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économie de l'innovation

Le facteur de production invisible

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L’insight de la French philosophy

La philosophie d’après-guerre et « post-soixante-huitarde » tourne le dos au marché. Elle flirte avec le marxisme (Sartre) ou s’en éloigne, mais conserve toujours un a priori contre le miracle de l’économie. Keynes est passé par là, malgré lui. Sa critique du sous-emploi, qui ne finit pas par ne point être résorbé, alimente une profonde méfiance contre le libéralisme économique assimilé au « capitalisme ». La French therory post-sartrienne (Foucault, Derrida, Deleuze, …) reste marquée par cet héritage.

Curieusement, ce courant d’idées a fleuri aux Etats-Unis, là où beaucoup considèrent que la vie s’épanouit principalement dans le business. Les universités américaines préparent à ce sacerdoce, mais, entre 1980 et 2000, certains de leurs départements se sont entichés des analyses moléculaires françaises. Elles ont rejeté les dualismes molaires homme/femme, blanc/noir, homo/hétéro, au nom de la disidentification. Certains esprits en vinrent à voir dans le capitalisme outre-Atlantique une machine à exterminer la différence, dixit Jean Baudrillard. Suivant Foucault, on critiqua toute autorité, petite ou grande, même officieuse. Le pouvoir du concierge autant celui du patron ou de l’homme politique. Tout ce qui dé-totalise, dé-universalise et différencie à l’extrême fut loué dans les campus alors que le gros de la population, plongée dans la vie économique réelle, se méfiait de ces academics qui ne vénéraient plus autant le profit et n’avaient cure du confort matériel (8).

Pourquoi certains campus américains se sont-ils entichés des idées françaises ? Voyons les textes.

Dans La critique de la raison dialectique, Sartre rappelle que la rareté fonde la possibilité de l’histoire humaine. Rien de très nouveau. Hobbes l’affirmait déjà au XVIIe siècle. La rareté entraîne le conflit qui peut être réduit en favorisant l’économie de marché qui reconnaîtra les talents et élèvera le bien-être. Sartre ne va pas aussi loin, mais il essaie de comprendre autrement comment les hommes réagissent à la rareté. La nécessité pousse les individus à ne pas rester groupés simplement côte à côte. A la différence de personnes alignées en série à un arrêt de bus, il leur arrive, non seulement de converser mais aussi de participer ensemble à un processus créatif.

Sartre évoque la prestation de serment des députés du Tiers Etat dans la salle du jeu de Paume en 1789. En jurant de donner à la France une Constitution, ils quittent l’état de masse inerte (pratico-inerte) pour devenir un groupe réel sans que le groupe devienne lui-même sujet au détriment des sujets individuels. La quasi-souveraineté n’est jamais pouvoir totalisé du groupe sur ses membres, ni non plus pouvoir successif de chacun sur tous. Bien que marqué par le marxisme, Sartre n’entend pas rompre les cloisonnements au bénéfice d’un tout trop organisé. La totalisation doit rester indéfiniment ouverte. Alors que le contrat social n’a pour effet que de réunir des moi séparés, le serment les entraîne dans l’effervescence à faire l’histoire (9).

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Cette idée d’une émergence inter-individuelle se précise chez Deleuze et Guattari. Les collections d’individus se font et se défont en fonction d’alliances provisoires. La contingence et l’évanescence prennent davantage de poids. C’est parce qu’elles sont mobiles et éphémères que les constellations micro-sociales s’opposent aux mouvements de masse. Ces mouvements sont de faux mouvements. Ils sont décidés centralement et mettent en marchent des individus sérialisées. Les vrais mouvements débouchent sur des connexions, des carrefours multiples, pouvant relancer l’action et faire boule de neige… Ce sont des nœuds susceptibles d’être défaits et refaits autrement sans cesse (10) … Nos auteurs dénoncent « le capitalisme » en lui reprochant d’être, parmi d’autres, une forme d’institution figée. Aussi changeant qu’il soit en apparence, le capitalisme figerait les individus au lieu de les dynamiser.

