L’adaptation au changement climatique du parc nucléaire

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Le réchauffement climatique est une réalité à laquelle l’humanité sera confrontée tout au long du XXIe siècle et au-delà, comme le confirme le sixième rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces conséquences du changement climatique affecteront à des degrés divers, mais croissants, les réacteurs composant le parc nucléaire français actuellement en service, alors que la future loi pour la relance du nucléaire en France vient d’être votée à l’Assemblée nationale ce mardi 21 mars. A fortiori, ces conséquences doivent être prises en compte dans tous les projets de construction de nouveaux réacteurs qui sont susceptibles d’entrer en service à partir de 2035 et qui fonctionneront ensuite jusqu’en 2100, voire au-delà.

Le parc nucléaire français comporte actuellement 56 réacteurs implantés dans 18 centrales. Le rapport publié ce 21 mars 2023 par la Cour des comptes, à la demande du Sénat, vise à appréhender les effets prévisibles du changement climatique sur le parc nucléaire actuel et sur les nouveaux projets de réacteurs, ainsi que les conséquences de ces évolutions sur la sûreté et l’exploitation. Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, relève, devant la commission des finances du Sénat qui a commandité ce rapport, que « Les conséquences du changement climatique vont affecter, et affectent déjà, à des degrés divers mais croissants, les réacteurs du parc actuel. Elles affecteront encore plus les projets de construction de nouveaux réacteurs susceptibles d’entrer en service à partir de 2035"

Plus qu’un enjeu financier, « l’adaptation des réacteurs nucléaires au changement climatique représente un défi d’anticipation, surtout à l’heure où notre pays s’engage sur le projet ambitieux du nouveau nucléaire » alerte Annie Podeur, devant le Sénat.

Le pays manque de projections pour ces 10-15 ans quant à la disponibilité en eau douce et au débit des fleuves, alerte la Cour des comptes. « La disponibilité en eau représente le principal enjeu », souligne Annie Podeur, car les réacteurs en dépendent pour leur refroidissement, en « circuit ouvert » (eau prélevée puis rejetée, ce qui augmente la température des cours d’eau) comme « fermé » (moins de prélèvement d’eau mais évaporation). La Cour appelle à « mettre à jour les fondements scientifiques justifiant les limites réglementaires des rejets thermiques, et cela de manière concertée ".

Les centrales nucléaires en exploitation en France – Source : IRSN

Un parc nucléaire qui cumule les défis sur le siècle à venir

La filière nucléaire française doit se préparer à la perspective de la prolongation, puis de l’arrêt du parc actuel, conçu initialement pour être exploité 40 ans et dont les réacteurs atteindront une moyenne d’âge d’environ 45 ans en 2030. Elle doit aussi assurer la mise en service du premier EPR français à Flamanville et préparer la construction d’un programme « nouveau nucléaire » de 6 à 14 EPR2.

Ces défis techniques et industriels pour les décennies à venir devront être relevés dans un contexte où le parc nucléaire subit un accroissement en intensité et en fréquence des épisodes de chaleur et des extrêmes climatiques. « Les conséquences du changement climatique affectent les installations (la résistance des matériels, la compatibilité avec des conditions de travail acceptables) et l’environnement proche en lien avec l’exploitation (le débit et la température des cours d’eau mais aussi le niveau de la mer) », a rappelé Annie Podeur.

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L’eau est un enjeu majeur pour le parc nucléaire, qui en dépend pour refroidir la partie électrique des centrales. Ces paramètres physiques dont l’évolution est la plus déterminante en matière de changement climatique pour le parc nucléaire ont été en particulier retenus : la température de l’air et de l’eau, la sécheresse et les étiages sévères, le niveau marin – ce risque concernant principalement le nouveau nucléaire –, ainsi que les phénomènes climatiques extrêmes et de long terme, c’est à dire à horizon 2100 et au-delà. À cet effet, l’exploitant Électricité de France (EDF) dit s’est organisé de longue date pour appréhender les phénomènes climatiques. Depuis plusieurs années, l’adaptation au changement climatique serait devenue une préoccupation importante pour l’entreprise.

