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Les accords commerciaux internationaux menacent-ils nos choix démocratiques ?

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L’Union européenne multiplie les accords bilatéraux de libre-échange, en toute opacité. C’est l’analyse et le point de vue de l’association foodwatch qui défend les droits des citoyens consommateurs à plus de transparence dans le secteur alimentaire et à l’accès à une alimentation saine. A quelques jours des élections européennes, l’organisation dénonce les dérives de la politique commerciale en Europe et saisit la Cour constitutionnelle en Allemagne contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et Singapour (EUSFTA). Pour une « Europe qui protège » véritablement, il faut de toute urgence suspendre le CETA et ses cousins et réinjecter transparence, démocratie et justice sociale et environnementale en Europe. Explications.
 
Le Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, a présenté ce mardi 21 mai 2019 au Comité de suivi de la Politique commerciale un point d’étape sur le CETA et d’autres accords de libre-échange. Cette réunion rassemblait les fédérations de l’industrie et des organisations de la société civile.
foodwatch en a profité pour remettre le poing sur la table en réclamant la suspension du CETA et des derniers accords négociés par l’UE. Le 16 mai 2019, foodwatch a porté plainte auprès de la Cour constitutionnelle en Allemagne avec ses partenaires Mehr Demokratie et Campact contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et Singapour (EUSFTA).
« Nous avons besoin plus que jamais d’une Europe avec plus de transparence et de démocratie et d’une politique commerciale qui n’écrase pas du pied les droits des citoyens, la justice sociale et environnementale. Une Europe qui résiste aux lobbies des multinationales. Mais c’est tout le contraire d’une « Europe qui protège » avec le CETA et ses cousins », dénonce karine Jacquemart, directrice de foodwatch France. « L’entêtement d’Emmanuel Macron et ses partenaires européens pour cette forme de libre-échange forcené et négocié sans débat démocratique fait le lit du repli sur soi et des mouvements populistes contre l’Europe. C’est irresponsable ».
 

« Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales »

Voilà le mot d’ordre d’une coalition de plus de 150 organisations de 16 pays européens, dont foodwatch, pour exiger des dirigeants européens de mettre fin au système de justice d’exception dont bénéficient les entreprises multinationales et d’introduire des réglementations contraignantes pour qu’elles respectent -enfin ! – les droits humains et l’environnement.
 
Les risques de ces accords de libre-échange de nouvelle génération, qui considèrent à peu près tout comme des barrières au commerce à supprimer ou à contourner, y compris les normes sociales et environnementales, sont en effet bien connus : pour la protection des droits sociaux, des consommateurs et de l’environnement, l’agriculture et l’alimentation.
Ces traités prévoient en effet des mécanismes qui se traduiront par un gel des réglementations, voire une impossibilité de les améliorer alors même qu’elles ont encore besoin d’être renforcées en ce qui concerne la protection de la santé, la transparence de l’étiquetage (Nutri-score), les pesticides, les OGM, etc.
 
La plupart du temps, ce type d’accords a un objectif simple : réduire les droits de douane afin de stimuler les échanges commerciaux. Mais le CETA et ses cousins vont plus loin : l’enjeu est de s’attaquer aux autres « obstacles au commerce », c’est-à-dire les différences de normes et standards. Le problème est que cela ne concerne pas seulement les normes techniques, mais aussi les réglementations qui protègent l’environnement, les droits sociaux ou encore les consommateurs. Ces accords vont beaucoup plus loin que les questions de commerce et auront de fait un impact durable sur notre vie quotidienne.
Comment ? Ces accords mettent en danger la capacité de nos institutions démocratiques à décider librement de politiques d’intérêt général. Les exemples ci-dessous s’appuient sur les cas du CETA et du TAFTA, mais sont très largement valides pour la plupart des accords actuellement négociés par l’UE, comme le révèle l’étude de foodwatch et PowerShift publiée en février 2018 « Le commerce à tout prix ? », qui examine les projets d’accords avec le Mercosur, le Japon, le Mexique, le Vietnam, l’Indonésie.
 
– Le principe de précaution, une « barrière commerciale à éliminer » ? En Europe, un simple soupçon de nocivité, s’il est fondé, suffit à faire interdire un produit, ou un procédé. Aux Etats-Unis et au Canada, en revanche, un aliment peut rester sur le marché tant que sa dangerosité n’est pas prouvée. Or ce principe n’est absolument pas garanti ni dans le texte du CETA, ni dans les autres projets d’accords étudiés.
 
– Le règlement des différends entre investisseurs et Etats : la possibilité offerte aux entreprises étrangères d’attaquer les Etats devant des tribunaux d’arbitrage, au motif que des décisions politiques affecteraient leurs bénéfices, réels ou attendus, est une véritable épée de Damoclès. La simple menace de poursuites risque de dissuader les pouvoirs publics d’adopter de nouvelles règlementations concernant par exemple la santé publique et bien sûr l’alimentation.
 
– La coopération règlementaire : décider de normes communes pour les clignotants de voitures, pas de problème. Mais là encore, CETA et TAFTA vont beaucoup plus loin, avec un nouveau processus en dehors des circuits habituels de prise de décision démocratique. Aux commandes ? Un « forum » ou « comité » de personnes non élues qui auront voix au chapitre sur les règlementations décidées après l’adoption des traités. Le CETA met en place plus de dix comités… et les autres projets d’accords étudiés prévoient eux aussi des comités aux larges pouvoirs sans contrôle démocratique adéquat.
 
Si ces accords aboutissent en l’état, le risque est grand que l’harmonisation des normes relatives à la protection des consommateurs et de la santé induise un nivellement par le bas et bloque la possibilité de renforcer ces niveaux de protection. Pour foodwatch, la perte de souveraineté règlementaire pour les Etats et l’UE est préjudiciable à la démocratie.
 

