climate change COP21

Climate change: 12 proposals for COP21

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Pour nourir le débat public et notamment la réflexion des acteurs mobilisés par et pour la COP 21, un ouvrage collectif issu d’un colloque international organisé au Collège de France en juin 2015 a vu le jour par la chaire « État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités », avec le soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme : « Le dérèglement climatique : un défi pour lhumanité – 12 propositions juridiques pour la COP 21 ».  Découverte et argumentation.
 
Le  dérèglement  climatique  est  un  défi  dans  les  deux sens du terme :  chance et risque, par Mireille Delmas-Marty
 
Certes le risque est considérable et ne doit pas être ignoré. Mais un tel risque peut néanmoins être une chance pour l’humanité. On peut y voir une occasion exceptionnelle de prendre conscience de notre communauté de destin et de tester notre capacité à changer la direction de la gouvernance mondiale avant qu’il ne soit trop tard.
 
Le Pape François a raison de dire que « tout est intimement lié » et d’encourager une « écologie intégrale » (1). Tout est lié en effet, du climat aux relations entre l’homme et la nature, puis de la nature aux enjeux économiques, sociaux et culturels, et même aux relations interhumaines. En ce moment où la globalisation s’étend des marchandises réelles aux marchandises fictives – comme la monnaie, mais aussi la nature, ou encore la santé ou l’emploi, donc l’homme lui-même (2) -, les signaux d’alerte se multiplient : les crises financières se répètent, avec leur cortège de précarité et d’exclusion, le terrorisme se globalise et brouille les notions de paix et de guerre, au point que la punition du crime prend des allures de guerre civile mondiale permanente. Si l’on ajoute le chômage, les crises sanitaires et les menaces environnementales, on comprend comment les migrations humaines ont pu devenir un véritable désastre humanitaire alors qu’elles sont souhaitables, humainement et économiquement, et d’ailleurs inévitables pour des raisons démographiques.
Il est donc particulièrement important de réussir en décembre 2015 la COP 21.
 
Car c’est sans doute le seul domaine où un accord sur un nouveau modèle de gouvernance mondiale serait possible. Face au dérèglement climatique, notre appartenance à la même planète commence à être reconnue par une société mondiale qui réunit maintenant de nombreux acteurs de la société civile. Aux acteurs économiques (les entreprises transnationales) et scientifiques (les experts), qui sont en première ligne, s’ajoutent des acteurs civiques venant de milieux aussi divers que les organisations non gouvernementales (ONG), les syndicats, voire les communautés religieuses. Certes, il faut tenir compte de la capacité des uns et des autres à se coordonner au niveau mondial. Il est clair que les entreprises transnationales sont, par définition, organisées par-delà les frontières nationales et il en va de même des acteurs scientifiques, comme le démontre notamment le mode de travail du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). De leur côté les ONG se transforment progressivement à leur tour en « multinationales du cœur ». En revanche les syndicats restent essentiellement des acteurs nationaux qui commencent seulement à se saisir de questions internationales, à l’échelle européenne (tel est déjà le rôle des comités d’entreprise européens) puis à l’échelle mondiale (3).
 
Quoi qu’il en soit, une telle prise de conscience, propre à illustrer une citoyenneté du monde, pourrait exercer une pression sur les États en faveur d’un accord marquant clairement  un  changement  de  direction.  Les acteurs publics que sont les États restent en effet essentiellement attachés à défendre leurs intérêts nationaux. Toutefois la situation est différente pour les collectivités territoriales, notamment les grandes villes, qui ont commencé à se coordonner au niveau international et les Etats eux- mêmes semblent évoluer. C’est ainsi que les responsables politiques commencent à se préoccuper du climat, qu’ils appartiennent à des régions plus menacées comme les îles, ou déjà sensibilisées comme l’Europe, voire même à des pays-continents aussi jaloux de leur souveraineté que les Etats-Unis ou la Chine.
 
Une telle conjonction de facteurs convergents est exceptionnelle. C’est pourquoi un échec de la Conférence climat de Paris annoncerait un chaos durable car il semble peu probable d’obtenir autant de convergences dans d’autres domaines sensibles à la globalisation, comme le terrorisme ou les migrations, où la peur conduit le plus souvent à privilégier le souverainisme et les stratégies de contrôle et d’exclusion propres au modèle autoritaire. Tandis que les crises financières, sociales et sanitaires risquent de leur côté de consolider un modèle de gouvernance plus proche de l’impérialisme des puissants (États ou entreprises transnationales) que d’une vision démocratique du monde. Or une véritable communauté mondiale ne peut se construire ni dans un esprit sécuritaire nourri de la peur de l’autre, ni dans un esprit de compétition alimenté par le seul profit, mais dans un esprit de liberté, de coopération et de solidarité. En ce sens on peut dire qu’un accord ambitieux sur le climat contribuerait non seulement à protéger la nature et l’écosystème, mais aussi à préparer plus largement l’avenir de l’humanité.
 
Considérant le dérèglement climatique comme le miroir de la plupart des interrogations concernant le droit de la responsabilité quand il est confronté à la globalisation, douze propositions ont été élaborées, selon deux types de stratégies : stratégie d’innovation en matière climatique et plus largement d’adaptation face à la globalisation économique et financière.
 
