Atteindre des émissions climatiques nettes nulles d’ici 2050 nécessitera une « transformation fondamentale de l’économie mondiale », selon un rapport de McKinsey, l’un des cabinets de conseil les plus influents au monde. Ce rapport estime qu’il faudra investir 9 200 milliards de dollars par an pendant des décennies pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 °C et mettre fin à l’urgence climatique. Cette somme représente une augmentation de 60 % par rapport aux niveaux d’investissement actuels et équivaut à la moitié des bénéfices mondiaux des entreprises.
Plus de 10 000 ans de progrès continu et accéléré ont amené la civilisation humaine au point de menacer la condition même qui a rendu ce progrès possible : la stabilité du climat de la Terre. Les manifestations physiques d’un climat changeant sont de plus en plus visibles dans le monde entier, tout comme leurs impacts socio-économiques. Ces deux phénomènes continueront à se développer, très probablement de manière non linéaire, jusqu’à ce que le monde passe à une économie nette zéro, à moins qu’il ne s’adapte entre-temps à un climat changeant. Il n’est donc pas étonnant qu’un nombre toujours plus grand de gouvernements et d’entreprises promettent de s’engager à accélérer l’action climatique.
À l’heure actuelle, cependant, l’équation du « zéro net » n’est pas résolue : les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent sans relâche et ne sont pas compensées par les absorptions, et le monde n’est pas prêt à achever la transition vers le « zéro net ». En effet, même si tous les engagements nets zéro et les promesses nationales en matière de climat étaient respectés, les recherches suggèrent que le réchauffement ne serait pas maintenu à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels, « ce qui augmente les chances de déclencher les impacts les plus catastrophiques du changement climatique, y compris le risque de boucles de rétroaction biotiques » écrivent les rapporteurs.
Des défis majeurs
D’importants défis se dressent sur le chemin, notamment l’ampleur de la transformation économique qu’impliquerait une transition vers le zéro carbone et la difficulté de trouver un équilibre entre les risques substantiels à court terme d’une action mal préparée ou non coordonnée et les risques à plus long terme d’une action insuffisante ou retardée. « Aucun de ces défis ne devrait être une surprise » lit-on dans le rapport. Atteindre le niveau zéro net signifierait une transformation fondamentale de l’économie mondiale, car il faudrait apporter des changements importants aux sept systèmes énergétiques et d’utilisation des sols qui produisent les émissions mondiales : l’électricité, l’industrie, la mobilité, les bâtiments, l’agriculture, la sylviculture et les autres utilisations des sols, et les déchets. Réaliser ces changements implique de répondre à une multitude de questions complexes.
Le rapport prévient que la transformation économique touchera tous les pays et tous les secteurs, les plus dépendants des combustibles fossiles étant ceux qui connaîtront le plus de changements. McKinsey, qui conseille de nombreux gouvernements et de grandes entreprises, affirme également que la transition se fera en amont, le coût de l’électricité augmentant par exemple avant de diminuer par la suite. Le rapport indique toutefois qu’il est essentiel d’atteindre le niveau « zéro » pour éviter les conséquences les plus catastrophiques du réchauffement climatique, qui toucheraient des milliards de personnes, et que de nombreux investissements à faible intensité de carbone constituent des opportunités de croissance économique conduisant à une économie plus efficace et moins coûteuse. Le rapport indique également que la transformation devient de plus en plus coûteuse à mesure que l’on tarde à agir.
9 200 milliards de dollars
Les rapporteurs de McKinsey ont chiffré le coût global de la transformation économique nécessaire ; il est considérable : « Les dépenses d’investissement en actifs physiques pour les systèmes énergétiques et d’utilisation des sols dans la transition nette zéro entre 2021 et 2050 s’élèveraient à environ 275 000 milliards de dollars, soit 9 200 milliards de dollars par an en moyenne, ce qui représente une augmentation annuelle de 3 500 milliards de dollars par rapport à aujourd’hui ». Pour situer cette augmentation en termes comparatifs, ces 3 500 milliards de dollars équivalent approximativement, en 2020, à la moitié des bénéfices mondiaux des entreprises, à un quart des recettes fiscales totales et à 7 % des dépenses des ménages.
