Alors que les tensions géopolitiques s’aggravent aux portes de l’Europe et bien au-delà, la question de la souveraineté stratégique revient au cœur du débat public. Face à une menace croissante, la France et l’Union européenne sont poussées à intensifier leur effort de défense, dans un contexte de contraintes budgétaires fortes. France stratégie a exploré les implications géopolitiques du réarmement européen, les leviers de financement envisageables, ainsi que les défis industriels, humains et politiques d’un tel basculement stratégique.
L’agression russe contre l’Ukraine a réveillé des réflexes sécuritaires que l’on pensait appartenir au passé, relégués aux manuels d’histoire. La réélection de Donald Trump, les déclarations de son vice-président lors de la Conférence de Munich sur la Sécurité, puis cette scène glaçante dans le Bureau ovale où un président démocratiquement élu a été humilié par le chef de la nation la plus puissante du monde, ont finalement contraint l’Europe à opérer un changement radical de paradigme en matière de sécurité et de défense.
Face à la dégradation continue de l’environnement géopolitique mondial, l’Union européenne et en particulier la France, se retrouvent à un tournant stratégique. La guerre en Ukraine, le durcissement des rapports internationaux, la montée des menaces hybrides et la fragilité croissante des alliances traditionnelles contraignent le Vieux Continent à repenser en profondeur sa politique de défense. Ce contexte oblige à rehausser significativement les ambitions en matière de réarmement, avec des objectifs de dépenses militaires désormais évoqués entre 3,5 % et 5 % du PIB, contre les 2 % qui faisaient jusqu’alors référence dans le cadre de l’OTAN.
Pourtant, ce retour massif aux logiques de réarmement ne s’est pas opéré sans rupture. Pendant plusieurs décennies, l’Europe, marquée par les conflits à ses frontières et par le traumatisme de la guerre froide, avait emprunté une trajectoire inverse. Les démarches multilatérales de désarmement, les traités restreignant certaines catégories d’armement, ainsi que la réduction des budgets militaires faisaient alors l’objet d’un large consensus, dans un contexte où l’intégration européenne elle-même était pensée comme un rempart contre la guerre. Le « dividende de la paix », comme on l’appelait, avait permis de réorienter les ressources vers les systèmes sociaux, les politiques éducatives, les infrastructures publiques et la coopération internationale.
Aujourd’hui, ce cycle apparaît, sinon totalement rompu, du moins fortement entravé. L’Union européenne avance des raisons désormais bien identifiées : un sentiment croissant d’insécurité, des flux migratoires aux frontières perçus comme une menace, la montée des régimes autoritaires et la résurgence d’une vague brune à l’échelle mondiale.
Un impératif géopolitique devenu incontournable
Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, l’Europe a amorcé un basculement avec un réarmement progressif, mais c’est bien l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie en 2022 qui a accéléré la prise de conscience de l’urgence stratégique. Les pays d’Europe de l’Est ont immédiatement haussé leur niveau de vigilance et leurs budgets militaires. En France, bien que la loi de programmation militaire (LPM) prévoie une hausse significative d’ici à 2030, ce sursaut reste insuffisant au regard des bouleversements géopolitiques en cours.
Car au-delà de la Russie, c’est l’ordre mondial lui-même qui vacille : affaiblissement du multilatéralisme, incertitudes sur l’engagement américain en Europe, rivalité sino-américaine, instabilité croissante au Sahel et dans l’Indo-Pacifique. Dans ce contexte, l’Europe doit impérativement renforcer son autonomie stratégique, non seulement pour garantir sa propre sécurité, mais aussi pour préserver sa souveraineté politique et industrielle.
Cela signifie être capable de décider seule de ses orientations diplomatiques et militaires, sans dépendre de puissances tierces. Mais cela suppose également de maîtriser les outils matériels de cette puissance : relocaliser des productions critiques, sécuriser les chaînes d’approvisionnement, soutenir l’innovation technologique dans les secteurs de défense, et bâtir une véritable base industrielle européenne de l’armement. Une telle autonomie passe par une vision commune, un effort partagé, et une volonté politique forte, capable de transcender les clivages nationaux. Autrement, l’Europe risque non seulement d’être militairement vulnérable, mais aussi de voir son indépendance politique affaiblie, et ses choix stratégiques dictés de l’extérieur.
