Les nouvelles orientations des États-Unis sous la présidence de Trump, marquées par un alignement sur la Russie concernant l’Ukraine et des ambitions expansionnistes envers des territoires comme le Groenland et le canal de Panama, révèlent une vision du monde centrée sur la domination et l’exploitation des ressources. Cette approche rappelle les critiques formulées par Barry Lopez dans son ouvrage « Réécrire l’Amérique« , où il analyse les conséquences de l’impérialisme et de la destruction des cultures indigènes sur la modernité et la crise écologique actuelle. Barry Lopez retrace l’histoire de la colonisation du Nouveau Monde, mettant en lumière la destruction brutale des peuples indigènes et de leurs cultures. Il considère cet événement comme fondateur de la modernité et matrice de la crise écologique contemporaine. Il y critique une approche du monde basée sur l’imposition et la domination, où l’homme se positionne en maître et propriétaire de la nature, sans chercher à établir une relation éthique et réciproque avec elle.
Depuis le début de son second mandat, Donald Trump a adopté une posture qui s’aligne sur la Russie concernant le conflit en Ukraine, tout en affichant des ambitions expansionnistes envers des territoires tels que le Groenland et le canal de Panama. Cette évolution s’explique par une combinaison d’intérêts stratégiques, économiques et politiques.
Dans ce contexte, UP’ souligne l’importance de relire « Réécrire l’Amérique – Vers une littérature des lieux » dans le contexte actuel des États-Unis. Les politiques expansionnistes et l’alignement sur des puissances autoritaires reflètent une perpétuation des schémas impérialistes critiqués par Lopez. Cette relecture invite à une introspection sur les fondements de la société américaine et sur la nécessité de repenser notre relation à la terre et aux autres cultures. Elle encourage à décoloniser nos territoires et nos imaginaires, en adoptant une posture de compagnon plutôt que de maître envers notre environnement. »Réécrire l’Amérique » offre des clés de compréhension essentielles pour analyser et critiquer les dynamiques actuelles aux États-Unis, en mettant en lumière les racines historiques de l’impérialisme et en proposant une alternative basée sur le respect et la réciprocité avec la nature et les cultures.
« Notre problème avec le Nouveau Monde — un monde qui était censé ravitailler un Vieux Monde qui avait connu une sorte de décadence — est que, depuis le début, nous avons imposé, et non proposé. Nous n’avons jamais dit aux peuples, aux animaux, aux plantes, aux rivières ou aux montagnes : « Que pensez-vous de çà ? ». Nous avons dit ce que nous pensons et plié à notre volonté tout ce qui pouvait y résister. » (P. 20).
Rappelons que l’expansion territoriale des États-Unis d’Amérique s’est opérée à partir des Treize Colonies originelles, s’étendant progressivement de 1783 à l’annexion des îles Hawaï en 1898 et des îles Vierges en 1917. Parmi les étapes majeures de cette expansion figurent l’achat de la Louisiane à la France en 1803, la cession de la Floride par l’Espagne en 1819, l’annexion du Texas en 1845, ainsi que l’acquisition de la Californie à l’issue de la guerre américano-mexicaine entre 1846 et 1848. S’y ajoutent l’intégration du territoire de l’Oregon, négociée avec la Grande-Bretagne en 1846, et l’achat de l’Alaska à la Russie en 1867.
« […] l’histoire de l’usage du territoire américain a été une exploitation sans foi ni loi. » (P. 37).
Par ailleurs, les États-Unis se sont construits comme une terre d’immigration. Qu’ils aient été contraints de s’installer sur le sol américain, notamment dans le cadre de l’esclavage des populations noires, ou qu’ils aient émigré pour des raisons économiques et l’espoir d’une vie meilleure, les nouveaux arrivants se sont regroupés en communautés selon leurs origines. Ainsi, les vagues d’immigration européenne (Italiens, Irlandais, Grecs, Juifs d’Europe de l’Est) et asiatique (Chinois, Coréens) ont façonné une société marquée par la coexistence de groupes ethniquement homogènes. Cela explique l’importance des notions de race, d’ethnie et de communauté (« community ») dans la perception et l’organisation de la société américaine.