La Cour des comptes note donc que l’adaptation au changement climatique nécessite de préciser ce à quoi il faut s’adapter, à quelle échéance, et comment les aléas climatiques sont pris en compte pour assurer la sûreté et la production nucléaire.

Un dispositif de sûreté nucléaire qui intègre l’adaptation au changement climatique 

La conception initiale des centrales du parc actuel et les dispositions relatives à la sûreté nucléaire sont antérieures à l’émergence de la notion de changement climatique. La multiplication des épisodes de canicule n’avait pas été suffisamment anticipée lors de la conception des centrales. Après la canicule de 2003, un référentiel « grand chaud » a été défini, et les canicules ont été ajoutées à la liste des agressions externes d’origine naturelle. Depuis, l’impact de chaque canicule sur le fonctionnement des centrales a fait l’objet d’une étude. Par exemple, le retour d’expérience des canicules de l’été 2019 a fait l’objet d’un avis spécifique de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) et a conduit à mettre à jour les niveaux d’aléas qui servent de référence.

Une période de canicule peut conduire à ce que les températures à l’intérieur de la centrale soient trop élevées pour que les installations puissent fonctionner correctement, et à une dégradation accélérée des composantes de la centrale. L’IRSN souligne ainsi que « pour les équipements les plus importants, EDF peut être amené à arrêter le réacteur "(1). Le cas ne s’est jamais présenté jusqu’à présent, mais l’augmentation de la fréquence des canicules fait de ce scénario une véritable possibilité.
À ce sujet, l’IRSN a indiqué que des mesures avaient déjà été prises : « EDF a déjà remplacé certains composants sensibles aux température élevées ou équipé les locaux qui les abritent de moyens de conditionnement thermique permettant de maintenir la température à un niveau compatible avec le fonctionnement normal des équipements. " (2). Plus précisément, des groupes froids sont installés à l’intérieur des centrales pour faciliter la régulation de la température.

Mais progressivement, les aléas climatiques et l’évolution du climat ont été reconnus comme des éléments clé de la sûreté et intégrés dans les référentiels imposés par l’autorité de sûreté. L’accident de Fukushima en 2011 et les évaluations de sûreté complémentaires qui ont suivi ont notamment conduit à renforcer ces référentiels contre les agressions, lesquels sont mis à jour dans le cadre des procédures de réévaluation de sûreté à chaque visite décennale. 

Des effets limités mais croissants des évolutions climatiques sur la disponibilité du parc

À côté des paramètres liés à la sûreté, le parc nucléaire est soumis à des normes environnementales de prélèvements d’eau et de rejets thermiques, propres à chaque site, conçues pour limiter les impacts sur le milieu aquatique en aval et permettre le partage de la ressource en eau pour d’autres usages. Ces normes, associées à des épisodes de canicule et de sécheresse de plus en plus fréquents, peuvent contraindre l’exploitation et réduire la disponibilité et la production du parc, notamment pour les sites thermosensibles en bord de fleuves. Les pertes de production qui en résultent demeurent limitées en moyenne annuelle (environ 1%) et l’essentiel du risque d’indisponibilité en cas de canicule ou de sécheresse concerne six sites (Saint-Alban, Tricastin, Bugey, Blayais, Golfech et Chooz).
Rappelons que de fortes températures ont eu des effets indésirables pour EDF à l’été 2022 qui a été amené à ralentir sa production nucléaire. Le groupe avait déjà prévenu que la production nationale pourrait être affectée en raison de l’échauffement des cours d’eau, utilisés pour refroidir les réacteurs. Cette vulnérabilité des centrales aux fortes chaleurs vient s’ajouter aux autres risques liés au changement climatique les concernant : baisse du débit des cours d’eau laissant présager pertes de production, conflits d’usage, montée du niveau de la mer et risque de submersion sous-estimé pour les sites côtiers… Sans compter les impacts sur la biodiversité engendrés par les rejets d’eau chaude des réacteurs dans des milieux aquatiques déjà fragilisés, alors qu’EDF s’était vu accorder « temporairement » une dérogation en juillet 2022 autorisant quatre centrales à dépasser les limites de température imposées au titre de la protection de l’environnement !