1. En matière climatique, le constat est particulièrement clair : si l’homme a toujours transformé son environnement, son action est désormais déterminante. Le GIEC souligne de façon de plus en plus nette que l’impact des activités humaines sur le climat est sans précédent, en rythme comme en amplitude (4). La « grande accélération» de cette pression anthropique sur la planète serait d’ailleurs l’un des signes de notre entrée dans l’ère de l’anthropocène (5). Comment s’en étonner ? Il suffit de considérer l’explosion démographique : il a fallu des millions d’années pour l’apparition de l’espèce humaine, dix mille ans pour que se forme le monde moderne et que l’humanité atteigne (en 1750) un milliard d’êtres humains, encore deux cents ans pour arriver à trois milliards (en 1950), mais seulement soixante pour atteindre (dès 2010) sept milliards, et sans doute plus de onze milliards à la fin du siècle (6).
Pris dans un mouvement inéluctable de « globalisation » (au sens propre car la forme sphérique de la Terre empêche l’expansion illimitée des êtres humains), nous voici contraints d’organiser la protection de notre habitat, car l’hypothèse d’un grand effondrement de la planète ne peut être écartée. Selon certaines évaluations scientifiques, nous devrions être fixés avant la fin du siècle. Face à une telle urgence, comment expliquer la lenteur des réponses ?
 
Certains l’imputent au modèle universaliste onusien qui, depuis le premier Sommet de la Terre (Rio 1992) et  les textes qui ont suivi (la Convention-climat en 1992 et le Protocole de Kyoto en 1997), vise un accord à vocation universelle (s’imposant à tous autour d’objectifs communs) et à caractère contraignant (fixant un calendrier, un système d’évaluation, voire un mécanisme de sanction). Pour y parvenir, un processus descendant, dit top-down, est préconisé par l’Union européenne et la plupart des pays en développement, tout en étant revendiqué par les ONG et soutenu par les scientifiques. Apparemment rationnel, ce modèle universaliste fait néanmoins l’objet d’une double critique. D’une part, il ne tiendrait pas suffisamment compte des différences entre les divers groupes humains, qu’il s’agisse de différences dans l’espace (les risques climatiques ne sont pas les mêmes au Nord, au Sud, ou dans les territoires insulaires) ; ni des différences dans le temps, car il faudrait à la fois tenir compte du passé (la « dette écologique » des pays industrialisés), du présent (le rattrapage des pays émergents et les difficultés économiques et sociales dans les pays en développement) et du futur (préserver une terre habitable pour les générations futures). D’autre part, le modèle universaliste semblerait ignorer la réalité des relations de pouvoirs et la force des résistances. Ainsi, lors du sommet de Copenhague en 2009, les États-Unis et les grands pays émergents, menés par la Chine et sans l’Europe, négocièrent directement un accord a minima : ni universel (car reposant sur des engagements définis par chaque État selon ses propres critères), ni contraignant (car dépourvu de procédure de contrôle).
 
Or le repli sur le vieux modèle souverainiste ne serait guère plus réaliste. Même quand il s’agit d’une grande puissance, un État seul est impuissant face à la nature globale du risque climatique. Quant au modèle dit « libéral » parce qu’il repose sur le pouvoir des acteurs privés, il pourrait faire des entreprises transnationales la forme dominante d’organisation du monde (7) : elles gouverneraient le monde à partir de Davos et leurs experts deviendraient les véritables pilotes de la gouvernance mondiale. Or on voit mal comment l’autorégulation horizontale par le marché suffirait à garantir la légitimité, donc l’efficacité, d’une telle gouvernance dont les seuls contre-pouvoirs seraient les ONG et autres lanceurs d’alertes. Il est temps de renoncer à cette « conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l’accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus » (8).
 
Si la Conférence de Paris suscite de grandes attentes, c’est que la question climatique est sans doute l’occasion d’aller plus loin et de sortir de cette impasse, en raison de la convergence exceptionnelle des divers acteurs  de la scène internationale. C’est ainsi que les pratiques mises en place en matière climatique pourraient devenir l’avant-garde d’une future gouvernance mondiale. Sans prétendre que les systèmes de droit suffiront à eux seuls face au dérèglement climatique, ils pourraient contribuer à un véritable changement de direction de la gouvernance mondiale. A condition de ne pas craindre de renouveler, par une sorte d’hybridation, les modèles de référence.
 
En ce qui concerne la responsabilité des États, il est préconisé de dépasser l’opposition entre universalisme et souverainisme au  profit  d’un  modèle hybride  qui  consiste  à  rendre  opérationnel  le  principe des « responsabilités communes et différenciées » et dessine un universalisme assoupli, combinant une politique climatique commune et des engagements différenciés selon les États. Quant à la responsabilité des ETN, il est proposé d’encadrer le modèle libéral de manière à rendre les objectifs communs opposables aux ETN et justiciables devant un organe de contrôle, autrement dit de mettre en place des dispositifs qui permettraient, dans le prolongement et au-delà de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), d’articuler soft law et hard law.
 
Toutefois il nest pas ignoré que le succès de la politique climatique dépendra largement de la capacité à repenser le modèle économique et à remettre en question une partie des pratiques liées à la globalisation économique et financière. D’où la stratégie d’adaptation qui commande la seconde série de propositions.
 
2. Face à la globalisation économique et financière, la contradiction éclate entre le souci affiché concernant le climat et la concurrence économique féroce, conduisant à l’exploitation effrénée des ressources d’énergie fossile, qu’elle génère. On peut l’observer à la fois pour les États, accrochés plus que jamais à leur souveraineté nationale, et pour les entreprises, guidées par l’objectif de maximisation à court terme de leurs profits. Cette schizophrénie apparente reflète sans doute une contradiction structurelle plus profonde – certains parlent de « schisme de réalité » (9) – entre les sociétés démocratiques faites d’individus animés d’un désir de bien-être, individuel et le plus souvent matériel, et les écosystèmes dont les enjeux sont essentiellement de nature globale. 
C’est pourquoi la recherche de solutions innovantes en matière climatique ne doit pas conduire à renoncer aux anciens modèles (libéral autorégulé et souverainiste indépendant) mais inciter plutôt à les adapter à la protection des biens publics mondiaux. Il est donc proposé en premier lieu d’adapter le modèle libéral en soutenant l’élargissement de la gouvernance de l’entreprise dite actionnariale ou capitalistique dans la perspective d’une responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) qui ajoute explicitement à l’intérêt privé des actionnaires la protection des intérêts mondiaux (bien commun). Puis il est préconisé d’adapter le modèle souverainiste afin d’aller d’une conception « solitaire » de la souveraineté des États centrée sur la protection des intérêts nationaux, vers une souveraineté « solidaire » qui inclurait la défense du bien commun.
 