Alignement avec la Russie sur la question ukrainienne
Dès son investiture, Trump a exprimé sa volonté de mettre fin rapidement au conflit russo-ukrainien, déclarant pouvoir négocier une issue en une journée. Cette approche contraste fortement avec celle de son prédécesseur, Joe Biden, qui soutenait fermement l’Ukraine. Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a qualifié le retour aux frontières ukrainiennes de 2014 d’« objectif irréaliste », suggérant que tenter de reconquérir tout le territoire ne ferait que prolonger la guerre.
Trump a également initié des négociations directes avec Poutine, sans la participation initiale de l’Ukraine, et encore moins de l’Europe, suscitant des inquiétudes parmi les alliés quant à d’éventuelles concessions faites à la Russie. Cette démarche unilatérale a été perçue comme une validation des positions russes, affaiblissant la position de l’Ukraine dans les pourparlers de paix.
« L’égo humain est probablement le plus grand obstacle — l’incroyable capacité de tout humain à se percevoir comme tout-puissant, quoi qu’il arrive. C’est un gros problème. » (Oren Lyons, P. 79). « Et c’est pourquoi vous avez des conseils, et c’est pourquoi vous avez des règles, et c’est pourquoi vous avez la communauté et la loi, parce que cela fait partie de l’humanité. Et il n’y a pas d’autorité ultime. Mais bien sûr, au fil du temps, les gens ont trouvé des normes de droit moral et je pense que c’est là que se trouve la vraie loi. Elle réside dans la moralité. Dans l’équilibre. » (Oren Lyons, P. 81).
Ambitions expansionnistes : Groenland et canal de Panama
Parallèlement, Trump a exprimé des ambitions expansionnistes en direction du Groenland et du canal de Panama. Il a menacé de recourir à la force pour prendre le contrôle de ces territoires, les jugeant « vitaux » pour les intérêts économiques et sécuritaires des États-Unis. Avant, il y avait eu Cuba,
Concernant le Groenland, Trump intensifie ses efforts pour placer l’île sous contrôle américain, menaçant le Danemark de sanctions et évoquant même une intervention militaire. Il considère l’île comme stratégique en raison de sa position géographique et de ses ressources naturelles.
Pour le canal de Panama, Trump exprime son intention de reprendre le contrôle de cette voie navigable stratégique, arguant que les frais imposés par le Panama étaient « exorbitants » et menaçant de le récupérer par la force si nécessaire.
Ces actions reflètent une volonté de redéfinir la politique étrangère américaine en adoptant une posture plus agressive et nationaliste. En s’alignant sur la Russie et en affichant des ambitions territoriales, Trump cherche à renforcer la position des États-Unis sur l’échiquier mondial, à sécuriser des ressources stratégiques et à satisfaire une base électorale favorable à une politique étrangère musclée.
Cependant, ces initiatives suscitent des préoccupations quant à la stabilité internationale et aux relations avec les alliés traditionnels des États-Unis, certains y voyant une déstabilisation de l’ordre mondial établi.
« Il n’y a pas assez de matière première dans les bois, ou au-delà, pour nous enrichir tous. Et dans cette quête vaine, nous nous appauvrirons tous. » (P. 36).
La pertinence de relire Barry Lopez à l’ère de la nouvelle administration Trump
Dans le contexte de cette nouvelle administration Trump, caractérisée par une politique étrangère axée sur l’unilatéralisme et la défense des intérêts nationaux, nous avons choisi une relecture du petit livre de Barry Lopez « Réécrire l’Amérique » car il offre une perspective critique sur l’histoire et l’identité des États-Unis. L’ouvrage invite à une réflexion profonde sur la relation entre l’homme et le territoire, questionnant les fondements mêmes de la nation américaine.
Ce recueil rassemble un récit, un manifeste et un entretien, reflétant les convictions poétiques et narratives de l’auteur, figure emblématique du nature writing américain (ou littérature des lieux). « Le véritable sujet du nature writing n’est pas, je pense, la nature, mais l’évolution structurelle des communautés qui ont été coupées de la nature, en général à cause du développement économique moderne » (P 47/48).
