Maintien du confinement : L’euthanasie de notre vie démocratique risque d’aboutir à la sédition

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Le Premier ministre Jean Castex a annoncé ce jeudi 12 novembre un prolongement du confinement dont les modalités resteront inchangées pendant encore deux semaines au moins. Face à la gravité de la situation, l’union nationale devrait l’emporter mais, au contraire, l’action du gouvernement est de plus en plus sujette aux critiques et à la contestation ; plus qu’au printemps dernier. Parmi ces critiques, une voix se fait entendre : celle d’Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’Université Paris-Saclay. Pour lui, la stratégie « palliative et sédative » de maintien du confinement, pourrait aboutir à une forme d’« euthanasie de notre vie démocratique » ouvrant le risque d’une sédition populaire.

Gouverner autrement que dans la contrainte

Au sortir du premier confinement, je citais le dictionnaire Larousse qui en propose cette juste définition : « Confinement : ensemble des conditions dans lesquelles se trouve un explosif détonant quand il est logé dans une enveloppe résistante. » Cette enveloppe, jusqu’à présent résistante ou résiliente, apparaît aujourd’hui dans l’incapacité de résister plus longtemps aux tensions sociales qui s’expriment à la fois dans l’incompréhension de choix gouvernementaux, peu justifiables, et leurs conséquences humaines désastreuses.

À la tenue d’un Conseil de sécurité sanitaire ce 12 novembre 2020, afin d’évaluer les premiers résultats tirés des mesures restrictives deux semaines après que le deuxième confinement ait été imposé, il eut été préférable de rendre enfin publique une stratégie pour mobiliser autrement que dans la contrainte.

L’obstination à tenter de maintenir un mode opératoire adossé à des convictions partagées dans le huis-clos de débats dont on ignore les déterminants, ne résistera pas à notre exigence de démocratie.Après dix mois de confrontation au Covid-19, n’y avait-il pas de justes raisons à renoncer à la godille, aux improvisations désordonnées qui délitent la société, tant le manque de cohérence et de principes d’action explicites dans les arbitrages gangrène l’esprit de confiance et meurtrit les plus vulnérables ? Le Premier ministre annonce aujourd’hui qu’il maintient le status quo des dispositifs en vigueur, manière pour lui d’assumer ses responsabilités en dépit des critiques et des contestations que suscite l’argumentation même des justifications avancées par le gouvernement.
Il n’est pas juste d’admettre que nous ne pourrions pas faire autrement, que d’autres pays ne sont pas parvenus à de meilleurs résultats, que l’unité nationale requiert de notre part une discipline et une sage soumission à des mentalités, des logiques, des diktats et des pratiques déterminés par la menace pandémique. La liberté critique, la capacité de proposer des modalités d’intervention qui n’ont pas été explorées ou prises en compte faute de concertation, ou plutôt faute d’attention à ce qui dans la réalité se met en œuvre pour nous éviter le pire, n’est pas une insulte à l’égard d’une gouvernance dont on sait les dilemmes et les impératifs. Mais l’obstination à tenter de maintenir un mode opératoire adossé à des convictions partagées dans le huis-clos de débats dont on ignore les déterminants, ne résistera pas à notre exigence de démocratie. Le risque accru, du fait même de propos d’autorité distillés par les instances publiques, sentencieux, culpabilisateurs, parfois accompagnés d’une forme de compassion désormais peu crédible, est que l’esprit de dissidence compromette définitivement l’exigence de prudence et de retenue dans nos pratiques sociales.

L’équilibre n’a pas su être trouvé entre l’intégration des risques pandémiques à l’organisation de la société sur un temps long, et la préservation des essentiels d’une société démocratique qui, précisément, conditionnent la soutenabilité d’un engagement dont nul n’ignore le coût. Ce que le gouvernement a estimé d’une moindre importance, et parfois même déconsidéré, nous est indispensable au point que nous ne pourrons pas accepter plus longtemps d’y renoncer. Car ce qui aujourd’hui nous apparaît comme un désastre, c’est le caractère irréversible et irréparable de choix sélectifs inconsidérés.

Injure à la vie démocratique

Au nom de quelle compétence peut-on s’arroger le droit de condamner une société ?Au nom de quelle compétence peut-on s’arroger le droit de condamner une société, sans autre procès, et en fait, sur la base d’arguments scientifiques précaires, à renoncer à ce qui lui est constitutif, à son identité, à ses valeurs morales, nos repères moraux, nos règles de démocratie qui doivent être un recours intangible lorsque nous menace le chaos ?