En définitive, en pleine conscience, en concentrant les propositions sur la responsabilité des Etats et des entreprises, des écueils que le débat a permis d’expliciter à travers plusieurs critiques, parfois contradictoires. Quant  aux  entreprises, les uns considèrent que les propositions de durcir leur responsabilité, notamment en matière climatique, pourraient les dissuader de prendre en charge une grande partie de l’effort à fournir. D’autres craignent au contraire qu’en assumant une telle responsabilité les entreprises ne deviennent les seules gardiennes du bien commun mondial, par un transfert de pouvoirs sans véritable légitimité démocratique. Quant aux États, si leur légitimité n’est pas contestée, beaucoup de commentateurs s’inquiètent de la confiance excessive qui semble être faite, sans garantie d’efficacité.
 
C’est dire à quel point il est en effet difficile de trouver le bon équilibre entre la responsabilité des Etats et celle des entreprises, et d’éviter que la gouvernance mondiale ne se limite à l’impérialisme des plus puissants. Pour y parvenir les propositions doivent être lues à la lumière de deux observations. D’une part il faut comprendre la responsabilité dans sa double signification de prendre en charge (responsibility en anglais) et de rendre compte (responsabilité en français, accountability en anglais). D’autre part, dans les pratiques, il sera nécessaire de donner toute sa place à la société civile, qu’il s’agisse de lancer l’alerte, de prendre l’initiative d’une action en responsabilité, ou plus largement de participer aux dispositifs de surveillance et de contrôle.
 
(1) Pape François, Loué sois-tu, Lettre encyclique Laudato si sur la sauvegarde de la maison commune, Artège 2015, p. 144.
(2)  Voir l’introduction d’Alain Supiot, « Face à l’insoutenable : les ressources du droit de la responsabilité », in A. Supiot et M. Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, Presses Universitaires de France, p. 9 et ss.
(3).Voir notamment les remarques de Philippe Pochet, in A. Supiot et M. Delmas-Marty, Prendre la responsabilité au sérieux, op. cit., p. 383 et ss.
(4).Voir notamment les Conclusions du cinquième Rapport d’évaluation du GIEC présentées en novembre 2014.
(5).W. Stephen & al., “The Trajectory of the Anthropocene. The Great Acce- leration”, The Anthropocene Review, 2015, p. 1-18.
(6).Voir Conseil économique et social Onu, World population Prospects – The 2015 Revision.
(7).J.-P. Robé, Le Temps du monde de l’entreprise, Dalloz, 2015. Voir également Susan George, Les usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Seuil, 2014.
(8).Pape François, Loué sois-tu, op. cit.
(9).S. Aykut et A. Dahan, Gouverner le climat ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2015 ; voir aussi P. Kemp et L. W. Nielsen, The Barriers to Climate Awareness, Danish Ministry for Climate and Energy, 2009.
 
 
1 – Rendre opérationnel le principe des « responsabilités communes  mais  différenciées », par Mireille Delmas-Marty
 
Le  Principe  des  « responsabilités  communes  mais différenciés » (PRCD) est l’une des clés de la réussite du futur accord de Paris : il est en effet clair qu’en matière climatique, comme sans doute en beaucoup de domaines de la gouvernance mondiale, il ne serait ni équitable, ni acceptable, ni durable d’imposer les mêmes objectifs à tous les pays du monde sans prendre en considération leur histoire et leur situation présente. Il serait en outre peu efficace de prévoir des engagements qui ne soient pas contraignants pour tous les États parties. C’est pourquoi il est nécessaire de rendre le PRCD opérationnel pour la période post-Kyoto en l’explicitant par référence à des objectifs communs, à des contributions comparables  et à des principes de différenciation assez précis pour encadrer les critères de différentiation.
 
1 – Élargir les objectifs communs
 
Contexte – La  protection  des  générations  futures,  et plus largement encore de l’écosystème planétaire, appelle un principe d’anticipation qui conditionne la notion de développement durable. L’atténuation du dérèglement climatique est ainsi devenue un objectif mondial : quantitatif, cet objectif implique notamment une réduction progressive des émissions jusqu’à atteindre la « neutralité carbone ». On  rappellera  seulement que l’objectif de limiter de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle le réchauffement moyen de la planète a été adopté en 2009 (Sommezt de Copenhague) puis intégré aux accords climatiques (Conférence de Cancun 2010).
Mais le seuil de 2°C est une simple estimation et l’adaptation des sociétés au dérèglement climatique est aussi un objectif essentiel, même s’il est plus difficile  à mettre en œuvre car il est de nature qualitative et dépend en partie des pratiques nationales. Encore faut-il prendre en considération les variantes géographiques et économiques de l’adaptation. À la Conférence de Lima (COP 20), les pays développés ont fait d’importantes concessions sur ce point dans la mesure où il a été décidé que l’accord de Paris portera « de manière équilibrée » sur la réduction et sur l’adaptation. La décision engage également les pays développés à fournir et mobiliser un soutien financier renforcé aussi en faveur d’actions ambitieuses d’adaptation.

Proposition n° 1 – Considérer l’adaptation des sociétés au dérèglement climatique comme un objectif commun à l’échelle globale (« global goal ») relevant de la responsabilité de tous les États partiesMais il reste à évaluer les efforts des Etats à la réalisation des objectifs communs, ce qui suppose que les contributions nationales soient établies selon une grille commune.

