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Hybrides : Réel vs virtuel

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Notre époque a ceci de spécial : elle a fait naître des entités hybrides, situées entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Notre environnement quotidien laisse émerger les balbutiements de cette nouvelle réalité virtuelle. Un enfant de cinq ans sait aujourd’hui déplacer une souris d’ordinateur ; ce qu’il ne sait pas, c’est que, par ce geste désormais ordinaire, il manipule virtuellement des objets immatériels : textes, images ; il opère sur une réalité artificielle, qui est la forme de présentation d’un véritable néo-environnement.

La virtualisation des objets conduit à l’invention de nouvelles modalités pour les définir et les animer, créant ainsi un nouvel espace perceptif où voir, parler, bouger, sentir, ressentir, se déplacer… recomposent la nature même de leurs opérations. Le virtuel crée un état étrange où l’image n’est plus représentation mais présentation, où elle n’est plus figure mais fonction.

Cette situation pose non seulement des questions de savoirs mais aussi d’éthique ; elle appelle en effet des questionnements sur la primauté du virtuel sur le réel, de l’image sur l’objet, de la machine sur l’homme, etc. Mais cette trajectoire entre le réel et le virtuel n’est pas la seule à prendre en compte. Il existe, en effet, une nouvelle redistribution des notions d’objet/image ou de réel/virtuel. Cette redistribution concerne la constitution d’objets virtuels numériquement modélisés qui sont sensibles à leur environnement. Ces objets virtuels peuvent être aussi bien des pièces mécaniques que des paysages, des phénomènes climatiques ou des stratégies économiques.

Ces objets virtuels se comportent alors comme le modèle idéel de l’objet réel. Le virtuel apparaît ici comme une nouvelle dimension du réel, non pas destiné à le remplacer, mais à l’envelopper d’une extension, d’une couche de possibles qui ne sont plus imaginaires : « un concret de pensée » (1) .

virtuelreel2● L’horizon que découvrent les chemins du virtuel n’est pas une ligne qui sépare le réel de ce qui ne l’est pas. Le virtuel ne se déduit pas non plus d’une élévation du réel. Il s’en extrait par continuité ; il n’est pas une arrivée mais un cheminement. Prenons deux exemples qui illustrent cette caractéristique complexe, et d’abord celui du simulateur de vol embarqué dans les avions de chasse. Avec cet appareillage, le pilote voit sur un écran les images virtuelles du paysage qu’il survole. Qu’il fasse nuit noire ou que l’avion vole dans les nuages les plus denses, le pilote aura une image claire et précise du territoire.

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Cette fonction remplit déjà une utilité certaine ; mais, sur l’écran, va se superposer une autre couche d’informations, actualisées en fonction du vol réel : sa trajectoire, la position des postes ennemis, les objectifs à atteindre etc., toutes informations qui ne relèvent pas de la vision directe mais de la connaissance préalablement acquise d’éléments stratégiques significatifs. Dans cet exemple, on voit bien que le réel est vraiment survolé et que des capteurs et balises situent exactement la position de l’avion afin que la concordance entre le réel et le virtuel soit parfaite. Ici, le virtuel ne remplace pas le réel ; il en est une forme de perception, dans une entité hybride où réel et virtuel sont simultanément requis.

Il existe néanmoins des cas où la virtualisation de l’environnement réel est poussée à l’extrême. La NASA développe ainsi un programme de recherche sur les « réalités artificielles » qui porte sur la projection d’un univers virtuel d’images synthétiques sur un écran qui est ajusté, par une visière, directement sur le champ de vision de l’opérateur. L’écran n’est plus surface de projection ou de réception ; il devient organe de vision. Grâce à un gant capteur, la main réelle de l’opérateur est insérée dans l’univers virtuel sous forme d’une image de synthèse. Cette main virtuelle agit sur les objets synthétiques présents dans l’univers. Dans cette expérience, l’espace est impliqué ainsi que les outils qui y sont situés. Seul l’homme est réel, immergé dans une réalité artificielle, téléprésent dans un monde de données.

● Les technologies numériques parviennent ainsi à enchevêtrer de plus en plus finement le réel et le virtuel, au risque absolu de les confondre. « Le danger le plus apparent, c’est de si bien croire aux simulacres qu’on finit par les prendre pour réels. »(2) L’hybridation entre le réel et le virtuel développe une confusion qui touche à la fois aux valeurs et aux fins.{jacomment off}

Simone Weil analysait, dès 1934, ce qui pouvait rendre compte de tout ce qu’il y a d’insensé et de sanglant dans l’histoire. Elle relevait que notre civilisation se caractérise par le renversement des fins et des moyens (3) . Prenant l’exemple du pouvoir, elle remarquait que sa recherche continue par les hommes les rendait impuissants à se saisir de son objet ; la recherche du pouvoir est leur seule fin. Ce renversement des fins et des moyens poursuit toute notre société contemporaine ; il s’amplifie aujourd’hui dans des proportions jamais atteintes, en raison des possibilités prodigieuses que la technologie nous offre de confondre le réel avec ce qui ne l’est pas.

Ce renversement des fins et des moyens s’étend à tous les secteurs de notre vie moderne. Les médias ne mettent plus leurs immenses capacités qu’au service de la recherche de l’information que les autres ont ou n’auront pas. La fin c’est la quête et non l’information. L’industrie ne se met pas au service des hommes, ce sont les hommes qui doivent se plier à sa logique, quelles qu’en soient les conséquences humaines. L’argent n’est plus un moyen pour échanger des biens ou des services, ce sont les biens et les services qui servent à faire circuler l’argent, de plus en plus dématérialisé, à travers des moyens de plus en plus virtuels.

A l’origine, l’argent n’est rien d’autre qu’un signe c’est à dire un moyen ; il est devenu aujourd’hui une fin, comme de nombreux autres signes. La consommation joue sur ce renversement des valeurs en vendant, aujourd’hui, des signes plutôt que des objets ayant une fin. Le virtuel est bien à la source de ce renversement des fins et des moyens car il inverse l’ordre même des valeurs. La notion de réel étant obscurcie, le virtuel en tient de plus en plus lieu, il devient un alibi du réel, il se met à devenir plus réel que le réel.

(1)Jean-Louis WEISSBERG
(2) Philippe QUEAU, Le virtuel
(3) Simone WEIL, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Gallimard, 1955

 

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