Tourisme côtier, pêche, transport maritime, énergies renouvelables : l’économie de la mer ne cesse de gagner en importance, sans toujours faire la une. Pour la première fois, l’OCDE publie des estimations internationales solides sur l’emploi marin, révélant l’ampleur et la diversité de ce secteur. Plus de 100 millions d’emplois sont concernés, avec une forte concentration en Asie et une croissance rapide en Afrique. Mais cette manne pourrait se transformer si les mutations technologiques et écologiques ne sont pas anticipées. Décryptage.
C’est un pan entier de l’économie mondiale qui sort enfin de l’ombre. Selon de nouvelles données de l’OCDE, plus de 100 millions d’emplois à temps plein dépendent directement de l’économie de la mer – un chiffre qui illustre le poids considérable de ce secteur souvent négligé. Du tourisme côtier aux ports en passant par la pêche et les énergies renouvelables, l’économie bleue fait vivre des millions de personnes, principalement en Asie, et façonne l’avenir de nombreuses régions côtières. Mais à l’heure où l’automatisation progresse et où les besoins en compétences évoluent, cet écosystème est en pleine mutation. Ce premier volet d’une série basée sur le Moniteur de l’économie de la mer revient sur les chiffres clés, les tendances régionales et sectorielles, ainsi que les défis qui se profilent pour assurer un avenir résilient et inclusif à ces emplois marins.
Pourquoi l’économie de la mer est-elle importante ?
L’économie de la mer est une composante essentielle, mais souvent négligée, de l’économie mondiale. De la pêche et du tourisme à l’énergie offshore et au transport maritime, elle soutient des millions d’emplois dans des secteurs et des régions très variés. Pourtant, jusqu’à récemment, il n’existait pas de vision cohérente à l’échelle internationale du nombre de personnes employées dans l’économie de la mer. Les nouvelles estimations internationales de du Moniteur de l’économie de la mer, présentées dans le rapport L’économie de la mer à l’horizon 2050, comblent cette lacune en fournissant les premières statistiques cohérentes sur l’emploi dans l’économie de la mer à travers le temps, les activités économiques et les pays.
L’emploi mondial dans l’économie de la mer dépasse les 100 millions d’emplois en équivalent temps plein (ETP)
Entre 1995 et 2020, l’économie de la mer a soutenu de manière constante plus de 100 millions d’emplois ETP dans le monde. L’emploi a culminé à 151 millions en 2006, avec une moyenne de 138 millions sur la période. En 2020, l’emploi mondial dans l’économie de la mer est tombé à 101 millions, sous l’effet de la pandémie de COVID-19. Depuis, des estimations préliminaires suggèrent un rebond en cours vers des niveaux similaires à ceux d’avant 2019. La première estimation, en 1995, était de 122 millions d’ETP – un chiffre relativement bas comparé à la moyenne du XXIe siècle, où le seuil est resté au-dessus de 134 millions.
Quelles activités de l’économie de la mer emploient le plus de personnes ?
Le tourisme marin et côtier, premier secteur d’emploi de l’économie de la mer
La principale source d’emplois dans l’économie de la mer est le tourisme marin et côtier. Ce secteur englobe aussi bien les stations balnéaires que les croisiéristes, sans oublier les activités culturelles. Ces industries ont tendance à être fortement intensives en main-d’œuvre et peu automatisables, ce qui en fait des créatrices d’emplois à l’échelle mondiale. En moyenne, le tourisme marin et côtier représentait environ 60 % des emplois mondiaux en ETP dans l’économie de la mer entre 1995 et 2020.
La pêche et l’aquaculture : deuxième secteur d’emploi, mais loin derrière
Le deuxième employeur en importance – la pêche maritime, l’aquaculture marine et la transformation des produits de la mer – représentait environ 22 % du total des ETP marins, soit un peu plus d’un tiers de la part du tourisme.