« 9 200 milliards de dollars est un chiffre très élevé, suffisamment élevé pour que tout le monde y prête attention », a déclaré au Guardian Jonathan Woetzel du McKinsey Global Institute, le groupe de réflexion interne du cabinet de conseil, et l’un des auteurs du rapport. « Mais ce n’est pas un chiffre impossible. Ce n’est pas comme si nous n’avions pas déjà effectué des transformations par d’autres moyens », comme le passage à la vie urbaine.
La transformation économique consiste à passer d’une économie qui ne tenait pas compte des coûts des dommages environnementaux et sociaux à une économie qui en tient compte, selon M. Woetzel. « Il n’y aura qu’une économie durable, il n’y en aura pas d’autre ». Le rapport indique toutefois que la transformation frontale soulève une « question essentielle » : qui va payer ? et, questions subsidiaires : les coûts plus élevés de l’électricité, de l’acier et du ciment seront-ils répercutés sur les gens ? Les personnes à faibles revenus seront-elles protégées par les gouvernements ?
Une transformation économique fondamentale
L’objectif du rapport est d’évaluer l’ampleur de la transition économique nécessaire pour atteindre le zéro net, en supposant que des mesures soient prises rapidement, et conclut : « Atteindre le zéro net impliquerait une transformation fondamentale de l’économie mondiale. » L’étude estime que les investissements dans les secteurs de l’énergie, des transports, des bâtiments, de l’industrie et de l’agriculture devraient augmenter de 3,500 milliards de dollars, et qu’un montant supplémentaire de 1000 milliards de dollars devrait être consacré à l’achat de biens à faible émission de carbone, tels que les voitures électriques et les pompes à chaleur, au détriment des biens à forte émission de carbone. En proportion du PIB mondial, l’investissement total requis serait de 6,8 %, puis atteindrait 8,8 % entre 2026 et 2030 avant de diminuer.
Selon le scénario de McKinsey, les coûts de l’électricité pourraient augmenter de 25 % d’ici à 2040, avant de tomber en dessous des niveaux actuels après 2050, en raison du coût d’exploitation plus faible des énergies renouvelables. L’acier et le ciment sont confrontés à des augmentations de coûts d’environ 30 % et 45 % respectivement, selon le scénario.
Un coût qui peut rapporter gros
Bob Ward, directeur politique au Grantham Research Institute on Climate Change de la London School of Economics, au Royaume-Uni, fait observer dans un entretien au quotidien britannique The Guardian : « Les chiffres d’investissement de McKinsey ne représentent pas les coûts nets pour atteindre le niveau zéro au niveau mondial, mais plutôt les coûts annuels initiaux sans tenir compte des avantages. En effet, « les investissements dans les infrastructures propres généreront des emplois, de la croissance et d’énormes économies, notamment en éliminant la nécessité d’acheter des combustibles fossiles ruineux, et [donneront] des rendements bien plus importants si l’on tient compte des pertes de vies et de moyens de subsistance évitées en raison de la pollution atmosphérique et du changement climatique. »
La société d’assurance Swiss Re a récemment estimé que les dommages causés par une augmentation de 2,6°C de la température mondiale d’ici 2050 réduiraient le PIB mondial de 14%. En octobre, l’économiste du climat Nicholas Stern a promis : « Le passage au net zéro peut être le grand moteur d’une nouvelle forme de croissance – l’histoire de la croissance du XXIe siècle ».
Audace et détermination
« Si les tâches immédiates qui nous attendent peuvent sembler décourageantes, l’ingéniosité humaine peut finalement résoudre l’équation du zéro net, tout comme elle a résolu d’autres problèmes apparemment insolubles au cours des 10 000 dernières années », indique le rapport McKinsey. « La question essentielle est de savoir si le monde est capable de faire preuve de l’audace et de la détermination nécessaires. »
Si c’est le cas, indique le rapport, les récompenses dépasseraient de loin le seul fait d’éviter les impacts climatiques, car les pays seraient amenés à travailler ensemble et seraient alors mieux placés pour aborder d’autres problèmes géopolitiques « séculaires ». « C’est un message d’espoir, selon nous, pour que les gens réalisent qu’il y a un besoin – et une capacité – de créer une plus grande collaboration mondiale », a tenu à souligner l’un des auteurs principaux, Jonathan Woetzel.
Waouh… un article alimenté par un rapport de McKinsey !