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Contre l’illettrisme numérique en entreprise

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L’illettrisme numérique est aujourd’hui source d’incompréhension dans les entreprises 

Dans une entreprise telle qu’un opérateur de télécommunications, on ne parle pas d’informatique mais de système d’information, de SI, en épelant les lettres : S, I, et en les accolant bien souvent à un qualificatif négatif : le SI coûte trop cher, le SI est trop lent, le SI ne répond pas aux besoins, le SI ne marche pas ! Que l’ordinateur d’un salarié ne s’allume pas, qu’une imprimante n’imprime pas ou qu’une commande ne soit pas traitée dans les temps, qu’un client se plaigne d’une facture adressée à tort, c’est toujours la faute du SI.

Comment en est-on arrivé là ?

Comment en est-on arrivé là, qu’une technique, un moyen de traitement de l’information, concentre à ce point les griefs des salariés à l’encontre de leur activité, mélangeant allégrement matériel, qualité des données, systèmes informatiques, applications, interfaces homme-machine, mais aussi processus, stratégie commerciale, marketing, dans deux lettres en forme d’hypothèse, désignant tout et ne désignant finalement plus rien ?

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Et si… Et si le SI n’était, en fait, qu’un sigle masquant la complète incompréhension entre les 5 % des salariés de l’opérateur dont l’informatique est le métier et les 95 % autres qui l’utilisent au quotidien ? Si l’illettrisme c’est cette incapacité de lire, en le comprenant, un texte simple et bref en rapport avec la vie quotidienne, selon la définition qu’en donne l’Unesco, le malaise profond des salariés envers l’informatique n’est-il pas le symptôme d’un illettrisme numérique dans l’entreprise ?

C’est peu de dire que l’informatique est au coeur de l’activité de l’entreprise

Vecteur d’efficacité et de performance, elle occupe moins une place centrale qu’une place en toile de fond, soutenant la plupart des processus de métier au point qu’une tâche réalisée sans le support d’un outil informatique, d’un processus informatisé, est dite « manuelle », en opposition à « automatisée ». Chez un opérateur de télécommunications, opérateur de réseau mais aussi opérateur de services, dont l’une des principales missions est précisément de traiter, de façon automatisée, les flux d’information, cette prédominance de l’outil informatique est globale, hégémonique et ancrée dans les habitudes de travail depuis de nombreuses années. Est-ce à dire que le personnel, dans sa grande majorité, a compris le fonctionnement de son outil de travail et, par là, en a acquis la maîtrise ?

Certes, on peut avancer sans grand risque que, en général, il sait l’utiliser. Pour autant, a-t-il appris à parler à ses collègues informaticiens, dont la mission est justement de développer des outils qui soient les plus simples à utiliser ? Non, bien sûr ! Et pour cause : une règle tacite en entreprise dicte que ce n’est pas au métier d’apprendre à parler aux informaticiens, mais aux informaticiens à parler au métier. Si le SI ne marche pas, c’est que le SI n’écoute pas le métier ! Combien de fois ai-je entendu dans ma vie professionnelle cette phrase comme un reproche originel, celui de la domination aveugle et sourde de l’entreprise par les informaticiens, une fatalité des sociétés modernes.

En tant que directeur du système d’information d’une « division business », il m’arrive parfois d’être sollicité à propos de telle ou telle « crise SI », une application en panne, des commandes bloquées, des équipes opérationnelles à la limite du chômage technique, et le tas de sable qui augmente à mesure que le temps passe et que l’application ne redémarre pas malgré les ponts de crises, les équipes informatiques, le chef de projet rappelé de congés en urgence… Et ce fichu bug dans la nouvelle version mise en production la veille qui reste insaisissable.

A chaque fois, je me fais rassurant, démontrant au « business » qui s’inquiète et me bombarde de questions la grande compétence des services informatiques, le soutien d’une organisation industrielle efficace, tentant d’expliquer ou de faire expliquer avec des mots simples les raisons qui font qu’une conséquence parfois évidente a des causes emmêlées dans la complexité de nos systèmes informatiques, me heurtant presque toujours à cette difficulté de faire, sinon comprendre, au moins reconnaître que l’informatique, dans son activité de conception et de développement, est un travail avant tout intellectuel et que ce dont a le plus besoin un informaticien pour résoudre un problème en période de crise, c’est le calme et la concentration.

Dans cet exemple, l’aveugle et le sourd sont-ils bien ceux que l’on croit ?

Et plutôt que d’aveugles et de sourds, ne doit-on pas plutôt parler ici de difficultés à communiquer, à comprendre les enjeux, à intégrer les contraintes pour mieux exprimer des besoins, ces difficultés n’étant pas l’apanage des informaticiens seulement. En fin de compte, le problème de l’informatique en entreprise, notamment chez un opérateur de télécommunications ayant assimilé cette spécificité professionnelle depuis de nombreuses années, pourrait ne pas être l’informatique en soi, mais la capacité des non-informaticiens à intégrer l’informatique, ses principes, ses méthodes, ses contraintes, dans leurs mécanismes de pensée.

Sans doute l’industrie a-t-elle besoin de davantage d’informaticiens, toujours mieux formés, toujours plus professionnels, à l’affût des nouvelles technologies, des nouvelles méthodes de conception et de développement, à l’écoute de leurs clients. Mais l’industrie n’a pas moins besoin d’employés ayant acquis et assimilé une culture générale en informatique leur permettant non seulement de dialoguer efficacement avec leurs collègues informaticiens, mais aussi de prendre le recul nécessaire face à leur outil de travail afin d’être des vecteurs actifs de son amélioration et de sa performance.

Pour quelques passionnés non-informaticiens de profession, cette culture générale en informatique peut s’acquérir sur le tas. Toutefois, pour la grande majorité des non-informaticiens, c’est-à-dire la grande majorité de la population active, ce n’est pas possible. L’enseignement de l’informatique étant pratiquement absent de l’enseignement primaire ou secondaire, la grande majorité de la population active n’a pas de culture générale en informatique qui lui permettrait de mieux appréhender les enjeux de l’entreprise moderne.

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Chacun croit avoir appris l’informatique par l’usage qu’il en a au quotidien. Pourtant, qui comprend véritablement son fonctionnement, sa mécanique intime, sa puissance et… ses limites ? L’entreprise emploie en son sein une population de 95 % d’illettrés numériques qui, chaque jour, chaque instant, ont devant les yeux un livre ouvert aux mots indéchiffrables, essayant de suivre l’histoire qu’on leur raconte à travers les quelques images qui parsèment le récit et auxquelles ils s’accrochent, essayant de donner le change, pestant contre ce SI qui ne marche toujours pas, ne sachant pas quoi faire d’autre.

 Louis Becq est directeur du système d’information d’une division business chez un opérateur de télécommunications.

(Source : Lemonde.fr Sciences / 11 déc 2012)

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