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“La nature existe” : enquête sur un retour aux sources face à la pensée postmoderne

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La nature existe-t-elle encore à l’ère des réseaux, des machines et de l’intelligence artificielle ? Peut-on encore parler de « nature » quand tout, des bactéries aux algorithmes, est intégré dans un vaste système d’interactions techniques et économiques ? Et que reste-t-il de notre lien sensible au monde vivant, face à un discours dominant qui mêle vivants, objets et données sous le même vocabulaire du « non-humain » ? Dans leur dernier ouvrage, La nature existe. Par-delà règne machinal et penseurs du vivant (1), Michel Blay et Renaud Garcia posent ces questions dérangeantes avec une lucidité rare. Et si, derrière les discours séduisants de certains penseurs contemporains, se cachait une forme nouvelle — et plus insidieuse — de domination technologique ? En revisitant la figure oubliée du naturien, cet anarchiste en quête de vie libre et enracinée, les auteurs tracent une voie radicale : celle d’un rapport au monde où la nature ne serait plus un programme à gérer, mais un mystère à respecter. Et vous, êtes-vous prêts à réapprendre à voir la nature — non comme un problème à résoudre, mais comme une réalité à écouter ?

Michel Blay et Renaud Garcia livrent un essai percutant contre certaines pensées contemporaines qui, sous couvert de modernité ou d’écologie radicale, dissolvent la nature dans des concepts flous de « vivant », de « non-humain » ou de « réseau d’actants ». Refusant cette vision où tout — des animaux aux intelligences artificielles — serait équivalent, les auteurs défendent une idée simple, mais puissante : la nature est, en elle-même, une réalité vivante, sensible, et irréductible aux logiques techniques et économiques.

Alors que l’idée de « nature » est marginalisée dans les milieux écologistes, ce livre la réhabilite et renoue avec le courant dit « naturien ». L’ouvrage propose une critique profonde de la manière dont la modernité occidentale a transformé notre relation à la nature. Les auteurs s’opposent aux courants contemporains qui, influencés par des penseurs comme Bruno Latour, Philippe Descola et Donna Haraway, tendent à remplacer le concept de « nature » par celui de « vivant » ou de « non-humain », intégrant ainsi les machines et les systèmes intelligents dans une vision élargie du monde naturel. D’où cette incongruité : la défense d’une écologie sans nature.

Une critique de la pensée postmoderne

Michel Blay et Renaud Garcia s’opposent vivement à certaines idées populaires chez des penseurs contemporains comme Bruno Latour, Philippe Descola ou Donna Haraway. Ces intellectuels postmodernes remettent en question la vieille distinction entre « nature » et « culture », entre les êtres humains et le reste du monde. Pour eux, les animaux, les plantes, les objets techniques (comme les robots ou les ordinateurs) peuvent tous faire partie d’un même réseau de relations : on parle alors de « non-humains » ou d’ »actants », des éléments qui interagissent sur un pied d’égalité avec les humains.

Blay et Garcia jugent cette vision problématique. Selon eux, en mettant sur le même plan la nature vivante et les artefacts créés par l’homme, on brouille les repères. Par exemple, considérer un être vivant et une machine comme équivalents revient à nier ce qui rend la nature unique, sensible, fragile — et surtout, digne d’être protégée. Ce glissement favorise selon eux une vision du monde qui accepte trop facilement l’expansion de la technologie dans nos vies, et même dans la nature elle-même.

En clair, les auteurs reprochent à la pensée postmoderne de « diluer » la nature dans un vaste ensemble flou, ce qui rend plus difficile toute critique de l’industrialisation ou de l’artificialisation du monde. À leurs yeux, c’est une manière intellectuelle — mais très concrètement politique — de justifier l’exploitation continue de la planète sous couvert de nouveaux récits séduisants.

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Le « naturien » : une figure de résistance écologique

Dans La nature existe, Blay et Garcia réhabilitent une figure presque oubliée : celle du naturien. Ce terme vient d’un courant anarchiste né à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, porté notamment par des penseurs et militants comme Georges Butaud ou Émile Gravelle. À l’époque, les naturiens étaient des individus qui rejetaient la société industrielle naissante, qu’ils voyaient comme aliénante, destructrice et coupée du vivant. Ils prônaient un retour à une vie simple, proche de la nature, fondée sur l’autonomie, la sensibilité et une éthique de respect du vivant.

