La phagothérapie : médecine d’hier et de demain

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La menace qui devrait tuer 10 millions de personnes par an d’ici 2050 est celle de la résistance aux antibiotiques. Des alternatives ? Oui, avec une thérapie centenaire, les virus bactériophages. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) vient d’adopter ce 4 mars une note scientifique sur la phagothérapie, présentée par la sénatrice Catherine Procaccia.

Les bactériophages, ou « phages », sont les virus naturels des bactéries : ils sont capables de les infecter et de s’y multiplier jusqu’à les tuer, rendant possible leur utilisation pour le traitement d’infections bactériennes. Connus notamment en France depuis un siècle, les phages ont rencontré un bref succès avant d’être supplantés par les antibiotiques, plus faciles d’emploi, moins coûteux et capables de cibler un large éventail de bactéries, alors que les phages sont très spécifiques à leur bactérie-cible. Mais avec le développement de l’antibiorésistance, de plus en plus de personnes se trouvent dans des situations d’impasse thérapeutique. Le recours aux phages est une réponse pour ces patients dont certains se voient contraints au tourisme médical dans les pays qui ont maintenu leur utilisation.

La phagothérapie consiste à traiter les infections avec des phages, des virus naturels qui s’attaquent aux bactéries. C’est ce que l’on pratiquait, avant l’apparition des antibiotiques. La thérapie par les phages a été appliquée de façon empirique pendant des décennies pour traiter les infections bactériennes, notamment par l’Institut Pasteur en France. L’avènement des antibiotiques au cours de la seconde guerre mondiale a conduit à une réduction drastique de la phagothérapie qui se heurte à deux obstacles : un contexte réglementaire contraignant et l’absence de modèle économique robuste. L’utilisation des phages intervenant aujourd’hui exclusivement à titre compassionnel, elle se fait dans une certaine insécurité juridique sur le plan médico-légal, sous la responsabilité exclusive du médecin prescripteur. Certes, les phages paraissent aujourd’hui non nocifs, le seul risque étant qu’ils soient inactifs.
Néanmoins, une sécurisation des conditions de prescription pourrait encourager leur usage. En ce sens, le CSST de l’ANSM de 2019 préconisait la mise en place d’une « plateforme nationale d’orientation et de validation du recours aux phages ».

Si rien ne bouge, le monde se dirige vers une « ère post-antibiotique, dans laquelle les infections courantes pourront recommencer à tuer », répète régulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’antibiorésistance tue déjà 50.000 patients chaque année aux États-Unis et en Europe, et pourrait causer 10 millions de morts par an dans le monde en 2050, soit plus que le cancer, ont prédit des experts mandatés par le gouvernement britannique. La résistance aux antibiotiques est donc une menace croissante, et désormais alarmante, pour la santé mondiale.

Therapeutic deadlocks are multiplying even though an alternative to antibiotics exists: phagotherapy. Discovered in 1915 by Frederick Twort, phages, these bacterial parasites, were rapidly used as early as 1919 to treat infectious diseases. The use of bacteriophages through phagotherapy is coming back to the forefront as one of the most proven, promising and sustainable avenues for the future.

Aujourd’hui, du fait de la crise sanitaire et par l’émergence et le développement de cette antibiorésistance, le traitement par les virus bactériophages des infections microbiennes revient effectivement à l’ordre du jour avec l’adoption ce 4 mars 2021, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), d’une note scientifique sur la phagothérapie, présentée par Catherine Procaccia, sénatrice, vice-présidente de l’Office.

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Bacteriophages as post-antibiotic therapy

Anyone, at any age and in any country, can now be exposed to the risk of ineffective traditional treatment for even a common bacterial infection. This phenomenon is accelerating, both in humans and animals, simply because antibiotic resistance is a natural phenomenon but also because of the misuse of drugs.

The risk is also increasing as the number of infections increases and the increasing and recurrent difficulty in treating them, leading to longer hospital stays, higher medical expenses and higher mortality. Developing the use of alternative therapies is therefore now recognized as a major global health emergency.

Le recours (et le retour) aux bactériophages par la phagothérapie est sans doute une des voies les plus avérées, prometteuses et durables. À la lumière des connaissances accumulées depuis un siècle, et à l’aune d’une approche médicale et scientifique rigoureuse, mais aussi à travers la médiatisation de plus en plus fréquente de résultats spectaculaires obtenus, la réévaluation de la phagothérapie est désormais inscrite à l’agenda.

