Lutte contre l’artificialisation des sols : un enjeu qui nous concerne tous

Lutte contre l’artificialisation des sols : un enjeu qui nous concerne tous

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L’objectif de « Zéro artificialisation nette » est une mesure phare du plan biodiversité du gouvernement, qui sera proposé en Conseil des ministres le 10 février prochain. Une mesure méconnue aussi bien par la population que par les maires. Pourtant, la lutte contre l’artificialisation des sols est un enjeu essentiel non seulement pour préserver la biodiversité et assurer une transition écologique soutenable, que pour améliorer nos cadres de vie. La France y est-elle prête ? Quelles en sont les conséquences sur l’habitation, le commerce, la vitalité des villes et villages, et plus généralement nos modes de vie et d’habitabilité de nos territoires ?

Quel regard les Français et les maires portent-ils sur les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) en matière de logement et de cadre de vie ? Connaissent-ils l’objectif ZAN (Zéro artificialisation nette) ? Sont-ils directement concernés par la transition écologique et l’artificialisation des sols ? Quel serait leur mode de vie idéal ? A l’approche de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi Climat, fixée au 10 février 2021, portant traduction des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, la Fédération Nationale des SCoT et l’Union Nationale des Aménageurs (UNAM) ont présenté début janvier les résultats d’une étude sur les attentes des élus et des habitants. Si l’objectif de « Zéro artificialisation nette », mesure phare du plan biodiversité du gouvernement, semble globalement méconnu, la transition écologique et la lutte contre l’artificialisation des sols sont perçus comme des enjeux essentiels.

Le concept de « Zéro artificialisation nette » vient de la Commission européenne qui, dans « la feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources » publiée le 20 septembre 2011 expose (p. 19) son « objectif consistant à supprimer d’ici 2050 toute augmentation nette de la surface des terres occupées ». Cette feuille de route précise même la trajectoire retenue : passer dans l’Union européenne d’une consommation annuelle de plus de 1 000 km² par an en moyenne à 800 km² entre 2000 et 2020 (- 20 %), puis à 0 km² en 2050.
Le concept fait en France une apparition discrète, mais bien réelle, dans la « stratégie nationale bas-carbone 2015-2018 » dans laquelle il est précisé (p. 58) qu’en matière de consommation d’espace, « l’objectif est de parvenir à stopper l’artificialisation nette des sols, tout en assurant la capacité de répondre aux besoins, notamment en logements, des populations ». Il est également précisé qu’a été envisagée une hypothèse de réduction de 80 % de l’artificialisation à échéance 2035 en vue d’un arrêt total à terme.

La méconnaissance de ce principe concerne pratiquement l’ensemble de la population française, selon une étude lancée en septembre dernier, par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault. En effet, sur un échantillon de 1005 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, 88% des interrogés pour cette étude (toute catégorie sociodémographique confondue) n’ont jamais entendu parler de l’objectif ZAN. A contrario, seulement 47% des maires des communes (2000 à 20 000 habitants) le connaissent.

Pourtant, the study révèle que 66% des français jugent la transition écologique comme un enjeu fondamentalement important. Il en ressort néanmoins que sur la plupart des objectifs proposés par la CCC, la question de la transition écologique se révèle consensuelle.

Les Français et les maires perçoivent la transition écologique comme un enjeu essentiel

66% des Français jugent la transition écologique pour lutter contre le changement climatique fondamentale ou importante, contre 26% qui ne partagent pas cet avis. Les femmes (72%), les CSP+ (71%) et les habitants de l’agglomération parisienne (74%) sont particulièrement engagés sur ce sujet. 72% des maires des communes de 2000 à 20000 habitants estiment fondamental ou important cet enjeu. Sur ses objectifs poursuivis, la transition écologique se révèle consensuelle, tant au sein de la population que parmi les élus. 90% des Français (et 93% des élus) considèrent qu’il faut encourager une agriculture encore moins consommatrice d’engrais et de pesticides. 86% des Français (92% des élus) qu’il est nécessaire de stopper l’expansion des villes pour préserver les zones naturelles et 85% des Français (94% des élus) que la transition écologique va avoir un impact sur les formes d’habitat de la population.