Dans le contexte actuel, Blay et Garcia ne proposent pas un retour romantique au passé, mais ils reprennent cette attitude de révolte. Le naturien moderne, tel qu’ils le décrivent, n’est pas un ermite ou un technophobe : c’est quelqu’un qui refuse de considérer la nature comme une simple ressource à gérer ou à techniciser. Il ou elle revendique une relation directe et sensible à la nature, qui échappe aux logiques de contrôle, d’optimisation, ou de mise en réseau typiques de notre ère numérique.

Ce concept s’oppose frontalement à l’idée — de plus en plus dominante — que tout, y compris les forêts, les rivières, voire les bactéries, devrait être « géré », « connecté », ou « valorisé » économiquement. Le naturien, à l’inverse, affirme que la nature existe en elle-même, indépendamment des récits technoscientifiques ou économiques qu’on plaque sur elle.

La figure du naturien incarne une posture éthique et politique : celle d’un être humain qui choisit la liberté face à l’embrigadement technologique, la lenteur face à la vitesse industrielle, la contemplation face à l’exploitation. C’est une invitation à repenser notre place dans le monde vivant — non comme maîtres et ingénieurs, mais comme compagnons, habitants, et parfois simples témoins de ce qui nous dépasse.

Une invitation à repenser notre rapport à la nature

Les auteurs lancent un appel clair : il est temps de redonner toute sa place à la nature comme réalité vivante, libre et mystérieuse, au lieu de la réduire à une entité malléable, à notre service ou entièrement intégrée dans les systèmes humains et technologiques.

Pour les auteurs, cela suppose d’abord un changement de regard. Trop souvent, la nature est envisagée comme un décor à aménager, un stock de ressources à exploiter, ou un problème technique à gérer — que ce soit via la géo-ingénierie, les technologies « vertes » ou la surveillance numérique des écosystèmes. Même certaines démarches dites écologiques participent à cette logique, lorsqu’elles restent prisonnières d’un imaginaire de contrôle et d’optimisation.

À rebours de cette tendance, Blay et Garcia nous encouragent à retrouver un rapport plus humble, plus sensible, presque spirituel à la nature. Ce n’est pas une nature « connectée », « augmentée » ou « pilotée », mais une nature qui nous échappe, nous parle, nous transforme, et dont il faut accepter la part d’imprévisibilité. C’est aussi une nature avec laquelle on peut entretenir une relation de cohabitation, pas de domination.

Repenser notre rapport à la nature, c’est donc, pour eux, renouer avec une expérience du monde plus libre et plus enracinée : marcher dans une forêt sans GPS, cultiver sans automatisme, observer sans tout mesurer. C’est surtout refuser l’idée que les problèmes écologiques puissent être « résolus » uniquement par des solutions techniques, sans poser la question plus fondamentale de nos modes de vie, de notre rapport au temps, à la liberté, et à la limite.

La nature existe est un ouvrage qui ne propose pas de recettes, mais une réorientation profonde de notre regard et de notre être-au-monde. Il invite à la réflexion, à la critique, mais aussi à la sensibilité et à l’émerveillement.

(1) « La nature existe. Par-delà règne machinal et penseurs du vivant » – Éditions L’échappée, 14 février 2025

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Photo d’en-tête : « Symphonie rafraîchissante » de Charlotte Piercy, lauréate Élève 1er prix Concours photo Objectif Nature 2024

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patricia.fetnan@gmail.com
1 mois

Quand Descola dit «  La nature n’existe pas. », c’est que si on dit que la nature existe, on en exclue les hommes. Or, le problème que pose cette pensée divisée du Monde, cet Être- au- Monde, c’est qu’il s’agit justement de faire système. «  Faire- Monde » . Et c’est exactement ce que fait Descola, en pensant en termes de vivants, humains et non-humains. Donc « la Nature n’existe pas » veut dire que c’est les vivants qui existent, « Toutes les formes de la VIE ». Il vaut mieux parler d’une Terre-Mère, habitée par des hommes qui se doivent de rester vivants, comme tous… Lire la suite »

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