A partir des travaux prospectifs Explore 2070 réalisés en 2012, on peut estimer que le débit moyen des fleuves devrait diminuer de 10 % à 40 % pour une majorité de bassins, et encore plus pour les périodes estivales d’août et de septembre, sans oublier des périodes de sécheresse et de canicule plus longues et plus fréquentes. Pour les centrales en bord de fleuve, le risque d’indisponibilité pourrait augmenter « d’un facteur deux à trois », selon RTE. La Cour des comptes fait remarquer que ces pertes peuvent « s’avérer critiques en accroissant les risques de tension sur le réseau ». Ces indisponibilités sont concentrées sur des périodes brèves, estivales le plus souvent, et peuvent s’avérer critiques en accroissant les risques de tension sur le réseau. Cette situation nécessite pour l’État de mieux appréhender la contrainte hydrique pour les centrales comme pour l’environnement en poursuivant les études sur l’évolution quantitative et qualitative de la ressource en eau.

Une conception et une implantation des nouveaux réacteurs nucléaires devant tenir compte des incertitudes climatiques à long terme

Si EDF qui a mis en place « une gouvernance, une organisation interne et des projets » pour faire face aux aléas climatiques, il dit avoir depuis longtemps intégré à sa politique de recherche cette dimension prospective et mobilisé des moyens et des ressources qualifiées. Sa démarche d’adaptation des installations reste fortement liée à l’application des référentiels de sûreté nucléaire et les innovations technologiques ne permettent pas encore de passer à des centrales sobres en eau. De fait, la cour constate que les 6 futurs EPR2 souhaités par le gouvernement ne comportent « pas d’évolution technologique marquée » en termes de système de refroidissement « sobre en eau ». Ne sont pas considérées non plus les projections les plus extrêmes en terme d’élévation de niveau des mers.

La Cour regrette aussi l’absence d’une approche « réellement intégrée et commune » à l’ensemble des acteurs directement concernés, soit EDF mais aussi l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) et l’IRSN, chaque organisation agissant encore dans le cadre de son périmètre et avec sa propre méthodologie. Cette approche devra être « territorialisée et concrète », plaide le rapport.

Les nombreux critères de choix d’implantation des nouveaux réacteurs, et notamment l’acceptation sociale des projets dans les territoires, amènent l’exploitant à faire preuve de prudence. Ainsi, les quatre sites identifiés pour déployer les six premiers EPR2 sont sur le littoral ou en bord de Rhône. Mais à ce stade, aucune visibilité n’est donnée sur l’implantation des huit EPR2 prévus en option.

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La Cour des comptes adresse « une forme d’alerte » à l’ensemble des acteurs du nucléaire à propos des futurs réacteurs, susceptible de démarrer dès 2035, qui seront soumis à « des exigences beaucoup plus fortes » et recommande d’éclairer au plus vite les choix d’implantation de ces EPR2 pour sécuriser leur planning de mise en service et la disponibilité d’électricité d’origine nucléaire des décennies à venir. Et pour le « nouveau nucléaire », les contraintes climatiques seront encore plus fortes, insiste le rapport, qui invite à « examiner » les sites fonctionnant à l’étranger sous des climats chauds.

La Cour invite à « produire rapidement des études de préfaisabilité » quant à la localisation des huit EPR supplémentaires aujourd’hui en option. Si la relance du nucléaire est validée par le Parlement, elle engagera le pays à l’échelle d’un siècle. Dans ce contexte, un élément sera décisif : l’emplacement des nouvelles installations.