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Je respecte l’importance de l’expertise scientifique, au même titre que l’intérêt d’autres expertises produites par l’expérience immédiate, celles de l’engagement et du vécu quotidien. Il n’y a pas à hiérarchiser les expertises mais à les reconnaître et à en intégrer les savoirs dans l’élaboration de lignes de conduites nécessairement complexe, et plus encore lorsque que comprendre leurs significations permet d’apprécier ce qui est acceptable, soutenable ou non. Que fait-on de ces expertises sociales et même des éclairages que proposent les sciences humaines et sociales, afin de parvenir à une évaluation pertinente des enjeux et à une juste compréhension des conséquences des politiques publiques ?

Le Conseil scientifique Covid-19 est dédié à l’analyse médico-scientifique de la situation sanitaire et à émettre des propositions dont la pertinence et l’opportunité sont appréciées par le chef de l’État. Aucune autre instance officielle n’intervient toutefois afin de nous permettre de bénéficier d’une expertise sociétale, pour ne pas dire démocratique. Aucune instance publique consultative n’a pris l’initiative d’une consultation nationale, ne s’y est autorisée comme si la gravité du contexte sanitaire abolissait tout autre approfondissement que ceux qui ont lieu dans le cadre d’enceintes rétives à la transparence de leurs débats. 
Cette dimension essentielle aux arbitrages en temps de pandémie s’avère à ce point fondamentale que le fait de l’avoir sciemment refusée jusqu’à présent apparaît comme une erreur politique.

À ce jour, aucun indicateur public ne permet d’évaluer si, à eux seuls, le couvre-feu et le confinement influent sur la dynamique épidémique, ou si d’autres facteurs comme la mobilisation de chacun dans le cadre de la vie sociale ou des nouveaux usages au domicile ont une incidence. Comme si les mesures radicales comme le confinement étaient retenues comme stratégie exclusive recevable dans la gouvernance, certainement par défiance à l’égard de la capacité de responsabilisation de la société civile.

Cette injure qui nous est faite ne peut persister. Elle est à la fois inconvenante, injustifiée et indigne de la vie démocratique. Les associations intervenant auprès des personnes, plus nombreuses que jamais en situation de détresse sociale absolue, les instances représentatives des 200 000 commerçants inquiètes de l’instant présent au point de craindre le dépôt de bilan, les acteurs de la vie culturelle, les militants du monde associatif et tant d’autres intervenants essentiels à la vie de notre démocratie n’admettent plus ce triage discrétionnaire qui mutile la nation de ce qui lui permet de survivre et d’espérer, du respect qu’on lui doit dans sa capacité d’innover pour s’opposer à la fatalité et de maintenir nos exigences à hauteur de démocratie.

La sédation politique a pour risque une sédition populaire

Plutôt que d’interdire et de révoquer toute proposition intervenant en dehors de la sphère gouvernementale, et dès lors illégitime par nature, il conviendrait d’instaurer une autre relation avec la société, ne serait-ce que dans la communication si révélatrice de la considération qu’on lui témoigne.

S’il est nécessaire de rappeler les mesures de prévention sanitaire, il est tout aussi indispensable de diffuser des spots communiquant sur la pandémie mode d’emploi, ce bisons-futé qui nous assisterait dans notre avancée en situation incertaine et difficile, plus utile que des admonestations répressives.

Pourquoi ne pas développer cette culture du risque acceptable, à travers des messages relatifs aux mesures applicables aux attitudes de précaution dans la fréquentation des commerces de proximité, le suivi de séances de cinéma, et de spectacles vivants, nos visites de musées ainsi que tant d’autres aspects de la vie quotidienne et d’une convivialité qui nous permet de nous soutenir réciproquement ? Que nous refuse-t-on de la sorte et pour quels motifs avérés, alors que la promiscuité dans les transports, au travail, dans les établissements scolaires ou dans les grandes surfaces est tolérée. Plus acceptable, selon quels critères et enjeux explicites, selon quelles règles ?

On ne peut pas se satisfaire de justifications conjoncturelles pour exonérer la puissance publique de responsabilitésOn ne peut pas se satisfaire de justifications conjoncturelles pour exonérer la puissance publique de responsabilités qui aujourd’hui condamnent à nouveau des professionnels de santé, injuriés dans leurs valeurs et leur déontologie lorsque, faute de moyens, ils discriminent entre les urgences Covid-19 et les personnes « déprogrammées », ainsi disqualifiées dans l’accès à des traitements qui peuvent leur être vitaux.

