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Une sociologue française au sein des sociétés secrètes d’Harvard

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Professeure à Harvard pendant trois ans et demi, la sociologue française Stéphanie Grousset-Charrière publie une étude sur la face cachée de la prestigieuse université américaine. Up’ retranscrit ici son interview par France Amérique.

Stéphanie Grousset-Charrière

Au sein du campus de Harvard sont abritées huit sociétés secrètes qui regroupent l’élite des étudiants de l’université. La plupart des élèves et des professeurs ne savent même pas où se situent ces fameux final clubs.

Arrivée aux Etats-Unis pour suivre un doctorat en sociologie sur le système grec (nom attribué à l’ensemble des fraternités et sororités américaines), Stéphanie Grousset-Charrière a changé de piste en découvrant l’existence de ces organisations très obscures. Pendant trois ans et demi, et alors qu’elle était professeure dans cette même université, elle a tenté de comprendre les mécanismes de ces sociétés secrètes.

France-Amérique : Que sont les sociétés secrètes ?

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Stéphanie Grousset-Charrière : Ces organisations sont présentes dans les plus grandes universités américaines, notamment celles de la Ivy League*. Créées pour la plupart d’entre elles au XIXe siècle, elles découlent du système grec et sont exclusivement masculines. Il y a eu une rupture avec le système grec, notamment pour demeurer indépendantes et dissociées d’un réseau national. A Harvard, ces sociétés sont désormais autonomes depuis les années 70, car il y a eu une rupture avec l’université, qui voulait instaurer la mixité dans ces final clubs.

En quoi ces organisations sont-elles secrètes ?

Il faut savoir que Harvard ne dispose même pas de la liste des membres, du nom de chaque président de club. Il y a un niveau de secret proche de celui de la franc-maçonnerie française. On sait que ces clubs existent, on peut éventuellement se renseigner sur les rumeurs, les déviances qui s’y produisent mais c’est à peu près tout.

Qu’ont-elles vraiment à cacher ?

La question pourrait être tournée dans l’autre sens. Leur véritable intérêt, c’est de cacher. Le secret en lui-même n’a que peu d’importance. On rapporte des rumeurs autour de consommation d’alcool en-dessous de l’âge légal ou de déviances sexuelles, mais comme dans n’importe quel univers étudiant. Ces clubs jouent sur le secret en limitant l’accès aux garçons membres et à certaines filles. De la même manière, les rites initiatiques sont à la fois montrés et camouflés. Et c’est tout ce jeu autour du secret qui est un instrument de pouvoir. C’est un des piliers de la socialisation élitaire que ces clubs fournissent à leurs jeunes membres.

Outre cette culture du secret, quelles sont les différences avec une autre fraternité ?

Le jeu de socialisation dans ces clubs diffère de ce qu’on voit dans les fraternités traditionnelles. On y apprend les piliers de l’élite du pouvoir : savoir manier le secret, jouer de son pouvoir vis-à-vis des autorités universitaires, locales, et des autres étudiants. Et mettre en pratique l’élitisme dans le rapport aux autres et notamment aux femmes.

Les étudiants qui entrent dans ces final clubs le font-ils dans l’optique d’obtenir un poste haut placé une fois leurs études terminées ?

Ils ont tous des nationalités assez différentes qui les poussent à entrer dans ces clubs. Ils cherchent déjà à se recréer une famille, mais pas n’importe laquelle. Ils sont tous conscients que ça peut être rentable pour eux à long terme. La plupart des grands noms de Harvard sont passés par ces sociétés-là. Je ne suis pas en train de dire que c’est la voie unique vers l’élite du pouvoir. Mais c’est une socialisation d’élite parallèle à l’institution mère, Harvard. Ça contrecarre le discours égalitariste et méritocratique de l’université. C’est un passage souterrain vers le pouvoir et vers des cercles d’influence.

A la lecture de votre étude, on comprend que le fait d’être française vous a aidé à vous immiscer dans ces clubs et à obtenir des informations secrètes.

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Tout à fait. Le statut de française, d’étranger, octroie un petit peu plus de légitimité dans la naïveté des questions. Je pouvais me permettre de les questionner en jouant de ce statut d’étrangère.