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Il faut rappeler que l’artificialisation des sols engendre en particulier, et en premier lieu, une érosion de la biodiversité par destruction des habitats et des continuités écologiques, une perte de capacité et de production agricole, une perturbation du cycle de l’eau et de la résilience face aux inondations, et, enfin, une banalisation des paysages qui entraîne une perte d’attractivité y compris économique.

L’objectif « Zéro artificialisation nette » demeure confidentiel dans l’opinion

88% des Français n’ont pas entendu parler de l’objectif « Zéro artificialisation nette ». La méconnaissance de cet objectif concerne l’ensemble des catégories sociodémographiques de la population. Plus étonnant encore, 52% des maires des communes de 2000 à 20 000 habitants n’ont pas entendu parler non plus de ce sujet. Ce plan ZAN, annoncé lors du Plan Biodiversité en juillet 2018, vise à limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.
Les derniers rapports du GIEC et de l’IPBES soulignent que l’urbanisation croissante, par l’extension des villes, est l’un des déterminants principaux du changement climatique et du déclin de la biodiversité. Les scientifiques invitaient alors les décideurs à imaginer de nouveaux modèles d’aménagement plus respectueux des sols. Ce plan ZAN est également soutenu par la commission européenne afin, en effet, de neutraliser l’impact des villes sur la biodiversité et le changement climatique.

Certaines mesures de la Convention Citoyenne sur le Climat font débat

Si certaines des propositions de la CCC sont approuvées largement par l’opinion, comme le fait que les pouvoirs publics puissent récupérer des zones construites inhabitées ou abandonnées pour les transformer en zones naturelles (84%), qu’ils puissent stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines (83%), interdire toute artificialisation des terres tant que des réhabilitations sont possibles (80%), certaines se révèlent moins consensuelles.
C’est le cas concernant la possibilité pour les pouvoirs publics d’arrêter de délivrer des permis de construire sur de nouveaux terrains, qui est approuvée par 65% des Français mais fait débat parmi les maires des communes de 2 000 à 20 000 habitants (52% d’adhésion seulement).

L’idée que les pouvoirs publics puissent les obliger à rénover des logements anciens avant de les vendre ou de les louer divise les Français eux-mêmes (54% de favorables mais 44% d’opposants), tout comme la construction d’immeubles de logements collectifs dans les zones pavillonnaires (49% de favorables et 49% d’opposants). C’est encore plus net s’agissant de la possibilité de réquisitionner les logements ou les locaux vides sans dédommager leurs propriétaires (39% de favorables contre 58% d’opposants). Notons que plus une proposition impacte directement les citoyens, plus ils sont réticents à son égard.

Les Français souhaitent limiter des zones commerciales périphériques tout en préférant y faire leurs courses

Les habitants sont favorables à la limitation des zones commerciales périphériques (83%), mais sont 49% à indiquer préférer faire leurs courses en périphérie commerciale plutôt qu’en centre-ville (48%).
Olivier Razemon, dans son ouvrage paru en 2017 « Comment la France a tué ses villes » (Editions Rue de l’échiquier), explique comment les modes de vie sont fortement liés aux modes de déplacement. Ainsi, au-delà de la dévitalisation urbaine, il observe les conséquences, sur le territoire, de la manière dont on se déplace. Partout, la voiture individuelle reste considérée comme une obligation, un dû. Or, parce qu’elle occupe de l’espace et génère bruit et pollution, la motorisation contribue largement à l’asphyxie des villes : « Dans les villes, la voiture sature l’espace, aussi bien dans le centre que dans les quartiers anciens. Le bruit, la vitesse, le danger constituent autant de barrières, de coupures urbaines qui pèsent sur les déplacements piétons. Sur tous les trottoirs de France, on trouve des véhicules garés. Difficile, dans ces conditions, de se motiver pour faire ses courses en ville. " (2)

