie de dissimulation, de désinformation, est la condition nécessaire pour pérenniser universellement la violation de tous les autres droits » soutient le fondateur de Sherpa et défenseur des victimes de l’agent orange au Vietnam.
 
Une accusation étayée par quantité de situations où intérêt général se mue en intérêts privés comme dans le cas de Richard Goodman, ancien employé de Monsanto, intégré parmi les conseillers de la revue Food and Chemical Toxicology (FCT) qui a fait retiré l’article de G.E. Séralini. Ainsi, pour William Bourdon,  « Il n’y a pas de monopole sans une stratégie qui unit des produits mortifères aux produits mensongers. Plus on ment pour s’enrichir, plus on est obligé d’être dans le déni et dans le discrédit de ceux qui portent la critique. Et cela est proportionnel ».

Quand le Paraguay plie sous la contrainte

On l’aura compris, Monsanto est devenu la caricature d’un système où des manœuvres nouvelles, sophistiquées, impliquent des complicités multiples. Corinne Lepage voit dans l’histoire du Paraguay, racontée par Miguel Lovera, expert en santé publique, la domination ultime : « L’achèvement du système c’est quand Monsanto devient l’Etat lui-même ».
En 2012, alors que le gouvernement avait refusé l’importation d’un coton OGM de Monsanto, un coup d’Etat est survenu et le nouveau gouvernement a autorisé de coton dans les huit jours. Puis ce dernier a instauré une taxe de 3 à 5$ à l’hectare, appelée « impôt Monsanto », payée par les exportateurs. Nous sommes confrontés véritablement à une puissance des quelque 250 multinationales, tenues par moins de 70 personnes qui détiennent la moitié du patrimoine de l’humanité entière. Si les Etats ne parviennent pas à résister aux assauts des intérêts privés, il est peu probable que l’on évite le pillage des ressources, supports de notre survie.
 
« Contrairement à la juridiction centralisée des grands bourreaux, les réponses aux exactions des entreprises qui trichent seront variées, explique William Bourdon en coulisse. Cette imprévisibilité du droit sera source de fragilité pour les géants industriels ». L’étau se reserre avec des condamnations à des amendes énormes comme celle de 18 milliards de dollars infligée à Chevron pour la pollution qui a affecté 30 000 indigènes en Equateur. Sauf que l’Etat est incapable de faire appliquer cette décision : alors que l’amende a été divisée par deux dans un premier temps, le jugement a été cassé à New York en mars 2014 par le juge Lewis Kaplan. Maître Pablo Fajardo dénonce un désastre sans précédent : Chevron a déversé au moins 70 millions de litres de résidus de pétrole et 64 millions de litres de pétrole brut sur un territoire de 2 millions d’hectares de l’Amazonie équatorienne. « Ce qui est plus grave encore c’est que les atteintes de Chevron continuent de provoquer et de causer la mort de centaines de personnes par année, indique Pablo Fajardo. Selon les statistiques de différentes études de santé publique, il existe des taux de cancers, de leucémies, de fausses couches jusqu’à trois fois plus élevés par rapport au reste de l’Equateur. Ces dernières années, selon les données dont nous disposons, au moins 2.000 personnes sont décédées de cancer an Amazonie du Nord »

Stratégie de purge des passifs

Les juges du tribunal citoyen devront tenter de répondre aux six questions selon les termes de références liés au droit à un environnement sain, à l’alimentation et à l’eau, à la santé, à la liberté et la connaissance. Ils devront aussi examiner si les comportements de Monsanto attestent de complicité de crime de guerre (usage de l’agent orange lors de l’opération ranch Hand) lancée en 1962 au Vietnam ainsi que de crime écocide contre le vivant altérant les cycles écologiques et les communs planétaires.
 
Cet effort viendra accentuer la dynamique pour renforcer la responsabilité des entreprises. Au Collège de France, Mireille Delmas Marty entend aussi s’impliquer dans la recherche d’un nouveau type de gouvernance mondiale capable de donner prise aux plaignants et d’éviter les « échappées belles ». Car c’est ainsi que l’on peut être amené à regarder désormais le rachat de Monsanto par Bayer. Pour certains avocats en effet, il est fort probable que nous soyons en face d’une stratégie de purge afin de débarrasser la multinationale confrontée à des condamnations à répétitions (des dizaines de scandales sanitaires et plus d’une centaine de procès dans le monde). Si cela se confirme, celle-ci va créer prochainement une structure dite « de défaisance » afin d’absorber le passif. Le tour de passe-passe serait ici le même que celui réalisé par Union Carbide, après la catastrophe de Bhopal, et qui a sauvé ses actifs en étant absorbée par Dow Chemical. Un procédé rendu possible par l’objet social de Dow Chemical admettant qu’un passif d’une société achetée n’est aucunement assumé par l’acquéreur.
 

Et nous vivrons des jours heureux…

Il y a encore du chemin à parcourir avant de parvenir à établir un véritable terrain de responsabilité sociale. Le temps ne travaille pas pour les multinationales qui sabotent leur réputation à petits feux. L’association Stop corporate impunity organise une semaine de mobilisation à Genève du 24 au 29 octobre. De même, l’ONG Notre affaire à tous  mobilise sur tous les thèmes de protection du climat, de préjudices environnementaux, de droits fondamentaux. Comme un front commun, une centaine d’auteurs (dont Jean Gadrey et Valérie Cabanes…) publie un ouvrage intitulé Et nous vivrons des jours heureux, proposant un pacte social pour refonder un climat de confiance. Urgent, non ?
 
 
Photos : © Dorothée Browaeys – UP’magazine
 
 

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