Ce discours de reconfiguration sociale trouva un écho en France dans la vision de l’entreprise conçue comme lieu de l’autogestion. Dans les années 1970, on rejeta l’organisation paramilitaire de l’entreprise. L’autogestion deviendra le marqueur idéologique d’un syndicat et d’un parti politique, mais en dehors de l’entreprise fabricatrice de montres, Lip, cette réflexion fit flop dans le pays. Il y a plusieurs raisons : 1/ la façon de présenter les choses était trop radicale, trop manichéenne, malgré la richesse des idées ; 2/ on parla de l’émancipation de l’individu en soi, voire de la libération en soi, mais on ne s’inquiéta nullement des modalités et de l’effet de cette libération sur l’entreprise (le mot de « productivité » était haï) ; 3/ on refusa de voir la nécessité d’une éthique dans le travail, aussi nouvelle que soit la redéfinition du travail : il ne suffit pas de vouloir rompre une certaine forme de subordination : la sortie de l’aliénation implique la confiance autant que la loyauté, le partage de l’information autant que celui des valeurs (discipline, ponctualité, sens des responsabilités, investissement dans le travail, respect des personnes autant que des biens, …) ; 4/ on ignora l’intérêt de travailler en réseau, sur place ou à l’étranger (l’étatisme français avait créé dans la société un excès d’individualisme ; il y avait des organisations intermédiaires, mais très peu d’agencements nouveaux).

Ce qu’on sait trop et sait moins

La philosophie française a eu une intuition, mais ses vues n’ont guère débouché sur des réalisations concrètes. Ses idées ont peu secoué la surface de production des entreprises de l’hexagone. Rien ne la tire vraiment vers le haut. Il faut aller en Californie pour voir fleurir des entreprises révolutionnaires comme Google, Amazon, Paypal, Facebook. Il faut aller en Allemagne, dans la région de Stuttgart, pour découvrir le Mittelstand, cette galaxie de petites et moyennes entreprises qui emploient outre-Rhin plus de 70 % des effectifs privés. Les PME allemandes savent travailler en réseau chez elle et en meute à l’étranger. Elles savent créer entre elles a kind of crowd intelligence, basée sur l’échange d’informations. Elles savent exalter les vertus du travail, la compétence, la fiabilité, la rapidité, sans parler de l’encouragement à progresser vers les plus hautes fonctions (11). L’absence de prestigieux diplômes n’est pas un frein à la promotion ; il n’est pas rare de voir des ingénieurs maison finirent par diriger les entreprises où ils ont reçu le gros de leur formation. Le directeur d’Airbus est un exemple.

Dans ces constellations nouvelles, le style du travail est plus décontracté, à l’image des nouvelles façons de s’habiller et de venir au travail en Californie. Il n’a pas fallu attendre pour que le Friwear (Friday wear) puisse entrer dans les mœurs. Les rapports sont devenus moins hiérarchiques, moins convenus, les personnes moins sérialisées. Le statut compte beaucoup moins que le rôle. L’entreprise encourage ses membres, au lieu de les critiquer et de les punir dès le début. Il n’est pas étonnant que des milliers de jeunes ingénieurs français se soient rués vers ces mines d’or des nouvelles formes d’organisations comportementales. Malgré la forte compétitivité et l’exigence du travail, chacun voit ses degrés de liberté augmenter, et non diminuer par excès d’encadrement et de méfiance généralisée.

Tout cela est connu. Depuis Montesquieu et Tocqueville, la France n’a cessé de décrire et d’admirer ce que les autres font et défont admirablement. Les Français répugnent au savoir-défaire pour retrouver un nouveau savoir-faire et être, mais les choses changent en France lentement mais sûrement. La culture économique évolue, à commencer par la critique de l’inertie. Qui aurait pensé voir un ouvrage tel que Le socialisme de l’excellence avec pour sous-titre Combattre les rentes et promouvoir les talents ? Son auteur, Jean-Marc Daniel, est considéré comme un ultra-libéral de gauche.

