Le gouvernement annonce l’initiative « 4 pour 1000 » qui place l’agriculture comme levier majeur pour absorber les gaz à effet de serre. Encore faudra-t-il que les pratiques nouvelles s’affranchissent des produits pétroliers et fossiles (carburants, phytosanitaires, engrais) et misent sur des sols vivants. De quoi contribuer à la fois à la sécurité alimentaire et à la lutte contre le réchauffement climatique.
Nos champs et nos forêts sont capables, à eux seuls, d’absorber la totalité du gaz carbonique émis par nos industries et modes de vies. Le levier est colossal et le Ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, le mobilise en annonçant ce 1er décembre la coalition pour l’initiative « 4 pour 1000 » dans le cadre de la COP21. Il s’agit de miser sur les sols comme puits de carbone. Le cap est de faire gagner quatre grammes par an de matière organique à chaque kilo de terre pour améliorer les capacités de séquestration du CO2. Après des décennies où les sols ont été négligés, regardés comme de simples supports, on confirme ici que sortir de l’agriculture intensive c’est entrer dans un cercle vertueux.
En cette année déclarée par la FAO, « année internationale des sols », le ministre vise juste. Les spécialistes des sols que sont Lydia et Claude Bourguignon qui ont quitté l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) il y a vingt ans prônaient cette urgence ! Sur un sol agricole d’agriculture conventionnelle on perd en moyenne « 10 tonnes de sol par hectare et par an » estime Claude Bourguignon (dans certains cas, on atteint 100 tonnes par an et par ha dans les zones où le sol est plus fragile ; exemple : bassin de la Canche dans le Pas-de-Calais, au nord de la France). Il est temps d’inverser la tendance !
« Ce projet concilie objectifs de sécurité alimentaire et lutte contre le réchauffement climatique, estime Laurence Tubiana, ambassadrice pour la France chargée des négociations sur le changement climatique. Il permet d’engager dans la COP21 les pays qui se sentent peu concernés, notamment dans les régions arides et semi-arides du continent africain ». Quarante Etats dont l’Ethiopie, le Niger, le Maroc, le Mexique ou l’Indonésie se sont déjà ralliés à cette dynamique, lancée en mars dernier par un programme international de recherche. Car il faut arriver à bien caractériser les pratiques culturales aptes à restaurer, améliorer la fertilité de sols abîmés, devenus abiotiques (sans vers de terre, bactéries, champignons, insectes…). Les deux recettes clés sont de couvrir les sols en permanence en pratiquant des semis directs sous couvert (sans labours) et de faire des rotations culturales où l’on vise à la fois la production de grains mais aussi la régénération des sols (recours aux légumineuses qui fixent l’azote et évite l’usage d’engrais).
A l’échelle mondiale, on estime que 24 % des sols sont dégradés. La FAO estime à 1,2 milliard de dollars la perte économique en grains liée à la dégradation des sols.
Lors du colloque Agriculture et bioéconomie, des solutions pour le climat, organisé par le Think Tank Saf Agr’Idées le 18 novembre dernier, Jean-François Soussana, directeur scientifique environnement à l’INRA – et promoteur de cette politique de 4 pour 1000 – a indiqué que le potentiel de stockage des sols est estimé a 3,4 milliards de tonnes de carbone (Les sols contiennent un stock de carbone équivalent à 2,6 fois celui de l’atmosphère).
« 89% du potentiel d’atténuation de l’agriculture est dans nos capacités techniques » a-t-il indiqué. Christian Rousseau, président délégué en charge de l’agriculture et de l’innovation du groupe coopératif Vivescia, a souligné la diversité de performances des exploitations agricoles. Il a fait référence au travail d’investigation réalisé par l’institut de l’agriculture durable (IAD) avec son « radar Indiciades » auprès de 119 éleveurs et céréaliers. Elle prouve que les fermes peuvent stocker 700 kg de carbone par hectare et par an. Mais seulement celles qui pratiquent une agriculture de conservation : non travail des sols, couverts en permanence qui arrêtent l’érosion, legumineuses en interculture et rendements élevés. Cela correspond de 2 à 5% des exploitations françaises !