Fait intéressant, le tourisme marin et côtier est également, la plupart des années entre 1995 et 2020, le principal contributeur au produit intérieur brut (PIB) de l’économie de la mer. Toutefois, les autres grands contributeurs au PIB ne sont pas automatiquement de grands employeurs. L’extraction pétrolière et gazière en mer, ainsi que les services industriels associés, constituent par exemple le deuxième plus grand secteur de l’économie de la mer en termes de PIB, mais génèrent relativement peu d’emplois en ETP.
L’éolien en mer et les énergies marines renouvelables : un secteur en croissance rapide
Parmi les secteurs les plus récents et à la croissance la plus rapide figure l’éolien et les énergies marines renouvelables. Avant 2000, cette industrie n’existait pratiquement pas à une échelle industrielle. Depuis, une croissance parfois exponentielle de la production a permis à l’éolien de jouer un rôle de plus en plus significatif dans le bouquet énergétique de certains pays. Toutefois, bien que la production augmente rapidement, le nombre d’emplois reste faible à l’échelle mondiale comparé aux autres activités économiques marines, ce qui reflète la jeunesse du secteur dans de nombreuses régions. À mesure que l’industrie se développe et que davantage de pays investissent dans leurs capacités éoliennes maritimes, les ETP devraient augmenter.
Où se situent les emplois de l’économie de la mer ?
La région Asie-Pacifique domine l’emploi marin
L’emploi dans l’économie de la mer est concentré dans les grands centres de population d’Asie. Les pays de la région Asie-Pacifique représentaient plus des deux tiers de l’emploi mondial dans ce secteur. La Chine et l’Inde à elles seules généraient près de 56 millions d’ETP, soit environ 40 % du total mondial.
L’Afrique est la région à la croissance la plus rapide
Bien que l’Asie-Pacifique domine en termes absolus, la croissance des ETP y est restée relativement stable, avec un taux de croissance annuel moyen estimé à -0.9 %. En revanche, l’Afrique a enregistré les taux de croissance les plus élevés entre 1995 et 2020 : 3.4 % pour l’Afrique subsaharienne et 1.8 % pour l’Afrique du Nord et l’Asie occidentale, qui inclut également certains pays du Moyen-Orient. À l’inverse, l’emploi lié à l’économie de la mer a diminué en Europe et en Amérique du Nord, avec des taux de croissance annuels moyens négatifs de 2.2 % et 2.5 % respectivement.
Tendances sectorielles régionales
Dans toutes les régions, à l’exception de l’Asie-Pacifique, de l’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi que de l’Afrique du Nord et de l’Asie occidentale, les plus forts taux de croissance annuels moyens d’ETP ont été enregistrés dans l’extraction pétrolière et gazière en mer et les activités associées, malgré leur contribution relativement faible à l’emploi total régional. Le transport maritime et les ports ont affiché les croissances les plus impressionnantes dans la région Asie-Pacifique et en Afrique du Nord et Asie occidentale, où le tourisme marin et côtier reste toutefois dominant en volume d’emplois.
L’analyse montre que les plus grands employeurs de l’économie de la mer dans chaque région ne sont pas forcément ceux qui connaissent la plus forte croissance. Dans le tourisme marin et côtier – principal employeur de l’économie de la mer dans toutes les régions en volume – la croissance moyenne des ETP n’a été positive que dans deux régions. En Afrique subsaharienne, la croissance annuelle moyenne des ETP dans ce secteur s’élève à 3.7 %, légèrement au-dessus de la pêche maritime, de l’aquaculture marine et de la transformation des produits marins, qui se situent à l’avant-dernière place. En Amérique latine et dans les Caraïbes, le taux de croissance du tourisme marin et côtier est limité à seulement 0.5 %.
L’avenir de l’emploi dans l’économie de la mer : automatisation, compétences et résilience
Employeurs et salariés devront faire face à de nombreuses opportunités et défis dans les décennies à venir, l’économie de la mer étant en pleine transformation technologique. Des avancées comme les véhicules autonomes ou la logistique portuaire assistée par l’IA entraînent des gains de productivité, tout en remplaçant certains rôles traditionnels comme les dockers ou les membres d’équipage. Dans le même temps, de nouveaux secteurs comme l’éolien en mer ou la biotechnologie marine génèrent une demande croissante en compétences spécialisées, qui pourrait dépasser les capacités actuelles de formation et créer des pénuries critiques. Dans les communautés côtières notamment, les emplois locaux liés aux services marins et maritimes peuvent aussi être menacés par des externalisations nationales ou internationales.