Le livre se compose de trois parties distinctes : un récit historique où Lopez retrace l’incursion espagnole dans le Nouveau Monde, mettant en lumière la destruction des peuples indigènes et de leurs cultures. Cet événement est présenté comme fondateur de la modernité et origine de la crise écologique actuelle. Ensuite, un manifeste : l’auteur formule ses convictions sur la nécessité d’une « littérature des lieux », une écriture enracinée dans le territoire, visant à décoloniser nos imaginaires et à renouer avec une relation authentique à la Terre. Enfin, un entretien avec Oren Lyons : ce dialogue avec le leader amérindien et défenseur des droits indigènes offre une perspective sur la sagesse ancestrale et la vision du monde des peuples autochtones.
Lopez propose une critique de l’histoire américaine, marquée par l’expansion territoriale et la marginalisation des populations autochtones. Il appelle à une reconnexion avec les lieux, suggérant que la littérature peut jouer un rôle central dans cette démarche en racontant des histoires enracinées dans le territoire. Cette approche vise à reconstruire une identité collective respectueuse de l’environnement et des cultures locales.
Les États-Unis : une histoire d’hégémonie, d’expansionnisme et de défense des intérêts nationaux
L’histoire des États-Unis est marquée par des périodes d’expansionnisme et d’affirmation de leur puissance. La doctrine de la « Destinée manifeste » au XIXᵉ siècle justifiait l’expansion territoriale vers l’ouest, souvent au détriment des populations indigènes. Au début du XXᵉ siècle, la politique du « Big Stick » du président Theodore Roosevelt illustrait une volonté d’intervention dans les affaires des nations voisines pour défendre les intérêts américains. Même si ces actions étaient souvent « justifiées » par une volonté de promouvoir la démocratie et la liberté, l’on sait que cela a conduit à des interventions controversées.
Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, cette dynamique expansionniste s’exprime différemment. Trump a adopté une position fluctuante, oscillant entre admiration pour des régimes autoritaires et affirmation d’une force américaine unilatérale. La guerre en Ukraine est un révélateur des tensions sous-jacentes de l’ordre mondial et la position des États-Unis face à ce conflit est un reflet de leur rapport historique à l’impérialisme. Lopez nous rappelle que la manière dont une nation raconte son histoire et occupe son territoire influence profondément sa politique intérieure et extérieure.
« […] il serait peut-être plus important pour la survie de l’espèce humaine aujourd’hui d’être amoureux que d’être en position de pouvoir. Il est peut-être plus important aujourd’hui d’entrer dans une relation éthique et réciproque avec tout ce qui nous entoure que de continuer à essayer d’avoir un contrôle sur le monde physique, comme nous y aspirions jusqu’à récemment. » (P. 58).
La réflexion du livre sur l’identité américaine et la relation au territoire permet de mieux comprendre le contexte actuel. L’ouvrage invite à repenser notre rapport à la Terre et aux cultures qui l’habitent en privilégiant une approche respectueuse et enracinée. Face aux dérives de la nouvelle administration Trump, il devient essentiel de s’interroger sur les racines idéologiques d’un pays qui, depuis des siècles, oscille entre hégémonie et remise en question de son propre rôle dans le monde.
Pour aller plus loin :
- Tribune de Olivier Wieviorka, historien : « Le contexte actuel présente quelques ressemblances avec la situation qui prévalait avant la seconde guerre mondiale », Le Monde, 5 mars 2025
- Livre « Notre homme à Washington« , de Régis Genté – Editions Grasset, octobre 2024
- Livre « War« , de Bob Woodward – Editions Simon & Schuster, octobre 2024
- Livre « Guerre d’influence – Les Etats à la conquête des esprits » de Frédéric Charillon – Edition Odile Jacob, janvier 2022
- Livre « L’expansionnisme et la politique étrangère des Etats-Unis 1885-1908« , sous la direction de Jean-Robert Rougé – Edition Les Presses de l’université Paris-Sorbonne
- Livre « Une autre histoire de la puissance américaine« , de Philip Golub – Editions du Seuil, 2011
Illustration d’en-tête : Dessin de Joseph Pulitzer pour le magazine satirique américain Puck, 1900. Oncle Sam est montré comme un grand homme gros refusant de prendre la médecine anti-expansionniste proposée par le leader anti-expansionniste Joseph Pulitzer. Le président William McKinley est représenté comme un tailleur mesurant l’oncle Sam. Il a été assassiné en 1901.