Les pensées de l’Indien qui s’est éduqué dans les forêts colombiennes

Les pensées de l’Indien qui s’est éduqué dans les forêts colombiennes, de Manuel Quintín Lame – Editions Wildproject / Collection Le Monde qui vient, 5 mai 2023 – 196 pages – Traduit et présenté par Philippe Colin et Cristina Moreno

Manuel Quintín Lame (1880–1967) a lutté sa vie entière contre l’accaparement colonial des terres. Son combat a ouvert la voie à la reconnaissance des terres autochtones dans la Constitution colombienne de 1991.
Dans ce texte profondément « métis », qui relève tout autant de la prophétie biblique, du plaidoyer juridique, du manifeste insurgé, que du traité spirituel nasa, Quintín Lame offre une réflexion sur les conditions de possibilité de la libération indienne. Car la Conquête n’a pas pris fin avec les indépendances et l’avènement de la République : les savoirs, les institutions et les formes de vie des communautés autochtones ont continué d’être infériorisés, au nom du progrès et de la civilisation. Source majeure au sein du vaste mouvement décolonial latino-américain, Les Pensées ne portent pas seulement sur les conditions de vie dans une société marquée par la race ; elles ouvrent à d’autres façons de faire monde.

Le testament politique et mystique d’un des plus importants leaders autochtones d’Amérique latine.

Dicté en 1939, tenu secret pendant trente ans, ce texte est divulgué en 1971. Il est ici publié pour la première fois en français.

Si le long combat de Lame fut finalement enseveli sous la violence de la répression, la mémoire du vieil Indien et de ses mingas a persisté à irriguer souterrainement les communautés et les mouvements autochtones de la région. En 1970, le sociologue et théologien de la libération Gonzalo Castillo lance un travail de recherche militante en collaboration avec le cabildo – le conseil communal autochtone – d’Ortega. Conformément aux méthodes et aux objectifs du groupe La Rosca dont il fait partie, Gonzalo Castillo cherche à coproduire un savoir critique mobilisable par les communautés dans les luttes agraires locales. Au cours de son séjour de recherche-action, Gonzalo Castillo participe avec une cinquantaine de « patriotes indiens » à un pèlerinage à la tombe de Manuel Quintín Lame (1). Lors de la cérémonie d’hommage, Castillo est saisi par la puissance politique des textes lus par les militants. Il acquiert progressivement la conviction qu’ils se rattachent à un corpus plus vaste, auquel la communauté se réfère en parlant de «  la doctrine et la discipline ». Six  mois plus tard, des membres du cabildo lui présentent un manuscrit de 118 pages in-folio, « à moitié consumé par le temps et les mites », qui avait été enterré pendant trente ans, à l’abri des puissants dispositifs d’oubli de la mémoire hégémonique. Il affiche sur la première page un titre puissamment suggestif : Los pensamientos del indio que se educó dentro de las selvas colombianas. Avec l’accord du cabildo, Castillo le retranscrit et, dans le cadre de la politique éditoriale de promotion des savoirs populaires et militants menée par La Rosca, le publie sous le titre En defensa de mi raza (2). "

(1) Gonzalo Castillo-Cárdenas, Liberation Theology from Below: The Life and Thought of Manuel Quintín Lame, New York : Orbis Books, 1987, p. 1.
(2) Manuel Quintín Lame Chantre, En defensa de mi raza, Bogota : Rosca de Investigación y Acción Social, 1971.

Quintin Lame et son héritage en quelques dates

12 octobre 1492 : début de la Conquête

1880 • Naissance à El Borbollón, Cauca (Colombie), de Mariano Lame et de Dolores Chantre, d’origines autochtones diverses.

1911 • Pendant une période d’importants conflits agraires dus au développement de l’élevage, Quintin Lame étudie le droit colombien de manière autodidacte, ce qui va lui permettre d’aider les indigènes à faire valoir leurs droits sur les terres qu’ils occupent face aux grands propriétaires terriens

1910 • Jouissant d’une grande autorité auprès des indigènes du sud de la Colombie, il planifie avec les autorités locales indigènes un soulèvement qui devait avoir lieu le 14 février 1915 et permettre d’établir une « petite république » d’indiens Ghiquitos, mais est capturé le 22 janvier, avant le début du soulèvement.

1917 • La capture de Lame et de ses principaux lieutenants en 1917, après une chasse à l’homme de plusieurs mois, et la campagne de terreur menée par l’armée et les milices locales contre les militants sonnent le glas de la première phase de la rébellion lamiste.

1917-1921 • En prison, il commence l’écriture de son livre, qui sera retranscrit par le sociologue et théologien de la Libération Gonzalo Castillo, et publié en 1971 sous le titre En defensa de mi raza.

1922 • Devenu persona non grata dans le département du Cauca, Lame s’installe plus au nord en 1922, où il tente de construire les bases d’une démocratie indienne directe et autonome – en créant, notamment, un organe délibératif et exécutif, le Conseil suprême des Indes.

1967 • Mort à Ortega.

1970 • En 1970, le sociologue et théologien de la libération Gonzalo Castillo lance un travail de recherche militante qui le met sur la trace d’un manuscrit perdu.

1980 • Ses idées inspirent un groupe armé actif à la fin des années 1980, le Mouvement armé Quintín Lame, qui se démobilise en 1991 et participe à l’Assemblée Constituante.

1991 • Plusieurs des idées de Quintín Lame se sont vues consacrées dans la Constitution de 1991 de la Colombie

2008 • Depuis 2005, des communautés nasas du nord du Cauca, regroupées au sein du Mouvement des sans-terre – Petits-fils de Quintín Lame (MST-NQL), ont lancé le processus de « Libération de la Terre-Mère », par lequel elles entendent non seulement récupérer les territoires ancestraux dont elles ont été expulsées mais aussi les revitaliser.

Manuel Quintín Lame (1880-1967), fils de métayers travaillant dans une hacienda, est désigné en 1914, par quelques dizaines de rebelles, « chef, représentant et défenseur général » des Indiens d’une vaste région de la cordillère des Andes. Les revendications de son mouvement incluent la défense de l’intégrité des réserves, la récupération des terres communales englouties par l’expansion des haciendas, et l’expulsion des Blancs des territoires ancestraux. L’insurrection durera jusqu’au début des années 1920. Manuel Quintín Lame est arrêté, torturé et emprisonné à de multiples reprises.

Cristina Moreno est docteure en histoire et traductrice. Elle est cofondatrice du collectif de traduction Les Traverses.

Philippe Colin est maître de conférences en civilisation de l’Amérique latine, notamment coauteur de Pensées décoloniales : une introduction aux théories critiques d’Amérique latine (avec Lissell Quiroz, Zones, 2023).

Edition avec un cahier photo de 10 images, cartes et documents d’archives.

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