Les Français sont opposés à la densification des villes

54% des Français souhaitent des villes moins denses et plus d’étalement urbain contre 40% seulement qui souhaitent des villes plus denses. Le rejet de la densité concerne toutes les catégories de population, qu’elles vivent dans une commune rurale (57%) ou dans les grandes agglomérations (54%). Dans le même temps, seuls 33% des maires des communes de 2 000 à 20 000 habitants souhaitent des villes plus denses, contre 34% qui s’y opposent et 29% qui ne tranchent pas entre les deux options.

D’ailleurs, 60% des Français privilégient comme lieu de vie idéal une petite ville (31%) ou un petit village, quand seuls 13% préfèrent le centre ou la périphérie d’une grande métropole. Soulignons ici que les habitants des grandes métropoles eux-mêmes ne sont que 30% à vouloir habiter dans ce type de territoire. Les motivations à privilégier des communes de petites tailles sont avant tout portées par le sentiment qu’elles offrent une meilleure qualité de vie (60%) ou une proximité à la nature (41%), plus que par la volonté d’avoir un prix du logement plus abordable (22%) ou plus grand (17%).

Au final, il convient de noter la difficulté de la mise en place d’un objectif comme le « Zéro artificialisation nette » vis-à-vis de l’opinion publique. Si prises individuellement, les mesures favorisant cet objectif peuvent parfois ne pas susciter d’opposition a priori, l’impact qu’elles peuvent avoir sur les lieux de vie des Français ne vont pas forcément dans le sens de leurs attentes, notamment concernant la problématique de la densification des territoires.

Dans son dernier ouvrage, l’urbaniste Sylvain Grisot (1), explique, qu’à force de grandir, la ville se disloque. L’étalement urbain, unique modèle de développement depuis un demi-siècle, est inefficace. Structuré autour de la mobilité automobile, il montre ses limites : consommation de terres agricoles, pollutions, coûts exorbitants, … mais surtout d’une ville qui a oublié les atouts de la proximité et qui  accentue les fragmentations sociales : « [...] l’enjeu est que celle-ci (l(artificialisation des terres) prenne fin le plus tôt possible car chaque année qui passe entame nos capacités de résilience (alimentaire notamment), distend nos liens à la nature, met souvent à mal notre sens esthétique » (Préface de Philippe Bihouix, octobre 2020).

Lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain en rendant attractive la vie dans les villes et les villages

C’est dans la thématique « Se loger » (Famille d’objectif : artificialisation des sols) que la Convention Citoyenne pour le Climat propose leur ambition de lutter contre l’artificialisation des sols de manière beaucoup plus efficace pour ralentir le rythme de consommation d’hectares de pleine terre d’ici à 2040. Une artificialisation qui progresse d’environ 8,5 % par an, soit une augmentation équivalente à un département français moyen en moins de 10 ans entre 2006 et 2015.

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Mais aussi des propositions pour améliorer les conditions de vie en ville en sensibilisant largement à l’importance et l’intérêt de la ville plus compacte, et construire une nouvelle culture de l’habitat collectif ; en finançant les rénovations des logements dans les petites communes (donner aux villages l’accès aux financements et programmes d’État de rénovation des centres-villes, comme par exemple le programme cœur de ville) ; en rendant les centres-villes plus attractifs pour mieux vivre dans un milieu dense et se préparer au changement climatique : en revitalisant les commerces et le maintien des écoles en milieu rural et l’accès équitable à des niveaux de services (commerce, poste, bureaux, internet) ; en apportant de la nature en ville : créer des fermes urbaines et plus de végétal (les PLU peuvent imposer des surfaces minimales de pleine terre dans les projets urbains), …