Financer l’effort : un défi politique majeur
Le principal obstacle à cet effort de réarmement réside dans son financement. Quatre leviers sont théoriquement mobilisables :
- Réduction des dépenses publiques : elle supposerait des coupes sévères dans les prestations sociales ou la masse salariale de la fonction publique — un choix politiquement risqué, dans des sociétés déjà fragilisées.
- Augmentation des impôts : une option difficile dans des économies en ralentissement, déjà confrontées à une pression fiscale élevée.
- Hausse du taux d’emploi : souhaitable, mais peu susceptible d’apporter des ressources suffisantes à court terme.
- Recours à un financement européen : notamment via un endettement commun, qui permettrait une mutualisation des efforts, mais qui reste un sujet politiquement sensible, notamment auprès de certains États membres réticents à toute forme de dette partagée.
L’ampleur de la tâche interdit toute approche unilatérale. C’est une combinaison subtile de ces différents leviers qui devra être envisagée, nécessitant un arbitrage démocratique rigoureux pour concilier effort militaire, respect du modèle social et transition écologique.
Quelles capacités industrielles européennes ?
L’industrie de défense européenne connaît une transformation majeure en 2025. Les dépenses de défense des États membres de l’UE ont atteint 326 milliards d’euros en 2024, soit environ 1,9 % du PIB de l’Union, marquant une augmentation de plus de 30 % depuis 2021 :
France : Leader européen de l’armement, la France est le deuxième exportateur mondial sur la période 2020–2024. L’industrie française a connu une hausse significative des prises de commandes, atteignant 18 milliards d’euros en 2024. (Source : Polytechnique Insights)
Allemagne : Avec le fonds spécial de 100 milliards d’euros, l’Allemagne a renforcé son industrie de défense, notamment à travers son premier groupe de défense Rheinmetall, qui a vu son chiffre d’affaires croître de manière significative, atteignant potentiellement 10 milliards d’euros en 2024. (Source : Le Monde.fr)
Pologne : La Pologne investit massivement dans la modernisation de ses forces armées, avec des achats importants d’équipements militaires, notamment des chars K2, des obusiers automoteurs et des avions de combat.
Italie : L’Italie renforce ses capacités industrielles, avec des entreprises comme Leonardo S.p.A. jouant un rôle clé dans la production d’équipements de défense.
Espagne : L’Espagne développe ses capacités industrielles, notamment dans le domaine naval, avec des entreprises comme Navantia.(Source : touteleurope.eu)
Suède : La Suède, avec Saab, est un acteur majeur dans la production d’équipements de défense, notamment dans l’aéronautique et les systèmes de défense.
Pays-Bas : Les Pays-Bas collaborent avec des partenaires européens pour renforcer leurs capacités industrielles, notamment dans la construction navale.
Belgique : La Belgique participe à des programmes européens de défense, avec des entreprises comme John Cockerill Defense contribuant à la modernisation des équipements militaires.
Danemark : Le Danemark a annoncé des achats importants d’armes et de munitions, notamment à l’industrie de défense ukrainienne, pour un montant d’environ 830 millions d’euros en 2025. (Source : ElHuffPost)
Initiatives européennes
L’Union européenne a lancé plusieurs initiatives pour renforcer l’industrie de défense, notamment le plan « ReArm Europe/Préparation à l’horizon 2030 » (rebaptisé « Readiness 2030« ), visant à mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros pour renforcer l’infrastructure de défense européenne et destinées à stimuler les investissements de défense. Il voit la mise en place d’un nouvel instrument (SAFE) sous la forme de prêts destinés aux États membres d’un montant de 150 milliards d’euros. Ces derniers sont également invités à activer la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance pour augmenter leurs dépenses de défense (maximum de 1,5 % du PIB par an, pour une période de 4 ans).
