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Le forçage génétique mis en accusation au sommet de la biodiversité à Cancun

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Protéger la diversité. Telle est l’ambition de la Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologiques qui se tient à Cancun du 2 au 17 décembre. Alors que les chiffres attestant de la 6e extinction sont dramatiques – la moitié des espèces de vertébrés décimées depuis quarante ans – alors que l’on connaît les causes – pollutions, fragmentation des écosystèmes, déforestation – 160 ONG attirent l’attention sur un risque émergent : la destruction des populations dites « nuisibles ». L’outil qu’elles redoutent est appelé forçage génétique (« gene drive » en anglais). Même si de nombreuses mises en garde sur son usage se sont manifestées récemment, tout semble prêt pour que l’agroindustrie le banalise.
 
Le paludisme, le Zika, le chikungunya… sont des fléaux terribles. Causés par des moustiques que tous les pays touchés entendent éradiquer. Les chercheurs examinent depuis longtemps des solutions chimiques (insecticides), physiques (radiations), transgéniques… Rien ne semble assez efficace à côté d’une arme massue : le forçage génétique. A tel point que la Fondation Bill et Melida Gates a investi sur cette technique 75 millions de dollars. Elle devrait proposer d’ici deux ans aux dirigeants africains des anophèles – moustiques vecteurs du paludisme – modifiés par cette technologie pour être résistants au parasite, Plasmodium falciparum, l’agent du paludisme.
 
De quoi s’agit-il ? Le procédé sort directement des avancées récentes permises par l’édition du génome, et la très fameuse technique CRISPR-Cas9 capable de faire du copier-coller avec les gènes.  La technique du gene drive concentre dans une cassette un gène que l’on veut propager et l’outil – appelé gène égoïste – permettant d’accélérer sa diffusion. Les ciseaux permettant la microchirurgie sont embarqués et encodés au sein même du génome ciblé. Le montage permet de court-circuiter les lois de Mendel, au point qu’à chaque génération, 100% des descendants ont acquis le gène intrusif. En une dizaine de générations d’individus se reproduisant de façon sexuée, la cassette a contaminé l’intégralité ou l’extrême majorité de la population sauvage (voir le schéma ci-dessous).
 
 
En avril 2016, face à l’épidémie inquiétante du Zika (concernant non seulement l’Amérique latine mais aussi des régions d’Afrique, d’Asie du Sud et des Iles du Pacifique), l’OMS a engagé des programmes de lutte anti moustiques et a encouragé les expérimentations notamment avec le candidat de la firme britannique Oxitec, le moustique OX513A. Pour les chercheurs engagés dans cette lutte antivectorielle, comme Eric Marois, de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg, l’enjeu de santé publique donne toute légitimité. Dans la mesure où on vérifie que l’on n’a pas d’effets délétères sur d’autres espèces. « Nous devons proposer des solutions, mais il faudra veiller à la manière de les mettre en œuvre  » avait-il insisté lors de son audition à l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en avril 2016.

La reproduction sexuée crée de la diversité, le forçage génétique l’élimine

Pourtant un réseau de 160 associations issues du monde entier vient de manifester son opposition à cette technique, lors du sommet de Cancun (Mexique) – du 2 au 17 décembre – dédié à la biodiversité. Ce lundi 5 décembre, à l’occasion de cette 13e conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB), a été présentée une demande de moratoire sur la « nouvelle technique génétique d’extinction ». Les associations estiment qu’ « il n’est pas possible de prédire de manière adéquate les effets écologiques en cascade de la diffusion dans les écosystèmes sauvages ». Elles craignent les effets irréversibles et le franchissement des barrières d’espèces. Elles demandent l’arrêt de tout recours au forçage génétique même pour la recherche.
 
Cette position s’inspire des travaux menés depuis vingt ans par le groupe canadien ETC (érosion, technologie et concentration) qui milite pour la mise en place d’une instance de gouvernance des technologies adossée aux Nations Unies (ICENT). Dans le même état d’esprit, en France, des réseaux associatifs comme FNE ou l’INC déjà impliqués au sein du Haut Conseil aux biotechnologies ou du Conseil économique, social et environnemental (CESE) proposent la création d’un Haut Conseil de l’innovation technologique (HCIT).
 
Conscient que les choix technologiques sont tirés par les marchés, Pat Mooney, directeur d’ETC Group, ne cesse de rappeler les dangers de la réduction de la diversité, de la concentration des semenciers (5 multinationales aujourd’hui détiennent 60% des variétés agricoles) pour la sécurité alimentaire mondiale. D’ailleurs, se plait-il à rappeler, « Il peut y avoir du profit même si une technique ne marche pas ».
Pat Mooney n’est pas isolé : de nombreux chercheurs pointent des problèmes irréversibles de sécurité écologique ou d’éthique. Dans le rapport publié par l’Académie américaine des sciences en juin 2016 sur la technologie gene drive, Jesse Kirkpatrick et Andrew Light, Institut for philosophy and public Policy (George Manson University) ont donné une série d’objections sérieuses. Ils ont mentionné notamment des effets hors cible non prévisibles, de grandes inconnues concernant les dynamiques des écosystèmes, une insuffisance des cadres d’évaluation du risque écologique. Pour Jesse Kirkpatrick « Les technologies gene drive soulèvent d’importants problèmes de sécurité (…) Les réglementations actuelles sont incertaines ou inexistantes. De plus, ces dernières ne peuvent être effectives si l’on réalise que le gene drive n’est pas traçable et que son efficacité immédiate cache ses effets à long terme imprédictibles ».

