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Une pandémie de paranoïa

Une pandémie de paranoïa ?

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Faut-il avoir peur ? Le coronavirus est l’objet de toutes nos conversations, pas de bulletins d’info sans décompte des malades, des morts, des mesures prises par tel ou tel gouvernement. Pour enrayer, si ce n’est éradiquer, ce qui semble devenue une étrange paranoïa aux conséquences imprévisibles. Enfermer des villes, clôturer plus encore des frontières, renvoyer les enfants des écoles, autant de mesures coercitives que le monde n’avait pas connu depuis longtemps ; peut-être jamais, à ce point de mondialisation où nous sommes. Les médecins qui auscultent cette épidémie venue de Chine tentent, ces derniers jours, d’être rassurants. Mais le mal semble déjà fait : la peur s’est installée et son cortège de dégâts collatéraux, mettant les économies sur le flanc.

Les grandes peurs sont un leitmotiv dans l’histoire, presque toujours charriées par les épidémies. Un mal, dont on ignore souvent l’origine, frappe aveuglément et tue en masse. Les Aztèques décimés par la variole, comme les pestiférés du Moyen-Âge, trouvaient une origine divine au mal qui les frappait. Une colère vengeresse pour punir les hommes. Quand ce ne sont pas des dieux, ce sont des boucs émissaires que les hommes vont aller chercher pour expliquer l’inexplicable. Jean Delormeau dans son chef d’œuvre La Peur en Occident l’a bien observé. L’étranger, le Juif, le Gitan, l’Espagnol… était montré du doigt et élevé comme exutoire de la peur.

Grands moyens et méthode forte

L’épidémie de coronavirus qui occupe le monde a trouvé sa source en Chine. Pays mystérieux et si loin de nous à tous égards, pays immense auquel on prête volontiers des appétits d’ogre, cet empire du Milieu peuplé pour la plupart d’entre nous d’immenses zones d’ombre, de ce pays est arrivé le virus en cette fin d’année 2019. Cette marque de naissance du coronavirus, qui plus est, dans de glauques marchés aux animaux sauvages d’une province dont personne ne connaissait le nom, ce virus transmis a quelques consommateurs de soupes de chauve-souris, il ne fallait pas plus de mystères pour que la peur immaîtrisable s’installe dans les esprits.

Le gouvernement chinois confronté en premier à l’épidémie a immédiatement réagi, avec les grands moyens et la méthode forte. Une province entière et ses soixante millions d’habitants mis en quarantaine, des hôpitaux bâtis en quelques poignées de jours, des armées de scientifiques inondant le monde d’études et de recherche, une identification d’une rapidité jamais vue du virus, son séquençage mis à la disposition de tous les biologistes de la planète. Autant d’actions exceptionnelles converties en images fortes sur toutes les chaînes de télévision et les réseaux sociaux du monde, qui ont forgé l’idée que là, c’était du sérieux. Ce virus est hautement dangereux.

C’est sans doute vrai, et on ne le sait pas encore précisément, mais si les médecins s’accordent à dire que le coronavirus est une menace sérieuse, ils s’empressent de rajouter que la maladie qu’il provoque, le fameux COVID-19, n’est finalement pas si dangereuse que cela. Cent mille cas recensés dans le monde à ce jour, et un peu plus de 3 000 morts dont 2912 en Chine et moins d’une dizaine en France.  Les chiffres comptabilisant des victimes sont toujours un peu obscènes car ils ne reflètent pas les drames personnels, humains. Ce sont des courbes, des tableurs Excel, des statistiques, et envisagés ainsi, désincarnés, ils servent commodément à la comparaison. A ce titre, une banale grippe saisonnière tue chaque année, selon l’OMS, entre 300 000 et 650 000 personnes dans le monde, dont une dizaine de milliers en moyenne en France. On est loin, très loin, des comptes du coronavirus.

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Comptabilité morbide

D’autant que les comptes du coronavirus ne sont pas d’une clarté limpide. Les scientifiques ont calculé un taux de létalité qui semble sujet à caution. Ce taux est le résultat du rapport entre les personnes contaminées, porteuses identifiées du virus, et les personnes qui succombent à la maladie. Pour que le taux soit juste, il faut que les deux composantes de l’équation le soient. Pour le nombre de morts, il n’y a pas de problèmes, ils sont facilement identifiés. En revanche, le mystère s’épaissit chaque jour pour ce qui est des personnes contaminées. On découvre, en effet, que l’on peut être porteur du virus sans déclarer le moindre symptôme ; ce sont les porteurs sains. Il y aurait donc en circulation dans le monde un nombre beaucoup plus important que celui qui est affiché de personnes contaminées, ce qui change évidemment le résultat du taux de létalité.