« Le CETA […] entraîne inévitablement des incertitudes et des risques »

C’est une des conclusions du rapport de la Commission Schubert mandatée par Emmanuel Macron qui est on ne peut plus clair sur ces risques : Il précise que « les biotechnologies [c‘est-à-dire les OGM] constituent également un point qui nécessite de la vigilance ».
Le Gouvernement s’était alors engagé à plus de transparence et à s’assurer que soient pris « en compte les enjeux sanitaires et de développement durable dans les accords commerciaux ». Or l’Union européenne continue à négocier des accords qui présentent toujours les mêmes dangers, sans garantie pour le principe de précaution européen, la protection des droits sociaux ou même celle de l’environnement et de la planète.
90% du texte du CETA est déjà mis en œuvre et avancent les traités avec le Japon (le JEFTA a été adopté le 12 décembre 2018), Singapour (adopté par le Parlement européen le 13 février, le Vietnam, l’Indonésie, le Mexique, le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), etc. 
 

Le poids des lobbies

Ces traités ouvrent grand la porte à l’influence des lobbies, dès la phase d’élaboration des nouvelles réglementations. Ainsi, ils auront officiellement leur mot à dire avant même que les élus nationaux et européens, représentants des citoyens, ne soient consultés. Tout cela est rendu possible par la « coopération réglementaire ».
Sur le papier, cette coopération entre l’Union européenne et ses partenaires (Canada pour le CETA) semble inoffensive. Il s’agirait simplement de s’entendre pour éliminer au maximum les entraves au commerce et aux investissements. « Coopérer » sur les règlementations pour éviter des coûts inutiles, ou des doublons administratifs injustifiés, pourquoi pas ? Il parait sensé d’harmoniser la couleur ou encore la taille des clignotants des voitures de part et d’autre de l’Atlantique.
Sauf que cela va beaucoup plus loin. La coopération règlementaire garantit aux lobbies un accès à l’élaboration des règlementations et projets de lois. Ils seront consultés, pourront faire des commentaires et exiger des réponses – mécanisme appelé « notice and comment » outre Atlantique – en amont du processus. Leur rêve : pouvoir freiner ou même bloquer de nouvelles règles et être quasiment corédacteurs des nouvelles lois. La Chambre de commerce des Etats-Unis a d’ailleurs qualifié la coopération règlementaire de « cadeau qui ne cesse de rapporter gros  ».

La Commission européenne promet que les standards ne seront pas bradés, et que les normes en vigueur en Europe ne seront pas abaissées. Pourtant, l’expérience d’une coopération transatlantique volontaire ces dernières années laisse présager du pire après la mise en œuvre de CETA et TAFTA (voir à ce sujet le rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory).

 
De toute évidence, la coopération réglementaire dépassera largement l’harmonisation des clignotants. L’objectif est bien plus ambitieux : éliminer un maximum de « barrières non tarifaires » au commerce, c’est-à-dire de différences législatives. En d’autres termes les standards divergents, tels que le principe de précaution ou les règles sociales et environnementales, comme par exemple l’interdiction des OGM ou du bœuf aux hormones. Or si les lois ne sont pas identiques entre le Canada, les Etats-Unis et l’Union Européenne, c’est parce que nos élus ne prennent pas des décisions identiques.
 
Ces processus, et le rôle de plus d’une dizaine de comités dans l’exemple du CETA, auront lieu en dehors des circuits habituels de prise de décision démocratique. Pour les mettre en œuvre, les comités et un « forum » de coopération réglementaire réunissant des représentants commerciaux non élus pourra prendre des décisions sur les réglementations, en discussion avec les acteurs concernés, en particulier les lobbies industriels. Un système « d’alerte précoce » permettra que l’autre partie (le Canada dans ce cas) soit informée et consultée dès la phase de projet et de rédaction d’une nouvelle réglementation, c’est-à-dire avant que les parlementaires ne soient consultés.
 
Comment est-il prévu d’aplanir ces différences entre les règles ? Plusieurs possibilités : l’harmonisation, c’est-à-dire décider d’une nouvelle règle commune, et la reconnaissance mutuelle – admettre des règles différentes comme équivalentes. Le principe de la coopération réglementaire s’appliquerait en continu, dès l’adoption de l’accord. C’est ce qu’on appelle des accords « vivants ».  Ainsi, des groupes de travail sectoriels se chargeraient de manière permanente d’analyser les législations actuelles et futures à l’aune de leur impact sur le commerce transatlantique.
 
La commission d’experts missionnée par le Gouvernement en juin 2017 pour analyser les risques sanitaires et environnementaux du CETA souligne : « Le CETA est un accord dit vivant. […] Son contenu sera précisé et complété par les institutions de coopération qu’il crée », ce qui « entraîne inévitablement des incertitudes et des risques » (Extrait du rapport page 5) (Source : foodwatch nov.2018).
 

Plus de transparence et de débat démocratique

foodwatch appelle donc au gel des négociations en cours et à une révision de la politique commerciale afin de la rendre compatible avec les exigences sociales et environnementales européennes et mettre en place une nouvelle politique commerciale européenne.
Les échanges internationaux doivent en premier lieu tenir compte de l’intérêt général des populations, au lieu de satisfaire avant tout les intérêts des multinationales. Or le CETA et les accords de libre-échange examinés dans l’étude « Le commerce à tout prix ? » ne respectent pas ce critère fondamental. Au contraire, ils risquent de compromettre les normes de protection existantes et de saper les initiatives pour les renforcer dans le futur. Ces négociations doivent donc être interrompues et l’Union européenne se doit de développer une nouvelle politique commerciale qui donne la priorité aux droits des populations et consommateurs.
(Source : CP foodwatch, mai 2019)
 

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