Le nucléaire, « un gros utilisateur d’eau, mais un plus petit consommateur » 

« Que pèsent les centrales nucléaires dans la consommation totale d’eau en France ? » C’est la question que pose la journaliste Perrine Mouterde dans son dernier papier du Monde ce 23 mars. Un document de synthèse portant sur la ressource et l’utilisation d’eau en France était disponible sur le site du ministère de la transition écologique mais il a été dépublié autour du 10 mars. Il y était question du refroidissement des centrales électriques qui « représentait la deuxième activité la plus consommatrice d’eau du pays (31 %), derrière l’agriculture (45 %) et devant l’eau potable (21 %) et les usages industriels (4 %). Le volume annuel d’eau consommé en France métropolitaine, sur la période 2008-2018, était estimé à 5,3 milliards de mètres cubes. »

La réaction des écologistes ne s’est pas fait attendre : « Une fois pour toutes, disons-le, simplement et fermement : à ce rythme, il n’y aura bientôt plus assez d’eau dans nos fleuves pour refroidir les centrales nucléaires ! » Le 7 mars Marine Tondelier, la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, s’appuyait donc sur ces données, malgré un démenti du ministère de la transition écologique sur le site de TF1que ses chiffres, qui dataient d’une quinzaine d’années, ne reflétaient pas la réalité des consommations », laissant entendre que la part attribuée au nucléaire était surestimée. Le ministère explique que les données sont en train d’être mises à jour et seront dévoilées dans le cadre du plan eau, dont la présentation a été reportée à plusieurs reprises. La Société française d’énergie nucléaire (SFEN), de son côté, affirme que le parc n’utilise que 5 % à 10 % de l’eau consommée dans le pays. »

Perrine Mouterde explique : « Si le poids du nucléaire dans la consommation totale fait débat, les besoins en eau des 56 réacteurs du parc sont bien connus […] Sur les 56 réacteurs, 26 – dont les 14 situés en bord de mer et 12 en bord de fleuve – fonctionnent en « cycle ouvert » : ils pompent des quantités importantes d’eau, mais celles-ci sont ensuite quasiment intégralement rejetées dans le milieu d’origine, à une température supérieure de 2 ou 3 °C. Les prélèvements sont donc importants, mais la consommation nette est proche de zéro. Trente réacteurs, tous situés en bord de fleuve, fonctionnent en revanche en « cycle fermé » : l’eau est prélevée en moindre quantité (de 20 % à 30 % de moins qu’en cycle ouvert) et circule dans une tour aéroréfrigérante. Une partie (environ 60 %) repart dans le fleuve, à une température élevée de quelques dixièmes de degrés, et le reste (40 %) s’évapore et n’est pas restitué au milieu. Autrement dit, un peu moins de la moitié de l’eau prélevée par ces réacteurs est bien consommée. » Et de conclure : « Au total, selon les chiffres communiqués au World par EDF, 98,5 % de l’eau prélevée par l’ensemble du parc est restitué au milieu naturel, et un peu plus de 400 millions de mètres cubes ont été consommés, en 2021, par les 13 sites situés en bord de fleuve. « Le parc nucléaire est un gros utilisateur d’eau, mais un plus petit consommateur », selon Cécile Laugier, la directrice environnement de la division production nucléaire d’EDF. »

Le service statistique du ministère (SDES) travaille actuellement à une mise à jour de ces chiffres, qui ne l’ont pas été depuis 14 ans, car ils ne reflètent pas la réalité des consommations. La mise à jour sera fondée sur une analyse réacteur par réacteur (3).

Quel coût pour adapter les centrales au changement climatique ?

EDF évalue les investissements réalisés en lien avec le changement climatique (construction de digues, rénovation de tours aéroréfrigérantes…) à 960 millions d’euros sur la période 2006-2021 , et à un peu plus de 600 millions pour 2022-2038. Le coût estimé de cette adaptation, strictement rapporté au changement climatique et aux événements associés, demeure modeste en termes d’investissements, même si ce coût « n’est pas encore pleinement mesuré » et doit être précisé.

Plus qu’un enjeu financier, « l’adaptation des réacteurs nucléaires au changement climatique représente un défi d’anticipation, surtout à l’heure où notre pays s’engage sur le projet ambitieux du nouveau nucléaire, » a résumé Annie Podeur.

(1) Réponses de l’IRSN au questionnaire du rapporteur spécial de la Commission des finances du Sénat
(2) Réponses au questionnaire du rapporteur spécial de la Commission des fiances du Sénat
(3) Voir le rapport de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse : « Etude de l’hydrologie du Rhône sous changement climatique », janvier 2023

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