Pour Hélène Masson, Maîtresse de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, « S’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un plan de 800 milliards d’euros, il représente néanmoins un puissant incitatif pour mutualiser les besoins, procéder à des achats communs et produire plus dans des domaines capacitaires jugés prioritaires. Il ouvre la voie à un changement de paradigme en produisant plus vite et en masse grâce à de nouveaux process de fabrication et une simplification des procédures d’achats. »
Hélène Masson explique : « Les armements et technologies militaires produits sur le sol européen sont pluriels et forment une offre européenne relativement complète : aéronautique militaire (avions de combat, avions de transport et de mission, hélicoptères, moteurs), armement terrestre (chars lourds, véhicules blindés médians et légers, véhicules logistiques et camions tactiques, systèmes d’artillerie, munitions tous calibres, équipements du combattant), naval militaire (sous-marins et navires de surface), spatial militaire, systèmes de missiles (tactiques et stratégiques) ou encore électronique de défense, TIC, cyber et systèmes autonomes (drones tactiques notamment).
La France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède sont les principaux États européens concepteurs, producteurs et exportateurs d’armement. Toutefois, les Pays-Bas, la Finlande, la Norvège et la Belgique comptent également des capacités industrielles et technologiques sur des segments spécifiques ou dans la fourniture d’équipements et de sous-systèmes. Cette offre s’étoffe depuis l’invasion russe de l’Ukraine avec un mouvement de renaissance de l’industrie de défense à l’est de l’Europe. Le phénomène est alimenté par de fortes ambitions nationales en Pologne, en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie, en Roumanie et dans les États baltes. » (Source : Polytechnique insights)
Malgré ces efforts, des défis subsistent, notamment la fragmentation de l’industrie de défense européenne et la nécessité d’une coordination accrue entre les États membres pour développer des capacités industrielles communes.
Un effort collectif, au-delà du financement
Mais les enjeux dépassent largement la seule question budgétaire. L’Europe devra aussi affronter des défis industriels et humains considérables : difficultés de recrutement dans les armées, tensions sur les chaînes d’approvisionnement, dépendances stratégiques (en particulier pour certains matériaux critiques), etc. Le renforcement des capacités militaires suppose une mobilisation massive et rapide de l’appareil productif, ainsi qu’une montée en compétence accélérée des personnels civils et militaires.
La clé réside dans une coordination européenne renforcée. Des instruments comme une programmation militaire européenne, une dette commune partielle dédiée à la défense, ou encore un fonds d’investissement européen dans les capacités industrielles de défense pourraient permettre d’atteindre un objectif partagé, tel que le financement d’au moins 1 % du PIB européen consacré à la défense commune.
Cette transformation ne pourra aboutir qu’à travers un effort collectif et coordonné au niveau européen, ce qui soulève d’importants défis politiques. Les approches nationales restent aujourd’hui très hétérogènes. L’Allemagne, longtemps prudente sur les questions militaires, a opéré un tournant historique avec son « Zeitenwende » en annonçant un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour ses forces armées. La Pologne, confrontée directement à la menace russe, vise des dépenses de défense équivalentes à plus de 4 % de son PIB et développe massivement ses capacités terrestres. Les pays baltes poursuivent, eux aussi, un effort intense, en lien avec leur exposition géographique et leur expérience historique. À l’inverse, certains États d’Europe du Sud ou neutres comme l’Irlande ou l’Autriche affichent encore des niveaux de dépenses et d’engagement plus limités, en raison de contraintes économiques ou de traditions de neutralité.
