
Il est toujours difficile, voire un peu illusoire, de prétendre déterminer comment ça a commencé, de déterminer l’événement fondateur d’une vie d’artiste, le premier choc émotionnel. Pourquoi suis-je devenu artiste, et cet artiste-là ?Inventer une forme de spectacle comme la nôtre, un théâtre équestre, suppose d’abord d’accepter la vie nomade, ses libertés et ses contraintes, la liberté qui en est l’essence mais aussi l’inconfort. Aussi, à peine a-t-on parlé de « choisir » cette vie, qu’il faut se poser la question : est-ce un choix si délibéré ?Car on choisit une vie d’artiste avant d’être artiste.Je naîtrai artiste un peu plus tard, lorsque je commencerai à travailler le matériau que je me suis choisi. Car c’est le rapport que l’artiste entretient avec son matériau qui le fait naître; c’est la façon dont il saura jouer avec les contraintes que le matériau lui dicte qui fera de lui un artiste.Le contexte des années 1970 incitait à se lancer dans la vie sans la moindre assurance. Le spectacle de rue que nous pratiquions alors avec le Théâtre Emporté (des interventions provocantes utilisant des personnages de la commedia dell’arte) était résolument en marge, il y avait même en nous une forme de hargne contre la société, nous nous voulions sauvages et rebelles, je pense que nous l’étions. Nous vivions comme des apatrides, citoyens du monde qui se nourrissaient des pays qu’ils traversaient.La discipline artistique que nous avons créée plus tard, le théâtre équestre, n’existait pas. Nous venions de nulle part, nous ouvrions une nouvelle voie, sans forcément savoir laquelle.Nous vivions au présent, il n’était alors question ni de projets ni d’avenir.”Bartabas