Outil de gestion des nuisibles

Les espèces vivantes n’ayant pas de frontières, la question cruciale sera de pouvoir réguler au plan international les usages de cette technique. Sur quels organismes ? Selon quels intérêts ? Sanitaires ou économiques ? Protéger les hommes ou bien les marchés ?
Car ce n’est pas pareil de lutter contre des moustiques tueurs ou de s’en prendre à… des ravageurs de cultures comme la Chrysomèle du maïs, qui fait beaucoup de dégâts. « Le forçage génétique qui constitue un outil de gestion des nuisibles » a toutes les chances de se banaliser, estime le philosophe Baptiste Morizot, de l’Université d’Aix-Marseille. Alors que le gene drive n’a rien d’une technologie cataclysmique, c’est l’adéquation de cet outil avec les logiques de l’agrobusiness qui fait craindre le pire.  Le risque est bien que la validation de la technique en santé publique serve de cheval de Troie pour légitimer a priori l’usage du gene drive contre toutes sortes de nuisibles, sans questionner à quoi ils nuisent ? ».

Car la notion de « nuisible » est très relative …

Notons que le terme nuisible est appliqué par l’agrobusiness à tout ce qui minimise le rendement des récoltes, la productivité. Or il existe un foisonnement de prédateurs qui menacent les intérêts économiques.  Et le gene drive pourrait être bien utile pour en finir avec ces « ravageurs » vus comme de stricts nuisibles alors qu’ils peuvent être aussi des pollinisateurs ou des rouages utiles des écosystèmes.
 
En septembre dernier, Monsanto a obtenu la première licence pour l’usage agricole de CRISPR-Cas9 auprès du Broad Institut (qui est une émanation du MIT et de Harvard). Pour Issi Rosen, directeur commercial du Broad Institut, l’usage des techniques d’édition en agriculture soulève des préoccupations éthiques et écologiques. C’est pourquoi la licence n’a été accordée à Monsanto que sous réserve : ne pas recourir au gene drive ! L’institut prohibe aussi la stérilisation des semences ainsi que la modification du tabac (en vue d’augmenter les effets de dépendance) pour un usage commercial.
Pour certains, c’est l’accès de tous à ces techniques qui est redoutable. Le chercheur australien, Colin Campbell estime que « la chose la plus inquiétante avec le gene drive c’est son prix : pour à peine 30 dollars, n’importe qui peut l’utiliser. C’est la combinaison du coût très bas et de la disponibilité qui rend cette technique si dangereuse ».
 
De son côté, le généticien israélien David Gurwitz (Université de Tel Aviv) prévient : si la technique du gene drive permet d’empêcher les moustiques de contaminer les humains avec le parasite du paludisme, elle peut aussi servir de cargo pour intégrer des toxines létales et infecter les humains ».
En France, le Haut Conseil des biotechnologies a été saisi pour donner un avis sur le recours au gene drive dans la lutte contre les moustiques. Le rapport est attendu pour début 2017.
 
 

A ne pas manquer :
Le 17 janvier 2017 se tiendra à l’ENS la première Conférence Legrain, du nom d’un mécène de l’ENS passionné par la recherche scientifique. Les Conférences Legrain à l’ENS ont pour objet de mettre en lumière les résultats obtenus dans le cadre de recherches innovantes, actuellement en cours, et dont les implications pourraient bien bouleverser nos sociétés contemporaines.
Dans cet esprit, la première Conférence Legrain à l’ENS sera consacrée à : L’ingénierie du génome, entre espoirs et craintes,
Elle aura lieu salle Jean Jaurès, et visera notamment à faire le point sur les enjeux scientifiques et éthiques de la technique Crispr/Cas9,

La Conférence Legrain se déroulera en deux temps :
– une première partie scientifique (16h30-19h) intitulée La technologie CrispR et ses applications, qui se déroulera en français et en anglais en présence de plusieurs chercheurs internationaux prestigieux, conférence préparée en amont avec des enseignants et des étudiants de l’ENS ;
– une seconde partie grand public (20h-22h), sous la forme d’une table ronde, intitulée Implications éthiques et juridiques de la révolution CrispR, en présence de philosophes, de médecins et de juristes.Mardi 17 janvier 2017, ENS, 45 rue d’Ulm, salle Jean Jaurès, entrée libre dans la limite des places disponibles.

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