Les efforts de défense en Europe, un paysage contrasté :
Les réponses des États membres de l’Union européenne à la dégradation géopolitique varient fortement en fonction de leur histoire, de leur position géographique et de leurs capacités économiques. Le tableau ci-dessous illustre cette diversité :
Pays | Dépenses militaires (% PIB) | Orientation stratégique |
---|---|---|
Allemagne | 2,1 % | Tournant historique avec un fonds spécial de 100 milliards d’euros |
France | 2,0 % | Hausse progressive via la loi de programmation militaire |
Pologne | 4,0 % | Réarmement massif et prioritaire face à la Russie |
Estonie | 2,7 % | Hausses fortes, soutien actif à l’Ukraine |
Lettonie | 2,5 % | Effort soutenu, dépendance à la dissuasion collective |
Lituanie | 2,5 % | Investissements croissants depuis 2014 |
Italie | 1,5 % | Approche modérée, contraintes budgétaires |
Espagne | 1,4 % | Priorité basse dans l’agenda politique |
Suède | 1,7 % | Montée en puissance post-adhésion à l’OTAN |
Pays-Bas | 1,7 % | Engagement accru mais limité par le consensus politique |
Autriche | 0,9 % | Neutralité constitutionnelle, budget limité |
Irlande | 0,3 % | Neutralité historique, faible investissement |
Ce panorama souligne l’urgence d’une coordination européenne plus poussée pour éviter un morcellement stratégique et optimiser l’efficacité des dépenses militaires. La création d’outils communs, comme une programmation militaire européenne et des achats groupés, serait une première étape vers une souveraineté réellement partagée.
Ces divergences freinent la construction d’une véritable stratégie de défense commune. Pourtant, l’efficacité du réarmement dépendra de la capacité à mutualiser certaines dépenses, à harmoniser les doctrines d’emploi et à consolider les chaînes de production à l’échelle européenne. Des instruments tels qu’un document de programmation militaire européen, la mise en place de standards communs, ou encore un fonds de commande groupée pour soutenir l’industrie de défense européenne, pourraient contribuer à combler ces écarts.
Seule une coordination ambitieuse et pragmatique, intégrant les spécificités nationales tout en affirmant une vision partagée, permettra à l’Europe de se doter d’un outil de défense crédible et autonome.
Conséquences et implications géopolitiques du réarmement européen
Redéfinition du rapport de force avec la Russie
Le réarmement européen est perçu par la Russie comme une menace directe, en particulier avec l’augmentation rapide des budgets militaires des pays de l’Est (Pologne, États baltes, Finlande). Cela renforce la logique de confrontation à long terme et pourrait accroître le risque d’escalade militaire ou d’incidents aux frontières, alimenter la propagande russe sur la supposée « menace occidentale » et, enfin, justifier pour Moscou un renforcement de ses propres capacités militaires et une militarisation accrue de la société.
Affirmation de l’autonomie stratégique européenne
Le réarmement est aussi un levier pour réduire la dépendance vis-à-vis des États-Unis, notamment dans le cadre de l’OTAN. Il marque une volonté politique de rééquilibrer le lien transatlantique, une potentielle capacité à agir de manière autonome, notamment en cas de désengagement partiel ou d’imprévisibilité politique à Washington, aisi qu’un pas vers une « Europe puissance », capable de défendre ses intérêts en Méditerranée, en Afrique ou dans l’Indo-Pacifique.
Renforcement du poids géopolitique de certains États membres
Le réarmement ne se fait pas à un rythme uniforme. Cela peut accentuer certains déséquilibres internes à l’UE : la Pologne prend une stature nouvelle à l’Est, devenant un pilier militaire de l’Union ; la France se positionne comme chef de file de l’autonomie stratégique ; l’Allemagne, en tournant la page du pacifisme post-Seconde Guerre mondiale, ambitionne un leadership militaire à la hauteur de son poids économique.
Ces dynamiques peuvent à la fois renforcer l’Europe, mais aussi créer des tensions internes sur les priorités stratégiques et les lignes diplomatiques.
Risque de fragmentation stratégique au sein de l’UE
Le manque de coordination pourrait aboutir à un patchwork de doctrines, d’équipements et d’objectifs avec un isque de duplication des capacités, gaspillage de ressources, mais aussi une faiblesse de l’interopérabilité des armées européennes et des divergences sur les théâtres d’intervention prioritaires (Russie pour l’Est, Sahel pour la France, Méditerranée pour l’Italie et la Grèce).
D’où l’importance de projets intégrés comme la boussole stratégique, la coopération structurée permanente (PESCO), ou le Fonds européen de défense.