L’étude des bactériophages et de leurs interactions avec les bactéries a débuté il y a un siècle par la reconnaissance de leur action bactéricide, guidant le biologiste franco-candien Félix d’Hérelle vers une application en médecine humaine bien avant la découverte des antibiotiques. Mais c’est surtout lorsqu’ils ont été choisis comme objets d’études pour appréhender les mécanismes fondamentaux de la vie cellulaire que les bactériophages ont permis des découvertes majeures, dont les acteurs ont été, et sont encore, récompensés par plusieurs prix Nobel (1).

From the molecular mechanisms of replication of these viruses (macromolecular assembly, regulation of viral gene expression) to the bacterial defences put in place to counteract them (restriction-modification systems and Crispr-Cas9 ), the study of bacteriophages, using multidisciplinary approaches, has led to real breakthroughs in our knowledge of living organisms.

Bacteriophages are also a fascinating biological model of ecology and evolution. In particular, this model allows a better understanding of the emergence and evolution of pathogens.

A major applied interest

Since their discovery, it was their therapeutic potential that brought bacteriophages to the forefront in treating bacterial infections. Then, as knowledge progressed, their role in the fermentation processes of the food industry (dairy and wine industries) was better understood in order to reduce losses and better control the processes. Today, their use in medicine is again being considered to fight against pathogenic bacteria that have become increasingly resistant to antibiotics and for which sustainable solutions are struggling to emerge. This application makes it possible to envisage the limitation of chemical antimicrobials and thus the pollution of soil and groundwater and will in fact promote the protection of biodiversity.

An Ecosystem Role on Earth

Measures taken to protect humans from microbes have overshadowed the complex ecosystem relationships between organisms and environments in the field of public health. Since bacteriophages are key regulators of the natural microbial communities with which humans must interact at all times, they force us to rethink our relationships with these viruses, first and foremost because of the negative connotations attached to the term. The use of bacteriophages in medicine also engages other representations of care and organisms, in which health no longer appears so much as the exclusion and annihilation of microorganisms, but rather as the coexistence between several species, human and microbial, in a dynamic equilibrium.

Les phages sont encore peu connus et peu développés. Oubliée ou peu considérée il y a encore quelques années, la phagothérapie est désormais prise au sérieux.

Il serait excessif de faire des phages la solution idéale aux impasses thérapeutiques liées à l’antibiorésistance. Néanmoins, leur efficacité dans certaines indications comme le traitement d’infections ostéo articulaires chroniques et sur certains types de bactéries (pseudomonas, staphylocoques) est démontrée par l’expérience et leur caractère peu invasif est un atout.

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Les phages s’inscrivent dans le cadre d’une médecine très personnalisée, adaptée aux particularités de chaque cas.

Ce serait une erreur stratégique de négliger leur potentiel. Il importe donc que la mise en place d’un cadre de recherche et juridique adapté afin de permette aux équipes académiques, médicales et industrielles impliquées sur le sujet de relancer la phagothérapie en France et en Europe.

 

(1) Découvertes majeures et Prix Nobel relatifs à l’étude des bactériophages :
1917 Publication of Félix d'Herelle "On an invisible Microbe antagonist of Shiga bacilli".
1952 Discoveries of DNA modification restriction enzymes
1958 Nobel Prize in Physiology or Medicine awarded to Joshua Lederberg for his discoveries on genetic recombination and the organization of the genetic material of bacteria.
1965 Nobel Prize in Physiology or Medicine awarded to François Jacob, André Lwoff and Jacques Monod for their discoveries concerning the genetic control of enzymatic and viral synthesis.
1969 Nobel Prize in Physiology or Medicine awarded to Max Delbrück, Alfred Hershey and Salvador E. Luria for their discoveries concerning the replication mechanism and structure of viruses.
2007 Publication on the role of CRISPR sequences in immunity against bacteriophages
2015 Creation of the Bacteriophage Network France
2018 Nobel Prize in Chemistry awarded to George Smith and Gregory Winter for their work on the expression of peptides and antibodies by bacteriophages.

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allotoxconsulting***
3 years

Tout à fait d’accord. Il y a de nombreux exemples où des malades avec des plaies infectées résistantes à des antibiotiques, sont allés en Russie ou Ukraine dans un hôpital utilisant la phageothérapie, et qui ont vu leur état s’améliorer en quelques semaines. Le traitement est plus long, mais souvent efficace, quand la souche de phages répondant à la bactérie en place a été bien isolée.
Sans remplacer les antibiotiques, cette voie de phageothérapie mérite d’être redécouverte en médecine occidentale.

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