2 – Établir une grille commune pour les contributions nationales
 
Contexte – Afin de rallier la participation de la totalité des pays à une dynamique ambitieuse et inclusive, dans le cadre du processus de négociation d’un accord sur la période post-2020, le terme « engagement » a été remplacé par celui de « contribution ». Les contributions prévues déterminées au niveau national, dites « INDCs » (pour l’anglais « Intended Nationally Determined Contributions ») constituent le « véhicule » par lequel les États entendent  communiquer  leurs  choix  pour  la période post-2020.  Le processus  de  détermination « national » respecte les souverainetés les plus sensibles à la question climatique, ce qui a permis de restaurer un peu de confiance entre les États.
 
En décembre 2013, la Conférence de Varsovie (COP 19) avait demandé à la Conférence de Lima de préciser les informations à fournir par les États dans leurs propres contributions. L’enjeu était crucial : plus les informations sont   encadrées,   plus  les  contributions   nationales seront comparables, et éventuellement évaluables de manière agrégée à l’aune de l’objectif des 2°C. Mais le projet d’annexe, négocié depuis plusieurs mois, a été abandonné à Lima au profit d’un texte très vague, qui recense quelques éléments simplement à titre indicatif (« une année de référence », « les délais et/ou les périodes de mise en œuvre », etc.). Certes, les États doivent expliquer en quoi leurs contributions sont équitables et ambitieuses à la lumière du contexte national et comment elles contribuent à atteindre les objectifs communs. Mais en absence d’une grille commune, il sera difficile de mesurer le niveau d’ambition de l’ensemble et d’amener éventuellement les États à augmenter leurs objectifs de réduction.

Proposition n° 2 – Établir une grille commune pour les contributions nationales fixant le périmètre d’action (atténuation et adaptation), le niveau d’ambition et les démarches méthodologiques de comptage des émissions (calendrier, année de référence, etc.).

3 – Formuler les principes déterminant les critères de différenciation
 
Contexte – La partition binaire du monde envisagée par le Protocole de Kyoto (pays industrialisés/non industrialisés), d’ailleurs abandonnée, ne correspond plus à la réalité : les pays émergents (BRICS) rattrapent les pays industrialisés en termes de richesse produite, alors que celle-ci reste à un niveau très bas dans les pays en développement, où se situe néanmoins l’essentiel du bond démographique. Ce cadre demeure par ailleurs extrêmement évolutif. L’accord de Paris devra alors être assez souple pour saisir cette complexité et assez robuste pour s’adapter à ses évolutions. À cette fin, une analyse approfondie des contributions nationales devrait permettre un inventaire assez détaillé et précis des critères choisis par les États. Sans prétendre substituer nos propositions à un tel inventaire, nous indiquons les deux principes de différenciation qui devraient limiter l’anticipation dans le temps et dans l’espace.
 
Dans le temps la différenciation est de nature rétrospective et renvoie à la dette écologique que les générations présentes ont héritée des générations antérieures : ce principe d’« historicisation » conditionne la notion de différentiation équitable et impose le financement effectif du Fonds vert pour le climat.
 
Dans l’espace, on doit reconnaître aux générations présentes un certain droit au développement qui varie selon le contexte national : économique (notion de « coût économique acceptable »), mais aussi social (lutte contre les exclusions), géographique (vulnérabilité de certains pays), voire technologique (dangerosité de certaines pratiques). Marquant la nature évolutive de la différentiation, ce principe de « contextualisation » conditionne la notion de différentiation acceptable.
 
Cela dit, « historiciser » et « contextualiser » les engagements des États ne veut pas dire renoncer  à toute responsabilité commune, mais, comme en matière de droits de l’homme, admettre une « marge nationale d’appréciation ».

Proposition n° 3 – Formuler deux principes pour assurer une différentiation à la fois équitable en raison de la dette « écologique » héritée du passé (principe d’historicisation) et acceptable au regard du contexte national présent de chaque État (principe de contextualisation). Par rapport aux objectifs communs d’anticipation sur l’avenir, ces principes devraient déterminer la marge nationale admise dans les engagements des États.

If the Paris agreement is based on common objectives and if national contributions, drawn up according to a common grid, are comparable and assessable according to the differentiation criteria set out above, the commitments of States could become binding, a necessary condition to ensure the effectiveness of the future agreement.
 
To achieve this goal, we need to design an effective control system. There are several possible ways of doing this. The simplest would be to adopt the Kyoto compliance mechanism. However, the implementation of this mechanism has had perverse effects (notably Canada's withdrawal). Hence the interest of proposals that aim to combine dispute settlement mechanisms, enabling the responsibility of States to be called into question, with informal vigilance mechanisms along the lines of the compliance mechanisms for companies set out in the OECD Guidelines1.
 
But to tackle climate change, it's not enough to make governments accountable, because the most powerful players on the international stage are often companies, particularly transnational corporations.
 
2. Set reduction targets against companies and make them accountable, par Luca d'Ambrosio
 
As non-state actors, companies are not directly subject to the international climate regime. Transnational corporations, on the other hand, exceed the regulatory capacities of any state system, by definition operating across borders. The result is that, when it comes to climate issues, companies enjoy a kind of impunity. Admittedly, as economic players, they have gradually become involved in the fight against rising temperatures and climate disruption, notably through voluntary commitments (self-regulation). But in order to make these commitments effective, it is necessary both to make greenhouse gas reduction targets enforceable against companies, i.e. to recognize their legal obligation to implement them, and to institute a third-party body that can guarantee the monitoring and control of this implementation, and possibly sanction failure to do so. In other words, to guarantee the justiciability of greenhouse gas emission reduction targets.
 