Jean-Marc Daniel rappelle un principe : le prix d’équilibre, égal au coût marginal (le coût de la dernière unité produite) couvre le coût moyen, élimine les rentes, rémunère les facteurs de production à la réalité de leur efficacité et fournit au consommateur les éléments d’information dont il a besoin. Conséquence ? Au lieu de s’enferrer dans la lutte des classes, envisageons plutôt celle entre les rentes et les talents. Qu’on supprime les rentes et favorise les talents, voilà ce dont a besoin et la société et l’entreprise ! On en revient sans le dire à Hobbes et au bon sens. Certes, la rente n’est pas en économie un mal en soi. C’est un avoir, associé à l’idée d’un bien devenu rare (ex. l’air qui n’est plus gratuit aujourd’hui en raison de la pollution atmosphérique). Mais cet avoir peut générer un revenu injustifié en fournissant à son possesseur des produits ou services surévalués. Il ne suffit pas de penser aux monopoles publics autant que privés et aux ententes illicites. Il faut élargir la perception à toutes les positions acquises et protégés par des statuts contre la concurrence. Professeur lui-même, l’auteur décrie les rentes d’imposture universitaire, certains de ses collègues consacrant leur vie à la critique négative et vaine, voire nihiliste, comme leur reprochait déjà Schumpeter, craignant l’effondrement des barrières à l’entrée qui pourraient menacer, dans leurs écoles, leurs postes, pour ne pas dire leurs postures.

Le talent participe au facteur ε qui s’ajoute aux facteurs de production traditionnels, – la terre, le capital et le travail. Jean-Marc Daniel cite à cet égard Rousseau (L’Etat enrichit les fainéants de la dépouille des hommes utiles) et le socialiste Fourier qui, avec Jean-Baptiste Say, est l’un des premiers à insister sur la composante immatérielle de la production. Qui évalue le talent ? Troublante question. Qui évalue les évaluateurs ? L’auteur souligne que le marché fournit des critères d’évaluation sans avoir à les multiplier de façon arbitraire. Grâce à l’émergence objective des talents (celle des talents authentiques), chacun aura la possibilité, s’il le souhaite, d’atteindre le bien-être physique auquel il aspire dans les choix de vie et de consommation (12). Ces propos d’économiste font écho à ceux d’un juriste qui décrivait déjà, dans les mêmes termes, l’esprit et le droit de la société capitaliste française :
« On dit que les officiers ont la propriété de leur grade, les professeurs, la propriété de leur chaire, et beaucoup d’autres fonctionnaires, employés, ouvriers voudraient se faire attribuer la propriété de l’emploi qu’ils occupent. La langue traduit l’esprit du droit. Il s’agit de donner aux droits individuels la fermeté du droit de propriété. Mais si tous prennent la physionomie du propriétaire, n’est-il pas à craindre que, transformés en possédants, ils ne perdent l’esprit d’entreprise pour devenir de simples rentiers ? »

Mais encore ?

Entre les structures établies, il faut des lignes de fuite, estimait Gilles Deleuze. Il faut qu’elles puissent faire rencontrer des éléments divers, irréductibles aux uns et aux autres. Expérimentez chaque fois un agencement d’idées, de relations et de circonstances de nature hétérogènes. Substituer le ET au EST. A et B. Le ET, comme extra-être, inter-être. Il s’agit bien de comploter, de faire conspirer tous les éléments d’un ensemble non homogène. Les structures sont liées à des conditions d’homogénéité, mais pas les agencements. L’agencement, c’est le co-fonctionnement. Deleuze ne parle pas de l’entreprise, au sens d’entreprise sur un marché. Sur ce point, il reste prisonnier des préjugés de la société française, il reste dans son homogénéité, mais son accent sur les mélanges des genres qui s’entrechoquent, se s’interpénètrent sans se figer révèle une exigence foncière de la créativité des entreprises. Il n’existe pas d’agencement fonctionnant sur un seul flux. Ce n’est pas une affaire d’imitation, mais de conjonction (14). Nous restons, il est vrai, dans la métaphore et dans l’abstrait. Nous sommes loin de la fonction de production et de sa dérivée, la croissance. Loin de son équation de surface KαL1-α, mais nous y revenons via l’insight de la culture nord-américaine. L’Amérique demeure à l’écoute du monde des affaires. L’innovation est analysée, voire modélisée, à l’aune des mathématiques et de la physique.

