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Bertrand Piccard,Solar impulse

Envol au-delà des murs – Conversation avec Bertrand Piccard (FR)

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Bertrand Piccard était invité en juin dernier à Montréal à l’occasion de Movin’On, événement qui rassemble des acteurs du monde entier sur le thème de la mobilité durable. Bertrand était l’un des conférenciers, et devait s’exprimer sur l’un de ses sujets favoris : “Comment réussir l’impossible, comment inventer, comment innover, comment créer, comment sortir de sa zone de confort, comment se libérer de ses certitudes et de ses croyances pour enfin être libre d’imaginer de nouvelles voies.” Rencontre exclusive avec Dominique Bel pour UP’ Magazine.
 
Available in English
 
Bertrand Piccard est fondateur et pilote de Solar Impulse, le premier vol solaire autour du monde. Notre première rencontre remonte à 2015, pendant la COP21, à l’occasion d’une allocution de Sylvia Earle, cette océanographe américaine qui fut la première femme à prendre la direction scientifique de l’Administration Nationale des Océans et de l’Atmosphère. Sylvia Earle fut nommée héros pour la planète par Time Magazine en 1988. Elle nous rappela ceci : « Nourrir la rancoeur ne nous aidera point. Au contraire, nous devrions aujourd’hui exprimer notre gratitude envers les énergies fossiles. Le pétrole, le gaz naturel et le charbon ont permi de formidables progrès au long du siècle dernier. Lorsque nous avons fait le choix des énergies fossiles, nous n’avions guère conscience des externalités. Aujourd’hui, nous savons. Le temps est venu pour nous de tourner la page du chapitre des énergies fossiles.”
 
Solar Impulse
 
Bertrand n’était alors qu’à mi-parcours du challenge Solar Impulse. L’issue de la COP21 était incertaine.
L’accord de Paris fut adopté par les 196 pays membres le 12 décembre 2015. Bertrand et son associé, André Borschberg, ont achevé leur périple le 26 juillet 2016. Quelques mois plus tard, Donald Trump fut élu 45ème Président des Etats Unis, avec notamment comme promesse celle d’ériger un mur à la frontière entre le Mexique et les USA. Le premier juin dernier, il signifiait le retrait des Etats Unis de l’accord de Paris.
 
Movin’On, produit par Michelin en partenariat avec C2 Montréal
 
Bertrand Piccard : “Lorsque nous nous sommes rencontrés, Dominique, c’était avant le succès du vol autour du monde avec Solar Impulse. Nous étions à mi-parcours ; c’était un moment extrêmement stressant pour nous car après avoir investi tant d’années et d’efforts, nous ne savions pas si nous allions réussir. Ça fait plaisir de vous revoir après le succès.”
 
Dominique Bel : “Le plaisir est bien partagé ! Vous me parlez d’un moment extrêmement stressant, alors que le souvenir que j’ai de vous est celui d’un homme particulièrement calme et confiant. Votre capacité à garder le calme est inspirante. Quelles sont les nouvelles ?”
 
BP : “La première étape du projet Solar Impulse est franchie : voler autour du monde sans consommer la moindre goutte de fuel. Aujourd’hui, nous sommes passés à l’étape suivante : la création de  World Alliance for Efficient Solutions, dont l’ambition est de rassembler individus, start-ups, entreprises, associations et organisations porteurs d’idées, de procédés, de produits ou de technologies propres, contribuant de façon à la fois rentable et efficace à la protection de l’environnement. Pour susciter l’adhésion des industriels et le soutien des gouvernements, la profitabilité est un critère essentiel.”
 
Solar Impulse, premier vol solaire autour du monde
 
DB : “Quel est le principal défi de cette nouvelle aventure ?”
 
BP : “Nous devons identifier 1000 solutions rentables pour la sauvegarde de l’environnement d’ici la fin 2018. C’est beaucoup de travail. Je sais que ces solutions existent. Même si aujourd’hui le discours dominant gravite autour des problèmes, il y a pléthore de solutions. C’est ce que je veux démontrer.”
 
DB : “Bien d’accord, il est grand temps de se concentrer sur les solutions ! Si vous me le permettez, j’aimerais vous demander conseil au sujet d’un sujet qui me tient à coeur. Donald Trump promet de construire un mur le long de la frontière mexicaine. J’ai récemment été invité à rejoindre le collectif MADE – Mexican and American Designers and Engineers. MADE est à l’origine d’une proposition alternative au mur frontière de Donald Trump, remise officiellement aux gouvernements américains et mexicains en mars dernier. Sous le nom de Otra Nation, ce projet a fait la Une des média.
 