4 - Ensuring monitoring and control of self-regulation
 
Context - Companies' commitment to climate change has mainly been achieved through self-regulation, in other words, through mechanisms that enable them to determine their own greenhouse gas emission reduction targets. These include corporate social and environmental responsibility (CSR) standards, technical standards and carbon offsetting, as well as sectoral agreements such as those signed by airlines and international shipping companies. Environmental agreements are another mechanism used by companies to contribute to the objective of reducing greenhouse gas emissions: since they are negotiated "under the threat of legislative or regulatory action", they fall somewhere between self-regulation and co-regulation" (1).
 
These initiatives certainly deserve attention, as they can circumvent the blockages in international climate governance, while revealing the potential of its "multi-actor" dimension. What's more, as they involve major transnational corporations, these initiatives can have a knock-on effect on others. However, the proliferation of self-regulation can lead to a veritable privatization of standards. What's more, self-regulation can be ineffective insofar as companies set their own standards and verification procedures.

Proposal no. 4 - Guarantee the monitoring and control of emission reduction commitments voluntarily adopted by companies. To this end, it would be necessary to transpose the institution of "national contact points" able to receive complaints from civic actors (NGOs and trade unions). And, if necessary, extend the system of "OECD Guidelines for Multinational Enterprises" to the climate field.

However, experience with the OECD Guidelines shows that the consequences of a finding of non-compliance are limited, although the reputational consequences for companies should not be underestimated. Hence the need for international self-regulation to be articulated with national or regional regulation of greenhouse gas emission reduction targets.
 
5- Regulate reduction targets, combining incentives and dissuasive penalties
 
Context - Achieving greenhouse gas emission reduction targets requires either a cap on emissions or a carbon price high enough to prevent companies from continuing to use the atmosphere as a "greenhouse gas dumping ground" (2).
 
The emissions cap option was chosen in 2011 by the European Union to reduce CO2 emissions from light-duty vehicles. It was also chosen in 2015 by the Obama Administration to reduce CO2 emissions from thermal power plants. But these are only exceptions, as economic orthodoxy is more inclined towards carbon pricing. It remains to be seen what mechanism could be used to determine a "single carbon price" on a global scale, capable of effectively integrating the cost of greenhouse gas emissions into business calculations. In view of the difficulties involved in setting up a global market for CO2 quotas (3), it seems possible in the short term to introduce a "fee" based on the dual principle of "who pollutes pays" and "who depollutes is helped" (4). The amount of this fee or carbon tax, which would not be insignificant, would have a dual function: on the one hand, to offset the advantages enjoyed by emitting companies, and on the other, to contribute, via the Green Fund, to the financing of a "decarbonized" production system (5). Alternatively, and in the absence of a universal agreement, such a levy could also be established at regional level - for example, at European level - on condition that a parallel tax is created on products imported by non-signatory countries (6).
 
However, financial incentives to reduce greenhouse gas emissions may not be sufficiently dissuasive if they are not accompanied by measures to punish offending companies and, where appropriate, to hold them accountable for the damaging effects that climate change is likely to have on the balance of ecosystems and the lives of entire populations. In civil law, for example, recourse to the notion of
"Market share liability" would make it possible to proportionate compensation for climate damage by companies to their market share. In criminal law, the introduction of the international crime of ecocide would make it possible to punish damage characterized by such a degree of seriousness (7).

Proposal no. 5 - Accompany economic incentives with measures to penalize companies that fail to meet reduction targets. On the one hand, financial penalties should be sufficiently dissuasive. Secondly, liability mechanisms should be adapted to the diffuse and transnational nature of climate damage.

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Clearly, such a prospect - leading to the introduction of genuine corporate "climate responsibility" - remains highly dependent on the will of States. Hence the question of whether the implementation of such a new system of responsibility can be accelerated by the mobilization of human rights law and, more specifically, by the mobilization of the theory of "positive obligations".
 
6 - Linking climate quality to the protection of human rights
 
Context - As explained in a Report by the United Nations High Commissioner for Human Rights, climate disruption can have direct consequences on the effective enjoyment of fundamental rights (e.g. the threat that extreme weather phenomena can pose to the right to life); but it can also have indirect or progressive consequences (e.g. an overloading of health systems and situations of vulnerability arising from climate-change-induced migration).
 
However, in application of the "environmental jurisprudence" developed by the regional human rights courts (European Court and Inter-American Court), States have a positive obligation to adopt all measures likely to prevent the violation of the rights guaranteed by the Conventions (right to life, right to respect for private and family life, right to an effective remedy) engendered not only by the action of public actors but also - and this is the interest of our proposal - by the action of private actors. In this way, the so-called "horizontal" effect of human rights could contribute to strengthening corporate responsibility "by ricochet".
 
When it comes to applying these principles to climate issues, however, international human rights bodies are still very cautious. In 2006, the Inter-American Commission rejected an initial petition filed against the United States by the Inuit Circumpolar Conference. In 2013, the Commission was seized again, this time by the Arctic Athabaskan Council, which filed a new petition against Canada on the grounds of accelerated warming of the Arctic cap. This would result in the violation of multiple rights of indigenous peoples, such as the right to transmit their own culture to future generations, access to traditional food, the right to property and the right to health.
 
The choice to link climate change to human rights could also trigger action by the national judge. In 2005, for example, the Federal Supreme Court of Nigeria ordered oil company Royal Dutch Shell to refrain from the practice of "gas flaring". According to the Nigerian judges, burning the gas produced by oil extraction would cause GHG emissions and other discharges into the atmosphere likely to undermine the right to life and dignity of local populations. In 2015, a Dutch court underlined the State's obligation to adopt the necessary measures to protect its citizens from the imminent danger caused by climate disruption, now established by the IPCC.
 