À la comptabilité publique qui évalue à 15 milliards d’euros le coût mensuel du confinement, et à celle des associations caritatives qui estiment de l’ordre d’1 million les personnes sur-vulnérabilisées du fait d’une précarisation accentuée ou provoquées par les circonstances actuelles, doit être ajoutée celle des conséquences humaines et sociales d’arbitrages politiques gouvernementaux qui ont accepté, dans le cadre de procédures dont on ignore les critères, les conséquences d’une abdication là où nous devions intelligemment résister.

J’estime que les décisions publiques inévitables et arbitraires, imposées dans un premier temps par l’inattendu et l’impréparation, ne sont plus recevables aujourd’hui d’un point de vue éthique. À moins d’admettre qu’il n’y a pas d’autre choix et que celui de consentir au risque, d’une autre gravité, d’un échouement politique qui mène directement à une crise démocratique.

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Cette stratégie de sédation socio-économique continue tente de maintenir les équilibres d’une survie artificielle, avec le secret espoir que notre société en sortira malgré tout vivante.Pour reprendre ici le registre propre à l’approche médicalisée des fins de vie, je crains désormais la logique délétère d’une obstination gouvernementale déraisonnable. Je l’interprète comme consécutive à une usure, certes bien compréhensive, inhérente à cette lutte menée entre soi contre un phénomène planétaire et sociétal sans précédent, à une détresse et peut-être une forme de sidération ou alors de panique. Ce poids de responsabilité aboutit à ne plus être en mesure d’entrevoir d’autre modalité d’approche de la pandémie que palliative, en termes de confinement et de restrictions. Cette stratégie de sédation socio-économique continue tente de maintenir les équilibres d’une survie artificielle, avec le secret espoir que notre société en sortira malgré tout vivante. L’annonce spectaculaire le 9 novembre d’un candidat vaccin « efficace à 90 % » (sic !) a eu comme premier effet de réassurer les places financières, et probablement de donner à penser aux responsables politiques que si proches de la délivrance il ne faudrait surtout pas relâcher l’effort, aussi contraignant soit-il. Est-ce prudent de s’en remettre ainsi à cette croyance avant de disposer dans quelques jours des résultats scientifiques promis ?

Dans l’immédiat, chaque jour, ceux qui dénoncent un suicide collectif ou une forme d’euthanasie économiquement assistée sont plus nombreux et mieux compris par les Français que ceux qui les gouvernent. Non seulement ils en appellent à une réanimation de la concertation politique, mais tout autant au droit d’assumer en toute responsabilité leur droit à vivre dignement leurs valeurs d’engagement. Ils les opposent au devoir de mourir dans l’acceptation de mesures dégradantes décrétées au nom d’un intérêt supérieur inavouable car injustifiable.

Notre démocratie risque de ne pas résister plus longtemps à une sédation politique qui ne laisserait plus comme droit et comme ultime liberté qu’une sédition populaire dont on sait qu’il est urgent et sage de comprendre comment l’éviter.

Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay. Coordonnateur de l’ouvrage collectif « Pandémie 2020 – Éthique, société, politique », Éditions du Cerf.

Image d’en-tête : Le Premier ministre Jean Castex, le président Emmanuel Macron et le ministre de la Santé Olivier Véran lors du Conseil de défense du 12 novembre 2020 à l’Elysée. Photo Thibault Camus/AFP

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allotoxconsulting***
3 years

Encore de la logorrhée anti gouvernementale. Ce Monsieur ne supporte pas de ne pas être consulté, et de ne pas faire partie du Conseil Scientifique. L’appel à la responsabilité individuelle est faite régulièrement sur les ondes, et sur les affiches. Ce n’est pas la faute du gouvernement si quelques français ont des comportements dangereux et irresponsables pour eux et leurs proches. Encouragés par des propos de ce type, les inconscients font de la résistance passive, et essayent de ne pas appliquer les consignes de précaution, comme si l’ennemi qu’il faut tromper était le gouvernement et non pas le virus dont… Read more "

Member
mariearmelle.fouere***
3 years

Argumenter en discréditant l’auteur d’un propos sensé et lucide de la situation actuelle en lui prêtant des visées personnelles, c’est juste n’importe quoi. N’est-ce pas la démocratie que de donner un point de vue divergent des options gouvernementales. Pour ma part, je les trouve bien peu démocratiques et respectueuses de la population les orientations actuelles imposées par la répression.

Member
p.vanhille***
3 years

Exemple parfait du panurgisme qui soutient un « exécutif » qui porte bien son nom.
La jeunesse finira par enfermer les boomers dans leur bergerie.

Member
cbernard***
3 years

Vous n’avez apparement pas du tout compris le message adressé.

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