Otra Nation : un socio-écotone binational aux citoyens mexicains et américains, administré conjointement par les deux gouvernements
 
Otra Nation est un territoire régénératif ouvert aux citoyens mexicains et américains, administré conjointement par les deux gouvernements. Un socio-écotone binational, le premier du genre, dont les retombées économiques sont estimées à mille milliards de dollars US.  
 
Otra Nation : des retombées économiques estimées à mille milliards de dollars US
 
Sont prévus : un réseau de transport Hyperloop reliant le Pacifique au Golfe du Mexique et connecté aux principales métropoles, des fermes solaires et, grâce aux principes et technologies permettant la régénération, des exploitations agricoles. Ainsi, plutôt qu’une frontière que les populations en détresse cherchent à franchir dans la clandestinité, Otra Nation est un territoire source d’abondance.  
 
Hyperloop One : le transport du futur  est déjà présent
 
Connaissiez-vous ce projet et qu’en pensez-vous ?”
 
BP : “Non, je ne connaissais pas ce projet. Ma première réaction, lorsque je vois un projet particulièrement ambitieux et difficile, c’est l’admiration. Je déteste ces gens qui disent : c’est impossible, cela ne fonctionnera pas, cela ne vaut pas la peine d’essayer, c’est trop difficile. Donc ma première réaction, c’est de vous dire : bravo, félicitations! Suivez-vos rêves et réalisez-les !
Le second point qui me vient à l’esprit est le suivant : la technologie pour réaliser ce projet existe. Ce à quoi il faut s’attaquer, c’est l’état d’esprit. Il faut repousser les limites de l’état d’esprit ambiant suffisamment loin pour que les technologies et les solutions disponibles puissent être déployées à leur plein potentiel. L’anecdote suivante me revient en mémoire : j’ai eu l’occasion de survoler la frontière entre la Californie et le Mexique en ULM. Au nord : une Californie verdoyante et boisée, où se multiplient les exploitations agricoles. Au sud : le désert absolu. La coupure est nette, comme si la frontière avait été tranchée au rasoir. On est bien là face à un problème d’état d’esprit. La pauvreté est conséquence d’une mauvaise organisation, d’une mauvaise politique, de problèmes de corruption et d’un manque de respect. Nous devons donc travailler d’arrache pied à changer l’état d’esprit, et ne pas croire que tout le monde partage notre volonté de voir un rêve magnifique se réaliser. Si c’était le cas, le paysage serait aussi vert au Mexique qu’il l’est en Californie.”  
 
Vue aérienne du canal All American à la frontière entre le Mexique et les US : “Après avoir été détournées par le canal, les eaux du Colorado sont stoppées par le barrage. Le fleuve est complètement sec après la frontière mexicaine.” Reportage de Franck Vogel, publié dans son ouvrage “Fleuves Frontières”, éditions La Martinière.
 
DB : “Quels conseils pourriez-vous adresser à Otra Nation ?”
 
BP : “Le premier point important selon moi est de définir le modèle d’affaires avec clarté. S’agit-il d’un projet rentable qui permet de garantir un retour sur investissement ? Ou bien le projet doit-il être financé par commandites, justifiés par ses qualités intrinsèques, l’image qu’il véhicule et les valeurs qu’il porte. Cherchez-vous du capital de risque ou des sponsors ? Lorsque vous aurez répondu à cette question, vous aurez un cap établi. Avec Solar Impulse, il était évident que nous n’allions pas chercher des investisseurs, car il n’a jamais été question pour nous de vendre des avions solaires. La voie naturelle était celle du commandite et des partenariats. J’ai levé 170 millions de dollars en quelques mois.     
Otra Nation me rappelle ce projet ambitieux de métro suisse : l’idée était celle d’un tunnel entre Genève et Lausanne, et d’un train se déplaçant sous vide à grande vitesse, permettant de parcourir soixante kilomètres en quelques minutes. À mon sens, l’erreur stratégique fut de vouloir construire le métro en Suisse francophone. Si la Suisse francophone est innovante et créative, elle n’est pas riche en capital. Les capitaux sont en Suisse allemande. Si les promoteurs avaient fait le choix d’une ligne de métro entre Zurich et Bâle, ou bien entre Zurich et Berne, le projet aurait sans doute vu le jour.
Encore une fois : félicitations ! J’aimerais inviter Otra Nation à rejoindre World Alliance for Efficient Solutions !”
 
DB : “Au nom de Otra Nation: merci ! Votre invitation est une belle marque de confiance. Nous acceptons bien volontiers !
 