Proposal no. 6 - Recognize the positive obligation of States to ensure that companies respect the fundamental rights of individuals and indigenous peoples who may be affected, directly or indirectly, by climate change.

(1).Sandrine Maljean-Dubois and Apolline Roger (dir.), L'Implication des entreprises dans les politiques climatiques. Entre corégulation et autorégulation, Paris, La Docu- mentation Française, 2011, p. 11-12.
(2). See remarks by Antoine Frérot, in A. Supiot and M. Delmas-Marty (eds.), Prendre la responsabilité au sérieux, op. cit.
(3). See Roger Guesnerie, "Le 'dictateur bienveillant' et le climat", Le Monde. fr, 23.6.2015. Moreover, the shortcomings of the European ETS, which contributed to the collapse of the carbon price, cast doubt on the incentive effect that such a mechanism can have on changing the trajectories of corporate greenhouse gas emissions.
(4). Antoine Frérot, in A. Supiot and M. Delmas-Marty (eds.), Taking Responsibility Seriously, op. cit.
(5). Janis Sarra proposes that the carbon tax should be partially retroactive. See her contribution "Assumer notre responsabilité financière en matière de changement climatique", in A. Supiot et M. Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, op cit. Supiot and M. Delmas-Marty (eds.), Prendre la responsabilité au sérieux, op. cit.
(6). A. Frérot, op. cit. See also the economists' appeal entitled "Pour un accord climatique amitieux et crédible à Paris" ("For a friendly and credible climate agreement in Paris").
(7). For a list of these acts, see L. Neyret (ed.), Des écocrimes à l'écocide, Bruylant, 2015.
 
3 Modulating the responsibilities of transnational corporations according to economic power and "societal" impact, by Kathia Martin-Chenut
 
The multiplication of global players should imply a redistribution of responsibilities. However, this often leads to a dilution of responsibilities. Remedying the irresponsibility of companies implies modulating their responsibilities according to the "societal" impact of their activities. In other words, according to the social, health, environmental and broader human rights consequences of their activities. To this end, the obligations of transnational corporations in the field of fundamental rights should be strengthened by the adoption of a binding international instrument. Such an instrument would be in addition to existing international soft law standards. We would also need to extend the responsibility of parent companies and principals. And, last but not least, we need to rethink the mission and very notion of business to take account of societal issues.
 
7 -Support the adoption of a legally binding instrument on fundamental rights
 
Background - As early as the 1970s, the involvement of companies in serious human rights violations in Chile and South Africa gave rise to a number of initiatives within the United Nations (Working Group on a Code of Conduct for Multinational Enterprises and Special Rapporteur on the question of "the consequences for the enjoyment of human rights of the assistance given to the racist and colonialist regimes of Southern Africa"), relayed by the OECD (1976 OECD Guidelines for Multinational Enterprises) and the ILO (1977 Tripartite Declaration on Multinational Enterprises and Social Policy). But no binding legal text has been adopted. The UN's response has been to move towards "soft law", with the development of "corporate social responsibility" (CSR), notably through the adoption of the UN Global Compact in 2000, followed in 2011 by the Human Rights Council's adoption of the Guiding Principles on Business and Human Rights.
 
Now, despite the failure of the Draft Norms on the Responsibilities of Transnational Corporations and Other Business Enterprises drawn up within the former UN Sub-Commission on Human Rights in 2003, a Resolution was adopted on June 25, 2014 by the UN Human Rights Council to create an intergovernmental working group to draw up a legally binding international instrument. Admittedly, this process will be complex and arduous given the conditions under which the Resolution was adopted in 2014. However, the active and constructive participation of States, and France in particular, could contribute to a positive outcome and a strengthening of corporate responsibility. Given the absence of an international jurisdiction competent to judge companies, and the obstacles often faced by domestic judges, particular attention should be paid to the control mechanisms of the future text (quasi-jurisdictional or jurisdictional).

Proposal 7 - Support the Human Rights Council's initiative to regulate the activities of transnational corporations within the framework of international human rights law.

This initiative should not, however, hinder the development of CSR soft law or self-regulation to promote best practice. On the contrary, these different initiatives are complementary and can foster a culture of responsibility. All that remains is to identify those responsible.
 
8 - Reinforcing the responsibility of parent companies and principals
 
Context - The reticular organization of transnational corporations encourages irresponsibility. It is therefore becoming necessary to pierce the screen of legal personality, in particular by mobilizing concepts derived from international CSR standards, such as the sphere of influence or the duty of care. This would force players who exercise power, at whatever level, to answer for the impact of their decisions.
 
The duty of care is enshrined in principle no. 17 of the United Nations Guiding Principles. This non-binding text, which divides responsibility according to a triptych "Protect, respect and remedy", firstly requires companies to refrain from violating human rights (negative obligation). However, positive obligations flow from this negative obligation, in particular that of "due diligence": preventing and avoiding the negative impacts of their activities that could constitute human rights violations, including those linked to environmental damage.
 
Despite the criticism levelled at the UN Guiding Principles, its adoption process had the merit of keeping the theme of corporate responsibility on the UN agenda for some six years, and of arousing the interest of many bodies, including those outside the UN. In addition to the adoption of ISO 26000, the OECD has included a specific chapter on human rights in its Guidelines for Multinational Enterprises; the International Finance Corporation (IFC) has incorporated references to human rights into its Performance Standards; and, at European level, both the Council of Europe (work of the Steering Committee for Human Rights) and the European Union have adhered to the UN principles and are working to implement them within their respective member states. Thanks to the interaction between different normative areas, these principles have acquired a certain normative force, but their application remains uncertain.
 