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Commençons par la physique (15). Les positions affichées dans une entreprise peuvent apparaître comme des particules statufiées par l’observation. L’entreprise, dans son ronron, a perdu la capacité d’être à la fois onde et particule. Elle n’explore plus l’espace des solutions. Son mangement routinier a réduit toutes les options possibles alors qu’il est de ses intérêts qu’ils ne soient ne pas trop vite définis. Ceux-ci ont besoin d’être approfondis à plusieurs. Les mêmes intérêts peuvent faire l’objet de différentes interprétations. L’on sait qu’on ne peut connaître en même temps la position et la vitesse d’un électron. Dans l’entreprise, il est impossible de focaliser son attention à la fois sur le contenu d’un projet et sa direction. S’occuper de la comptabilité, rechercher des clients, solliciter des fonds, régler les multiples problèmes relationnels, ne laisse guère de place à l’imagination pour innover. La division du travail allège les tâches, mais ne permet pas, à elle seule, de redynamiser l’entreprise. Il faut entendre d’autres perspectives, concevoir d’autres façons de penser, à l’instar de l’entreprise japonaise de travaux publics qui imagina de démolir les bâtiments en commençant par le bas et non par le haut.

Nous filons toujours la métaphore, mais la référence à la physique quantique éclaire l’idée que l’absence apparente de solutions découle de leur trop plein et de notre incapacité à les distinguer en raison de la rareté des angles d’attaque. Il n’y a pas d’ultra-solutions, ajoute un autre Américain, versé dans la psychologie. Twice as much is not twice as good. L’Etat-providence, the nanny-state, assure la sécurité plus qu’il ne faut mais entrave la liberté d’entreprendre. How more of the same can become something else. Ne vous enfermez pas dans la répétition nuisible et évitez de penser toujours à la façon d’un jeu à somme nulle où la perte de l’autre signifierait mon gain ! Les ultra-solutions débouchent sur des compromis sub-optimaux si vous commencez à dire: I know what you are thinking. L’usage d’un même langage peut créer cette illusion alors que the other was not necessary wrong, but was thinking, differently. Vos partenaires ont une architecture mentale différente, leurs perspectives et leurs interprétations de la réalité appréhendent peut-être ce que vous en voyez pas. L’auteur en prétend pas être original, mais il n’est pas inutile parfois d’être basique avant de se référer aux mathématiques (16).

Dans The Difference, paru en 2007, Scott E. Page s’interroge sur How the power of diversity creates better groups, firms, schools, and society. L’auteur entend démontrer que la diversité des produits produit des bénéfices si certaines conditions sont respectées. A l’analyse, deux résultats s’imposent :
1/ Théor.1 (Diversity Prediction Theorem) : Les prédictions fondées sur l’ability (QI, diplômes plus ou moins prestigieux, appartenance à des promo ou à des réseaux, etc.) ne sont pas aussi fructueuses que celles fondées sur la diversité, considérées jusqu’ici comme peu significatives. Ability and diversity enter the equation equally. Il ne s’agit pas d’un political statement, mais un résultat mathématique (17);

2/ Théor. 2 (Crowds Beat Averages Law) : un groupe de personnes interprétant différemment la réalité est amené à prédire plus justement que des modèles basés sur des informations indépendantes (ex. sondages). Ce qui est en cause dans ces modèles est l’information agrégée. Ce sont des modèles du bruit (noise) qui présupposent que la somme des opinions aléatoires finissant par éliminer l’élément purement individuel au profit d’une vue générale (annulation de plein petits + par plein de petits -).

L’ability est définie comme la capacité de fournir une réponse, sinon complète, du moins juste, précise. Pour démonter son théorème 1, Scott E. Page formule un certain nombre de conclusions intermédiaires jouant le rôle de lemmes. L’une nous dit ceci : la diversité l’emporte (trumps) sur l’homogénéité. Prenez un groupe de personnes de qualifications identiques, partageant les mêmes perspectives et les mêmes outils d’analyse (par ex., des ingénieurs ou des fonctionnaires formatés par la même école). Demandez-leur de résoudre tel problème. Le résultat sera peu ou prou le même, que les participants soient isolés ou regroupés. Considérez le même nombre d’individus mais ne partageant pas les mêmes vues et les façons d’aborder la question (par ex. : des ingénieurs de différents types d’écoles, voire des ingénieurs formés sur le tas, ou de différents types d’entreprise, de secteur ou de taille différente). Au lieu que chacun s’arc-boute sur son optimum local, le groupe met en marche un processus qui permet d’enrichir les optima locaux, entrevus çà et là, et d’aboutir à un optimum global (la solution). Le 1er théorème étend la portée du lemme : la diversité l’emporte sur la qualification même, même en présence d’un problème difficile. Sans doute, un groupe de chimistes ne pourrait guère bénéficier de l’adjonction d’un poète dans le groupe, mais un physicien ou un mathématicien pourrait faire l’affaire. Sans doute, un groupe de gens divers sachant jouer aux échecs ne pourrait guère battre un champion, mais un groupe d’étudiants américains, ayant obtenu des résultats scolaires moyens mais ayant vécu d’autres expériences, peut davantage trouver la solution qu’un groupe d’étudiants sortis des meilleures universités transformant leur quasi-similitude en vérité conforme (18).