L’autre taux sujet à caution est celui de la morbidité, c’est-à-dire le nombre de malades par rapport à la population totale. Il serait aujourd’hui de 100 000 personnes dans le monde. Un chiffre qui doit être rapporté aux 7.7 milliards d’humains qui peuplent notre globe. Pour mémoire, la grippe espagnole qui a sévi en 1918 a touché entre 30 et 50 % de la population mondiale.

Si l’on s’en tient aux chiffres, le coronavirus ne devrait en aucun cas déclencher de vague de paranoïa et de panique.Or c’est tout le contraire qui se passe. Pour se protéger du mal, les sociétés exhument leurs vieilles recettes comme les quarantaines – devenues quatorzaines —, la fermeture des écoles et des universités, les interdictions de rassemblements, de spectacles, de foules… On parle de fermeture des frontières, de porter des badges pour distinguer les malades des autres, de reporter des élections, et peut-être même les Jeux olympiques. Certains États innovent comme en Chine et mettent l’Intelligence artificielle, la gestion des données personnelles, les contrôles biométriques les plus sophistiqués à contribution ; Orwell appelé à traquer le coronavirus. Les masques de protection sont dévalisés, on se rue sur les produits biocides pour se laver les mains, on pille les rayons des supermarchés pour stocker au cas où…

 coronavirus- Ruée vers les supermarchés  

Des mesures qui, pour la plupart, sont destinées à retarder la propagation du virus, disent les experts mais qui mettent des pans entiers de l’économie sur le flanc. Les bourses s’affolent, les entreprises s’inquiètent, les consommateurs se claquemurent et ne vont plus dans les bars et les restaurants, chaque voyage ressemble à une aventure extrême.

Cette peur qui fait du bien

Une parano généralisée qui en dit long sur la façon dont nos sociétés envisagent le risque. Nous voulons nous protéger de tous les risques et, principe de précaution oblige, nous exigeons la protection maximum face à l’incertitude. Nous nous barricadons. Les mesures de prévention que nous pourrions prendre comme les vaccins, ou les stocks de médicaments sont inutiles car nous n’avons ni vaccin ni médicaments. Aussi, nous menons des actions de protection contre ce qui pourrait advenir. Le décalage entre ce que nous serinent les messages officiels — Lavez-vous les mains ! — et la très haute technicité des labos de biologie qui cherchent un vaccin ou un remède, est abyssal. Le public sait que les scientifiques géniaux qui peuplent nos labos de recherche vont finir par trouver la solution. Mais en attendant, on risque de mourir et la seule protection qu’on nous propose est de ne pas nous serrer les mains, ne plus nous faire de bises et nous laver chaque heure avec une solution hydroalcoolique.  Un décalage qui ne peut manquer de nourrir toutes les formes d’angoisse si ce n’est de peur.

Peut-être que nous le voulons bien, et que cette peur nous fait du bienNous vivons dans un monde dont on nous dit qu’il est dangereux, qu’il va peut-être s’effondrer ; les catastrophes sont au coin de la rue et le ciel va inévitablement nous tomber sur la tête. Avec le coronavirus, nous avons du concret. Du vrai, du solide. Un vrai danger, bien réel, qui fait peur. Cette peur qui, depuis quelques années est tapie au fond de nos consciences, le philosophe italien Sergio Agamben pense, dans une tribune, qu’elle trouve ici le moyen de se traduire dans un état de panique collective. Ce n’est pas seulement un prétexte ou un exutoire ; c’est aussi l’entrée dans une dimension extrêmement perverse où nous serions prêts à contraindre nos libertés au nom de cette peur.

Mission d’inspection

Ce qui s’est passé en Chine est à cet égard très exemplaire. Il y a quelques semaines, les lits des hôpitaux chinois débordaient de malades. Nous avons tous en tête ces images accélérées de la construction à la va-vite d’un immense hôpital à Wuhai.  La Chine mettait le paquet face à l’arrivée massive de victimes du virus. De quoi inquiéter le reste du monde.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Les lits des hôpitaux chinois sont presque vides. Les médecins ont du mal à trouver des patients pour mener les essais cliniques de leurs nouveaux médicaments. Le nombre de cas de malades atteints du coronavirus a spectaculairement chuté.