Il est très rare que des non-membres puissent rentrer dans ces clubs. Comment avez-vous gagné la confiance des étudiants ?

J’ai commencé par interroger mes propres étudiants au sujet des sociétés secrètes. J’enseignais des cours de civilisation française qui étaient exclusivement en français. J’avais des rapports très francs avec mes étudiants. Je les ai contactés en anglais pour rompre avec ce rôle de prof-élève. On pouvait alors discuter le soir en anglais autour d’une bière et le lendemain se retrouver en cours et être sérieux.

Est-ce que vous pensez qu’une telle étude aurait été plus difficile en France, où les rapports profs-élèves sont plus distants ?

Très clairement. J’ai été lycéenne dans un lycée franco-américain à Bordeaux et les seuls professeurs avec qui il m’est arrivé de traîner en dehors des cours étaient Américains. C’est typique des rapports aux Etats-Unis. La frontière est beaucoup moins abrupte. La première semaine de cours à Harvard, chaque enseignant est tenu de rencontrer individuellement tous les étudiants qui suivent son cours ! Les professeurs sont même invités individuellement par les élèves à des événements organisés sur le campus. C’est une manière de dire « j’apprécie mon professeur de français, je l’ai invité à voir mon match de basket ». Ce rapport privilégié est donc instauré dès le départ et de manière académique. En France, à partir du moment où on croise un professeur en dehors de la salle de cours, on ne lui adresse pas la parole. Les enseignants américains ont, eux, des heures de permanence à faire pendant lesquelles les étudiants défilent et racontent leurs problèmes scolaires ou personnels.

Est-ce que Facebook, créé par Mark Zuckerberg à Harvard, vous a aussi aidé dans vos recherches ?

Quand je suis arrivée, Facebook avait été créé un an auparavant. A l’époque, les pages n’étaient pas protégées, on pouvait très facilement circuler, voir les profils. Ça m’a vraiment aidée dans ma prise de contacts.

Mark Zuckerberg faisait-il partie de ces clubs ?

Si l’on en croit le film The Social Network, il n’en faisait pas partie. Il leur aurait d’ailleurs volé l’idée. Les jumeaux qui prétendent avoir eu l’idée de Facebook faisaient eux partie du club le plus élitiste. Ce film montre bien la richesse, l’influence de ces réseaux. Le film dépeint les final clubs de manière très caricaturale, mais les illustrations sont assez proches de la réalité, et notamment dans ce déploiement de luxe.

Après trois ans et demi d’enquête, quelles sont vos conclusions à propos des mécanismes et du mode de socialisation de ces sociétés secrètes ?

Les final clubs sont des lieux de socialisation parallèle à la formation académique. Et ils sont peut-être moins marginaux qu’on veut le penser. Au sommet même de la hiérarchie harvardienne, au-dessus de la présidence de Harvard, il y a la Harvard Corporation, qui est un comité de sept membres. Ce groupuscule, qui se réunit discrètement sans ébruiter le nom de ses membres, tire toutes les ficelles des décisions importantes de l’université. Si on remonte comme ça, on se rend compte qu’il existe des sociétés de ce type entre certains chefs d’entreprise puissants par exemple. Ces sociétés secrètes font en réalité écho à la société américaine. Ce n’est peut-être pas si aberrant qu’il y ait une socialisation de ce type dans les institutions de prestige comme à Harvard.

*L’Ivy league regroupe huit universités privées prestigieuses du nord-est des Etats-Unis : Brown, Columbia, Cornell, Dartmouth College, Harvard, Pennsylvania, Princeton et Yale.

amazonLa face cachée de Harvard, collection Etudes et recherches, La documentation française, 19 €.

 

A propos de Stéphanie Grousset-Charrière : 

Stéphanie Grousset-Charrière est sociologue, spécialiste des élites et de la socialisation étudiante aux Etats-Unis. C’est en enseignant pendant trois ans et demi à l’Université de Harvard, qu’elle a pu mener ses recherches doctorales au coeur de ses sociétés secrètes. Elle a obtenu le 2e prix du concours del’OVE en 2011 pour sa thèse de Doctorat en Sociologie, réalisée sous la direction de Daniel Filâtre, au Certop, université Toulouse 2 – Le Mirail.

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