Otra Nation : Au lieu d’une frontière à fermer, un territoire ouvert source d’abondance
 
DB : Solar Impulse et Otra Nation sont de grandes aventures, des sauts dans l’inconnu. Comment ces sauts dans l’inconnu transforment-ils l’aventurier ? Dans quelle mesure Solar Impulse a fait de vous un nouvel homme ?”
 
BP : “À chaque atterrissage, j’avais le sentiment d’un retour vers le passé. En vol, aux commandes de Solar Impulse, sans le moindre carburant et dans le silence le plus absolu, j’avais l’impression d’être l’acteur d’un film de science fiction, de vivre dans le futur. Ce sentiment n’était qu’une illusion : nous vivons bel et bien dans le présent. Solar Impulse représente ce que la technologie permet de réaliser dès aujourd’hui. C’est le reste du monde qui vit dans le passé. Alors à chaque atterrissage, j’étais triste. Retourner dans le monde du moteur à combustion, du gaspillage d’énergie et de ressources naturelles, ce monde du manque de respect, de la corruption et de la mauvaise gouvernance, c’est très triste. À chaque retour, j’étais triste. Car lorsque vous avez la chance de voler dans de telles conditions, vous avez le sentiment que notre planète pourrait être absolument magnifique.“
 
DB : “En effet, le monde des humains pourrait être merveilleux si la vie sur terre était partagée en harmonie avec tous les êtres. Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, cherchent à réveiller la passion et retrouver du sens. Ce qui m’inspire, lorsque je vous écoute, c’est à quel point vous semblez aimer ce que vous faites. Qu’est-ce qui vous anime tant ?”
 
BP : “J’aime plonger dans l’inconnu. J’aime faire ce que personne n’ai jamais osé faire, et montrer que tout est possible. L’impossible n’est qu’une vue de l’esprit. Ce qui est fantastique, c’est de se libérer des croyances qui vous maintiennent prisonnier du passé, pour penser et aborder le futur avec des stratégies innovantes. C’est absolument fascinant. J’aime à la folie, passionnément.”
 
DB : “Nous vivons aujourd’hui dans un monde troublé. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes adultes qui se lancent dans la vie ?”  
 
BP : “Je leur recommanderais de faire l’inventaire de ce qu’ils ont appris, de prendre conscience de leur croyances, et d’essayer quelque chose de radicalement différent. Parce que nos convictions, ce que nous croyons et ce que nous avons appris à croire, sont un redoutable handicap pour la performance et la créativité. Nos croyances nous enferment dans le passé. Elles nous enferment dans nos paradigmes, alors que nous devons justement apprendre à les changer.”
 
DB : Vous êtes un homme inspiré et inspirant. Quelle rencontre ou quel événement a libéré en vous une telle inspiration ?”
 
BP : “Entre les âges de 10 et 12 ans, je vivais en Floride avec ma famille. C’était entre 1968 et 1970, à l’époque du programme spatial américain, le programme Apollo. J’ai rencontré la plupart des astronautes et je me souviens, comme si c’était hier, du décollage d’Apollo 11. À cet instant précis je me suis dit : c’est ça le genre de vie que je veux vivre.”  
 
Apollo 11, 20 juillet 1969
 
Ce qui m’a inspiré, ce qui m’a mis en mouvement, ce sont les rencontres avec des gens extraordinaires. Ces individus qui sortent de leur zone de confort, qui remettent en cause les paradigmes de la société et qui accomplissent ce que personne ne croyait possible. Des explorateurs et des astronautes en premier lieu bien sûr, mais aussi des psychiatres, des psychanalystes, des politiciens et des gens engagés dans une démarche spirituelle ou de développement personnel.
Je crois beaucoup à ce que l’on appelle la famille spirituelle : des gens sur la même longueur d’onde, qui ont la même fréquence énergétique. Ils se reconnaissent immédiatement et n’ont pas besoin de longs discours pour comprendre que, s’agissant de la vie sur terre, leur quête est similaire.”
 
Le delta du Colorado au Mexique. Il y a dix ans, le Colorado a cessé de passer la frontière mexicaine. Le fleuve est stoppé par le barrage Morelos aux Etats Unis et ne parvient plus à irriguer son delta ni à rejoindre la mer de Cortez. Reportage de Franck Vogel, publié dans son ouvrage “Fleuves Frontières”, éditions La Martinière.
 
Propos recueillis par Dominique Bel, Grand reporter UP Magazine Canada, US, Mexique
 
Des extraits vidéos sur accessibles sur la chaîne YouTube de Monvin’On
 

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