Reinforcing responsibility therefore calls either for changes in case law (by establishing innovative links of subordination); or for legislative reforms to transcribe international standards into domestic law and thus "harden" CSR. This is notably the case in France with the measures initiated at the end of 2013 by a Bill on the duty of vigilance of parent companies and contractors. This first text (to which were added three other PPLs of the same content) was rejected by the Law Commission on January 21, 2015 on economic grounds and replaced by a new text, admittedly more "watered down", but whose adoption could place France at the head of a European movement in terms of due diligence obligations for transnational companies, in the same way as it has been in terms of non-financial disclosure obligations.

Proposal no. 8 - Establish a duty of vigilance for parent companies throughout the value chain. This objective could be achieved by linking self-regulation and regulation, soft law and hard law, from different normative areas (global, regional and national). It also presupposes providing victims (individually and, above all, collectively) with access to justice.

9- Integrating "societal" issues into the corporate purpose/social interest
 
Context - To counter the perverse effects of financialized capitalism and the economic argument that the purpose of business is to maximize profit, this proposal aims to rethink the mission and very notion of business, in particular by integrating societal issues into the corporate purpose or even the social interest.
 
This integration could take a number of different forms, such as the "société à objet social étendu" (extended corporate purpose company), the fruit of work carried out by the Collège des Bernardins (1). It could be implemented either through legislative reform (by revisiting, for example, the notion of commercial company), or through developments in case law. In France, for example, legislative proposals aimed at broadening the definition of social interest to take account of societal issues were put forward by the NGO Sherpa and formulated by the Attali report on the "positive economy". They were included in an initial version of the draft law "for growth, activity and equal economic opportunity" (known as the "Macron Project"), but were ultimately not retained. In other parts of the world, notably Brazil, evolving jurisprudential interpretations make it possible, for example, to affirm the "social function of the company" as a derivation of the social function of property and contract. On condition that we do not limit ourselves to a rhetorical disguise that would ultimately only encourage the resignation of the State.
 
It goes without saying that increasing the responsibilities of private economic players should never be to the detriment of those of States, which are primarily responsible for protecting human rights.

Proposal no. 9 - Integrate societal issues into the corporate purpose, or even the corporate interest, of companies. This could be achieved through legislative reform, along the lines of the proposed reform of article 1833 of the French Civil Code. It could also be achieved through developments in case law that recognize the social function of the company.

1. This work, which proposes a new form of company under French law (SOSE), aims to introduce a concrete link between corporate mission and governance, drawing inspiration from an American model (Benefit Corporation and Flexible Purpose Corporation). See B. Roger (dir.), Entreprise: formes de la propriété et res- ponsabilités sociales, Paris, Collège des Bernardins/Lethielleux, 2012, J.-Ph Robé,
« Pour en finir avec Milton Friedman », in A. Lyon-Caen et Q. Urban (dir.), La Crise de l’entreprise et de sa représentation, Paris, Dalloz, 2012, p. 11-32 ; O. Favereau, « La fin de l’entreprise privée », in A. Supiot (dir.), L’Entreprise dans un monde sans frontières, op. cit., p. 305-320 ; B. Segrestin, B. Roger, S. Vernac (dir.), L’Entreprise : point aveugle du savoir, Colloque de Cerisy, Éditions sciences humaines, 2014.
 
4. Intégrer les enjeux  sociaux et environnementaux dans le droit international économique, par Caroline Devaux
 
Le droit international économique est resté largement autonome par rapport aux enjeux sociaux et environnementaux, qu’il gère comme des externalités, soit en les interprétant  de  manière  utilitariste,  soit  en les ignorant. Pourtant, ces enjeux et le commerce international ne sont pas nécessairement antinomiques. Les investissements étrangers, tout comme les échanges commerciaux, avaient originellement pour finalité de donner aux pays pauvres les moyens de se développer. Cet objectif de développement est d’ailleurs inscrit dans la plupart des préambules des traités commerciaux. Le droit international économique s’est toutefois progressivement replié sur lui-même au fil de son évolution, jusqu’à apparaître comme une discipline isolée et centrée sur la seule poursuite du libre-échange.
 
L’élaboration d’une politique sociale internationale nécessite de mettre fin à la  conduite  paradoxale,  voire schizophrénique, des États qui ont consacré universellement les droits de l’homme tout en tardant à les transposer dans le cadre de leurs relations commerciales. Un tel repositionnement des États suppose une réintégration des enjeux sociaux et environnementaux tant dans le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) que dans le droit international des investissements étrangers, deux disciplines primordiales pour les acteurs économiques mais dictées par des logiques différentes.
 
10– Renforcer les « clauses sociétales » dans les accords de l’OMC
 
Contexte  –  La   réintégration   des   enjeux   sociaux et environnementaux dans le droit international économique n’est possible que si le droit de l’OMC   et le droit international des droits de l’homme se reconnaissent mutuellement. L’OMC doit prendre acte des engagements internationaux conclus par les Etats en matière de droits de l’homme. Ceci ne veut pas dire qu’elle vienne désormais statuer, par le biais de son système de règlement des différends, sur les questions sociales et environnementales. Il s’agit plutôt d’assurer la conformité des objectifs de l’OMC avec les enjeux sociaux et environnementaux, qui ne constituent actuellement que des exceptions au libre marché restrictivement interprétées par la jurisprudence de l’OMC.

Proposition n° 10 – Intégrer dans toutes les composantes du droit de l’OMC, des clauses sociétales qui tiendraient lieu de « passerelles juridiques » entre les disciplines. De telles clauses viendraient consacrer les enjeux sociaux et environnementaux comme des intérêts légitimes protégés par l’OMC.