Ces pressions grandissantes soulignent l’urgence pour les gouvernements et les entreprises d’investir dans une planification proactive, des stratégies inclusives de montée en compétences et des dispositifs d’accompagnement pour les travailleurs vulnérables, afin de bâtir une main-d’œuvre résiliente et prête pour l’avenir de l’économie de la mer.
Comment l’OCDE mesure l’emploi dans l’économie de la mer
Les défis de la collecte des données sur l’emploi marin
Mesurer l’emploi dans l’économie de la mer est complexe. De nombreux emplois marins, comme dans la pêche artisanale, échappent aux enquêtes officielles sur la population active et ne sont pas toujours inclus dans les statistiques du travail. De plus, l’économie de la mer se recoupe avec d’autres secteurs dans les classifications industrielles, ce qui complique son identification dans les statistiques officielles.
Une méthode d’estimation fondée sur des proxys
Pour surmonter ces obstacles, l’OCDE a développé une méthode utilisant des proxys pour ventiler les statistiques disponibles dans des catégories plus larges. Cette méthode repose sur la comparaison de la production économique marine avec celle de secteurs similaires non marins. Par exemple, si la production de la pêche et de l’aquaculture marines représente X % de la production du secteur agriculture, forêt et pêche, cette proportion sert de base pour estimer les emplois dans la pêche et l’aquaculture marines à partir des données d’emploi globales de ce secteur. Ce raisonnement est appliqué à l’ensemble des activités économiques de l’océan.
Des équivalents temps plein pour des comparaisons internationales
L’emploi peut être mesuré de différentes façons. Nous estimons l’emploi en ETP directs : l’ensemble des heures travaillées dans les activités économiques marines est agrégé puis divisé par un nombre standardisé d’heures de travail à temps plein pour chaque pays. Nous utilisons une combinaison de données sur la valeur ajoutée brute, le nombre de personnes employées, les heures travaillées et les rémunérations pour modéliser les ETP. Bien que les travailleurs informels puissent rester sous-estimés, cette approche fournit des statistiques cohérentes et comparables entre pays et secteurs.
Et ensuite ? Le programme de travail de l’OCDE sur l’économie de la mer
Cet article est le premier d’une série basée sur le Moniteur de l’économie de la mer. Si ce premier volet est centré sur l’emploi, les travaux à venir s’intéresseront aux tendances de productivité dans les différentes activités de l’économie de la mer. La croissance de l’emploi, souvent plate ou négative, laisse en effet présager des gains de productivité. Les premières recherches de l’OCDE suggèrent que, si la productivité du travail (valeur ajoutée sur les heures travaillées) s’est améliorée, le tableau devient plus nuancé lorsqu’on prend en compte d’autres facteurs économiques comme le capital fixe.
L’économie de la mer n’est plus une zone floue dans les radars économiques mondiaux. Grâce aux données de l’OCDE, on sait désormais mieux qui travaille dans ce secteur, où, et dans quelles conditions. Mais les défis ne manquent pas : automatisation des ports, montée en puissance des énergies marines, besoin urgent de formation dans les métiers techniques… Si rien n’est fait, des millions de travailleurs risquent d’être laissés à quai. L’heure est donc à la mobilisation : gouvernements, entreprises et communautés côtières doivent s’unir pour transformer ces mutations en opportunités. L’avenir de l’économie bleue se joue dès aujourd’hui.
Diane Jolly, Chef d’unité, économie des océans et de l’espace | Direction de la science, de la technologie et de l’innovation (OCDE)
et James Jolliffe, Économiste/analyste politique | Direction de la science, de la technologie et de l’innovation (OCDE)
Pour aller plus loin :
Photo d’en-tête : Economie de la mer /activités touristiques – Photo ©WWF