Impact sur les relations avec les pays voisins et le Sud global
Le réarmement européen peut être perçu comme un signal de fermeture, voire d’arrogance, dans certaines régions. En Afrique, il pourrait nourrir des critiques sur le retour d’un « impérialisme militaire ». Dans le monde arabe, cela peut susciter méfiance ou prudence diplomatique. En Asie, certains partenaires verront cela comme une tentative de se positionner dans l’Indo-Pacifique, en complément des États-Unis.
Il faudra donc accompagner cet effort militaire d’une diplomatie active, multilatérale et inclusive.
Renouveau potentiel de l’industrie européenne de défense
Sur le plan géopolitique, disposer d’une industrie de défense forte est aussi un levier de puissance. Cela accentue une capacité d’exportation, notamment vers des partenaires stratégiques. Cela apporte une indépendance technologique face aux fournisseurs américains ou asiatiques. Et cela permet de renforcer des alliances par la coopération industrielle (ex : char franco-allemand MGCS, avion SCAF, système antimissile européen).
Cela permet à l’Europe de peser davantage dans les équilibres globaux et de nouer des partenariats fondés sur la complémentarité plutôt que sur la dépendance.
En résumé, le réarmement européen est à la fois une réponse à l’insécurité mondiale, un pari sur la souveraineté et un test de maturité politique pour l’Union. Il peut soit accélérer l’unité stratégique du continent, soit révéler ses failles. Dans tous les cas, il redéfinit la place de l’Europe sur la scène internationale pour les décennies à venir.
Vers un nouveau modèle européen
L’enjeu est donc double : géopolitique et systémique. Il s’agit de bâtir un nouveau modèle politique, industriel et stratégique à l’échelle européenne. Un modèle qui ne se limite pas à la défense, mais qui rebat les cartes de la souveraineté, de la solidarité budgétaire et de l’identité stratégique du continent.
« Pour être crédible, durable et acceptable, cet effort devra s’articuler avec les autres priorités de notre société, le respect du modèle social, la transition écologique ou les investissements dans l’éducation et la connaissance, ainsi que, pour la France en particulier, le rétablissement de nos comptes publics, également gage de souveraineté », souligne Clément BEAUNE, Haut-commissaire au Plan et Commissaire général de France Stratégie. « De la prescription à la production, c’est un nouveau modèle européen, politique et industriel, qu’il faut inventer pour réussir un effort de défense coordonné, inédit par son ampleur et son rythme ».
Le réarmement européen n’est plus une option idéologique, mais une nécessité géopolitique. Et dans cette nouvelle course à la puissance, l’Union européenne joue bien plus que sa sécurité : elle joue son avenir stratégique dans un monde de plus en plus instable.
Ce recentrage des priorités économiques autour de l’industrie militaire invite cependant à une réflexion de fond : une telle orientation influe nécessairement sur la structure même de l’économie, en redirigeant compétences, capacités d’innovation et budgets vers des objectifs essentiellement sécuritaires. Si cette dynamique peut sembler nécessaire dans un contexte de menaces accrues, elle n’est pas sans effets collatéraux. Elle tend à reléguer au second plan les investissements dans les domaines cruciaux du développement humain, de la transition écologique, de la cohésion sociale et de la solidarité internationale.
L’exemple de la Russie illustre les implications d’un tel choix. L’économie de guerre qui y prévaut alimente un effort militaire soutenu, au service de la survie politique d’un régime autoritaire, et laisse peu d’espoir quant à une résolution rapide du conflit avec l’Ukraine. Plus largement, elle entretient une confrontation durable avec l’Occident, dans un rapport de force qui dépasse le simple cadre bilatéral.
Dès lors, une question centrale se pose pour l’Europe : en poursuivant le renforcement de ses capacités militaires, peut-elle éviter le piège d’un modèle économique fondé sur la conflictualité ? Comment concilier les exigences légitimes de sécurité avec les impératifs d’un développement soutenable et résilient ? Répondre à cette tension constitue l’un des grands défis stratégiques des années à venir.