11– Replacer l’État au centre de l’arbitrage d’investissement
 
Contexte – La réintégration des enjeux sociaux et environnementaux dans le droit international économique implique aussi de recentrer le règlement des différends en matière d’investissement autour des États. A l’heure actuelle, l’arbitrage entre États et investisseurs ne permet pas de prendre suffisamment en compte la protection des enjeux sociaux et environnementaux. Ces derniers restent interprétés restrictivement par les tribunaux arbitraux. Par exemple, dans une affaire Tecmed de 2003, afin de déterminer si le refus de la part des autorités mexicaines de renouveler le permis d’exploitation d’une décharge pour des considérations écologiques constituait une expropriation indirecte, le tribunal arbitral a déclaré que l’intention du gouvernement hôte est moins importante que les effets de sa mesure sur l’investissement étranger. En conséquence, il a été décidé que le refus des autorités mexicaines constituait un coût excessif pour l’investisseur, condamnant ainsi le Mexique à payer une indemnité de plus de 5,5 millions de dollars à la société Tecmed.
Plus récemment, dans le litige opposant les multinationales Suez et Vivendi Universal à l’Argentine, le tribunal arbitral a été amené à se prononcer explicitement  sur les liens entre le droit international de l’investissement et les droits de l’homme, particulièrement le droit à l’eau. Le gouvernement argentin avait annulé un contrat de privatisation des services de l’eau au profit de Suez notamment sur la base de la mauvaise qualité de l’eau distribuée aux populations locales. Le tribunal arbitral a décidé que le gouvernement argentin, devant respecter ses obligations aussi bien vis-à-vis des investisseurs qu’en matière de droits de l’homme, aurait dû trouver un moyen de concilier ses deux séries d’obligations.   Il a en conséquence condamné l’Argentine à verser une indemnité de 380 millions d’euros aux requérants pour avoir annulé le contrat (décision du 9 avril 2015). Dans ce contexte, une vague de renationalisation des services publics, notamment des services de l’eau, a lieu actuellement. À Jakarta par exemple, où Suez détient un contrat de privatisation du service de l’eau depuis 1997, le tribunal constitutionnel vient de déclarer la privatisation de l’eau inconstitutionnelle, entraînant ainsi la résolution immédiate et sans compensation du contrat avec Suez (1).
 
Si l’arbitrage d’investissement réserve un rôle de premier plan aux investisseurs, il faut néanmoins mentionner les dispositions innovantes du nouveau modèle brésilien de traité d’investissement qui prévoit, en cas de différend, le recours à un arbitrage entre États uniquement (Accords Brésil-Mozambique signé le 30 mars, Brésil-Angola le 1er avril et Brésil-Mexique le 26 mai 2015 sur la coopération et la facilitation des investissements). A défaut d’aller aussi loin, des améliorations doivent être aménagées pour une plus grande prise en compte de l’intérêt général.

Proposition n° 11 – Encourager, en matière d’investissement étranger, les États hôtes à invoquer tout manquement aux droits de l’homme devant les tribunaux arbitraux afin de réduire, voire de priver, les investisseurs de leur droit à la protection. Les États devraient aussi renforcer le contrôle exercé par leurs juges étatiques dans le cadre des demandes de reconnaissance et d’exécution des sentences arbitrales sur leur territoire même si une telle proposition va à l’encontre des besoins d’efficacité de l’arbitrage. Il faudrait enfin inciter l’État d’origine, qui a encouragé ses ressortissants à investir à l’étranger, à les poursuivre devant ses propres juges étatiques en cas de violation des droits de l’homme sur le territoire de l’État d’accueil (une telle procédure pourrait en retour servir de moyen de défense pour l’État d’accueil devant le tribunal arbitral).

12 – Concevoir des mécanismes de surveillance et de contrôle dans le cadre des accords commerciaux
 
Contexte – La réintégration des enjeux sociaux et environnementaux dans les accords commerciaux passe enfin par la mise en place de mécanismes de contrôle pour surveiller leurs effets sur les populations locales. Les mécanismes de contrôle conçus dans le cadre des accords de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (Commission de coopération environnementale dans le cadre de l’accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement en vigueur depuis 1994) et des accords de la Banque mondiale (Panel d’inspection crée en 1993) constituent des premiers pas vers une telle réintégration. Ils assurent en effet une surveillance permanente de l’impact sociétal des accords commerciaux et offrent à la société civile des moyens de participer au contrôle du respect des obligations sociales et environnementales pesant sur chaque État membre. L’accord de libre-échange UE-Colombie/Pérou prévoit aussi la mise en place d’un sous-comité sur le commerce et le développement durable pour mettre en œuvre les objectifs de développement durable de l’accord (article 280), ainsi que des points de contact nationaux (article 281) et l’instauration d’un dialogue avec la société civile (article 282). Mais des progrès considérables restent à faire.

Proposition n° 12 – Instituer dans les accords commerciaux des mécanismes de surveillance, en partenariat avec la société civile, afin de mieux contrôler leurs effets sur les populations locales, sans pour autant que ces mécanismes viennent remplacer une procédure contentieuse de règlement des différends en matière sociale et environnementale.

(1). Cour constitutionnelle indonésienne, décision du 20 février 2015 abrogeant la loi n°7/2004 sur les ressources en eau. Voir aussi la décision de la Central Jakarta District Court du 24 mars 2015 qui met fin au contrat de privatisation de l’eau au profit de Suez.
 
Les Auteurs
 
– Mireille Delmas-Marty  est  membre  de  l’Institut  et professeur honoraire au Collège de France (Chaire Études juridiques comparatives et internationalisation du droit de 2003 à 2011).
– Luca d’Ambrosio est docteur en droit et chercheur associé au Collège de France (Chaire État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités).
– Caroline Devaux est doctorante à Science  Po et chercheur associé au Collège de France (Chaire État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités).
– Kathia Martin-Chenut est docteur en droit HDR   et chargée de recherche au CNRS, UMR DRES – Équipe RSE, CNRS/Université  de Strasbourg
 

 

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