La théorie de la moyennation du bruit repose sur l’idée que chaque individu i dispose d’une information indépendante T à laquelle est accolée une petite erreur subjective Ei. L’ensemble constitue un signal, Si = T+Ei. Soient n individus. Leur prédiction collective sera la somme algébrique de leurs prédictions individuelles, chacune pouvant être affectée du signe + ou -, soit Tgroupe = T1+E1 + T2+E2 + T3+E3 + T4+E4 + … + Tn+En, soit Tgroupe = T + ΣEi, i allant de 1 à n. Ce modèle n’est crédible que si n est un nombre très élevé, comme l’exige la loi des grands nombres. Cette condition n’est pas toujours réalisée. Le modèle comprend, en outre, une boite noire, car on ignore d’où viennent les données. L’information T, acquise hors influence, est censée représentée la moyenne correcte. Comment le sait-on ? Rousseau, qui adopta ce modèle pour expliquer l’émergence de volonté générale, renvoyait à la voix de la conscience quand celle-ci n’est plus bruitée par les passions particulières. Ce sont beaucoup de conditions pour espérer que la raison se fasse entendre dans de petits groupes ! Scott E. Page croit davantage en leur sagesse lorsqu’ils sont constitués d’individus dotés d’un modèle prédictif propre. Chacun doit être expert dans son domaine (il ne suffit pas d’être choisi au hasard pour appartenir au groupe). Chaque savoir spécifique est comme une projection mathématique. Chaque interprétation peut être considérée comme un sous-ensemble de plusieurs dimensions (à l’instar, nous l’avons vu, de la projection des courbes de niveau sur un plan). La prédiction collective sera meilleure que les individuelles si des dernières demeurent des projections partielles qui ne se chevauchent pas (non overlapping projections interpretations). Cette exigence doit assurer l’indépendance des prédictions.

A l’appui de son second théorème, Scott E. Page procède comme en statistiques. Il élève les erreurs des prédictions individuelles au carré afin que les erreurs positives et les erreurs négatives ne s’annulent pas (par ex, pour éviter -5 et +5=0, il calcule : (-5)2 + 52=50). Ce qu’il appelle la prediction diversity (prédiction d’un groupe diversifié) n’est autre que la moyenne des variances des prédictions individuelles, chaque variance mesurant l’écart au carré entre chaque prédiction individuelle et la moyenne des prédictions individuelles. La prediction diversity mesure l’écart au carré entre les prédictions individuelles et la prédiction du groupe. D’où la reformulation des résultats comme suit (19) :

collective error = average individual error – prediction diversity

collective prediction error < average individual error

Ainsi, être différent est aussi important que savoir (being different is as important as good). Un groupe diversifié génère une prédiction plus fiable que la moyenne d’un groupe plus homogène. Certes, l’opinion d’un expert sera plus adaptée en moyenne que chaque opinion particulière (son erreur élevée au carré sera moindre), mais il importe de souligner que l’opinion de l’expert ne sera pas plus précise dans chaque cas. L’auteur ajoute avec assurance que ces conclusions ne sont nullement remises en cause par l’argument suivant lequel la préférence collective ne saurait refléter les préférences individuelles (ordonnées en a>b ou a< b comme le suggérait von Mises). Cet argument remonte à Condorcet. Il a été généralisé par le théorème d’Arrow, mais, dit-il, il y a lieu de ne pas confondre deux types de préférences : les préférences fondamentales et les préférences sur les moyens (instrumental preferences). Les premières portent sur les fins, assimilables aux positions décrites dans le cadre de la négociation raisonnée. Les secondes portent sur les intérêts. L’entente sur les premières crée des problèmes. L’entente sur les secondes beaucoup moins, puisque les intérêts se marchandent.

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