La moitié des exploitations stockent les gaz à effet de serre (GES) tandis que d’autres les déstockent. Pour celles qui sont des stockeuses, la performance est bonne puisque chez les éleveurs, on obtient 0,9 tonne de carbone stockée par hectare et par an et 100 kg d’azote /ha/an. Les céréaliers semblent avoir des performances moindres avec 0,7 tonne de carbone stockée/ha/an et 70 kg d’azote fixé/ha/an (qui est soustrait au lessivage). « La démonstration c’est que le cap proposé par Stéphane Le Foll est déjà atteint par certaines exploitations qui pratiquent des couverts végétaux avec des féveroles, radis, avoine et laissent les pailles au sol » remarque Christian Rousseau. Pour ce spécialiste de l’innovation agricole, on découvre la multiplicité des vocations de l’agriculture qui, par son activité peut non seulement nourrir mais aussi compenser les émissions de GES, fournir de l’énergie et une biomasse utile pour sortir du pétrole en proposant une chimie biosourcée.
Chacun saisit que les solutions judicieuses seront toujours affaire d’équilibre. Les agriculteurs savent qu’ils ont aussi un objectif de faire baisser leurs propres émissions de GES qui s’élèvent à des 91 MteqCO2/an (soit 19% des émissions de GES de la France). Leurs actions visent à faire baisser le protoxyde d’azote émis par les engrais azotés, les effluents d’élevage, les résidus de culture, le méthane de la digestion des ruminants et les consommations d’énergie. Pour Olivier de Bohan, président de Cristal Union, on pourrait s’acheminer vers des groupements agricoles qui produisent leur propre biogaz. On a vu d’ailleurs, lors de l’exposition universelle de Milan, la présentation de tracteurs au biométhane par New Holland. Partenaire du constructeur depuis 2013 pour l’expérimentation de ses prototypes, la ferme italienne La Bellota illustre ce concept d’autonomie, puisque le biogaz est fabriqué à partir de ses propres déchets agricoles.
Olivier Compès, directeur régional d’ERDF, souligne l’intelligence des territoires où les pratiques se métamorphosent. « IKEA fait ses livraison avec du biométhane, Carrefour a annoncé l’achat de 200 camions de livraison au biométhane et plus de 350 projets agricoles demandent un raccordement au réseau », précise-t-il.
L’agro-écologie semble aussi s’imposer sans forcément dire son nom. Un sondage effectué par le Ministère de l’agriculture indique que « 45%des agriculteurs français ont le sentiment d’être déjà engagés dans ce type de démarche. 93% des agriculteurs déclarent avoir mis en place au moins une de ces six démarches qui caractérisent l’agro-écologie et 72% à s’être engagés dans au moins trois : limiter les intrants (76% ), améliorer la qualité des sols et limiter l’érosion (71% ) sont les démarches les plus citées comme mises en application.
Pour Olivier de Bohan, « Nous allons avoir besoin de maintenir des agriculteurs partout sur le globe ! Moins il y aura d’agriculteurs dans le monde, plus on s’éloignera de ces objectifs ». Une invitation qui semble en phase avec les analyses des stratèges de la CIA qui prédisaient il y a dix ans. « Nous allons passer de la géostratégie du pétrole à celle de la terre ». Propos que ne contredirait pas Christophe Rupp Dalhem, président de l’association de chimie du végétal, qui insiste pour dire que si l’agriculture peut fixer le carbone dans les sols, elle est aussi la mère de la chimie du végétal qui permet de s’affranchir du pétrole. D’une pierre deux coups donc : « Cultiver c’est dé-carboner l’atmosphère et dé-fossiliser notre économie ».
Dorothée Browaeys, Rédactrice en chef adjointe
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