Le plan biodiversité du gouvernement prévoit un objectif de zéro artificialisation nette, avec une échéance d’arrêt d’ici 2050 pour s’aligner avec l’objectif de neutralité carbone de la France. Il faut donc agir vite en prenant des mesures précises : « il faut engager un profond ralentissement dès maintenant en prévoyant que sur la période 2021-2030, le nombre d’hectares artificialisés par commune soit limité au quart de ce qui a été artificialisé entre 2000-2020. »

William Aucant, un des cent cinquante citoyens tirés au sort pour faire partie de la CCC, mais aussi architecte urbaniste de 33 ans à Nantes, faisait remarquer à Sylvain Grisot pour son ouvrage que « La France moche qu’avait titré Télérama il y a dix ans m’a toujours bouleversé. Je sortais de l’Ecole d’architecture et je trouvais que ces zones commerciales étaient en train de saccager ce magnifique pays. J’ai été ému que cela soit évoqué par le Président dans son discours. Je serai là pour lui rappeler qu’il a pris cet engagement contre l’étalement urbain et qu’on doit commencer tout de suite ce chantier. Car cela fait vingt ans qu’on en parle et que rien n’a encore bougé"

Et si on passait au Biorégionalisme ?

Comment répondre à l’habitabilité des territoires ? Comment offrir un lieu où mener une vie bonne sans dégrader ses propres conditions d’existence ? C’est la réflexion qu’ont menée toute une équipe de recherche de l’ESAD de Valenciennes, sous la direction du philosophe Ludovic Duhem et du géographe Richard Pereira de Moura, à travers leur dernier ouvrage « Design des territoires »(3) où « il est donc question de ce qu’on fait en commun et du commun pour répondre du monde, pour qu’une « mondialisation » soit de nouveau possible, pour qu’un devenir « monde » puisse emporter nos existences vers la vie plutôt que vers la mort, en remède plutôt qu’en poison

From bio– (« vivant ») et région (portion d’espace déterminée), le terme de biorégion, héritée d’un terme inventé par le biologiste et sociologue écossais précurseur Patrick Geddes et repris par l’historien Lewis Mumford, est une idée proposée par Peter Berg et Raymond Dasmann en 1977 puis enrichie par Alberto Magnaghi et les territorialistes dès les années 1990, dans le contexte de l’extension du néolibéralisme urbain. La biorégion constitue à la fois une philosophie de vie, une utopie réalisable et prospective, une démarche militante, où le territoire est pensé non pas selon les frontières politiques et administratives, mais en fonction des limites géographiques qui forment une unité de sens pour les communautés humaines en relation avec leurs milieux de vie. Pour être comprises dans leurs dynamiques et leurs interactions, les biorégions doivent être appréhendées au plus près du vécu des habitants et de leurs usages et représentations du territoire (ressources, contraintes, risques, symboles, …) en complément des savoirs académiques et vernaculaires. Une alternative post-urbaine ? « Pourquoi pas alors se dégager de certaines assignations, de croiser des histoires communes, d’engager des dynamiques collectives, voire des constructions à venir, à travers un agencement d’espaces et de situations dessinant les contours d’un développement local auto-soutenable … »       

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        

(1) »Manifeste pour un urbanisme circulaire – Pour des alternatives concrètes à l’étalement de la ville » de Sylvain Grisot, urbaniste, qui a fondé en 2015 dixit.net, une agence de conseil et de recherche pour les transitions urbaines. Il est aussi conférencier, enseignant et chercheur. 
(2) Olivier Razemon, »Au pays des villes mortes »  Le Monde, 11 janvier 2016
(3) « Design des territoires – L’enseignement de la Biorégion » – Collectif sous la direction de Ludovic Duhem, coordinateur de la recherche à l’ESAD Valenciennes et Richard Pereira de Moura, géographe et chargé de la recherche en design à l’ESAD Valenciennes 2017-2019 – Editions Eteroropia France, Collection Parcours, septembre 2020

Source : OpinionWay pour Fédération SCoT et l’Unam – Les Français, les maires et l’objectif ZAN – Janvier 2021

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