Ce ne sont pas les Chinois qui le disent, ce sont les experts de l’OMS qui ont rendu compte ce 28 février de leur mission d’inspection. Le déclin des cas de COVID-19 est bien réel.

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Ce rapport arrive à un moment critique dans ce que de nombreux épidémiologistes considèrent aujourd’hui comme une pandémie. La semaine dernière, le nombre de pays touchés est passé de 29 à 61. Plusieurs pays ont découvert qu’ils avaient déjà une propagation communautaire du virus – par opposition aux seuls voyageurs des zones touchées ou aux personnes qui étaient en contact direct avec eux – et le nombre de cas signalés augmente de manière exponentielle.

Or c’est le contraire qui s’est produit en Chine. Le 10 février, lorsque l’équipe préparatoire de la mission conjointe OMS-Chine a commencé ses travaux, la Chine a signalé 2 478 nouveaux cas. Deux semaines plus tard, lorsque les experts étrangers ont fait leurs valises, ce nombre était tombé à 409 cas. (Hier, la Chine n’a signalé que 206 nouveaux cas).

Source : carte en temps réel de l’épidémie

Les experts de la mission internationale de l’OMS ont visité des hôpitaux, des laboratoires, des entreprises, des marchés vendant des animaux vivants, des gares et des bureaux des autorités locales. Ils ont aussi examiné l’énorme ensemble de données que les scientifiques chinois ont compilé. Ils ont appris qu’environ 80 % des personnes infectées avaient une maladie légère à modérée, 13,8 % présentaient des symptômes graves et 6,1 % avaient des épisodes d’insuffisance respiratoire, de choc septique ou de défaillance d’organe mettant leur vie en danger. Le taux de létalité était le plus élevé chez les personnes de plus de 80 ans (21,9 %) et chez les personnes souffrant de maladies cardiaques, de diabète ou d’hypertension. La fièvre et la toux sèche étaient les symptômes les plus fréquents. Il est surprenant de constater que seulement 4,8 % des personnes infectées avaient le nez qui coule. Les enfants ne représentaient que 2,4 % des cas, et presque aucun n’était gravement malade. Pour les cas légers et modérés, il fallait en moyenne deux semaines pour se rétablir.

Agilité et agressivité

Une grande partie du rapport s’attache à comprendre comment la Chine est parvenue à ce que de nombreux experts de santé publique pensaient impossible : contenir la propagation d’un virus respiratoire à large circulation. La mesure la plus spectaculaire – et la plus controversée – a été le verrouillage de Wuhan et des « La Chine a déployé l’effort de confinement des maladies peut-être le plus ambitieux, le plus agile et le plus agressif de l’histoire »villes voisines de la province de Hubei, qui a placé au moins 50 millions de personnes en quarantaine obligatoire depuis le 23 janvier. Cette mesure a « empêché efficacement toute nouvelle exportation de personnes infectées vers le reste du pays« , conclut le rapport. Dans d’autres régions de la Chine continentale, les personnes ont été volontairement mises en quarantaine et ont été surveillées par des responsables désignés dans les quartiers. Rien qu’à Wuhan, plus de 1800 équipes de cinq personnes ou plus ont retracé des dizaines de milliers de contacts.

Les mesures agressives de « distanciation sociale » mises en œuvre dans tout le pays comprenaient l’annulation d’événements sportifs et la fermeture de théâtres. Les écoles ont prolongé les vacances qui ont commencé à la mi-janvier pour le Nouvel An lunaire. De nombreuses entreprises ont fermé boutique. Toute personne qui sortait à l’extérieur devait porter un masque.

Contrôle de l’état de santé d’un automobiliste chinois à l’aide de son smartphone

Deux applications pour téléphones portables largement utilisées, AliPay et WeChat — qui ont remplacé l’argent liquide en Chine ces dernières années — ont contribué à faire respecter les restrictions, car elles permettent au gouvernement de suivre les déplacements des personnes et même d’empêcher les personnes atteintes d’infections confirmées de voyager. « En conséquence de toutes ces mesures, la vie publique est très réduite« , note le rapport. Mais les mesures ont fonctionné grâce à une combinaison de « bonne vieille distanciation sociale et de mise en quarantaine très efficace grâce à cette machinerie sur le terrain au niveau du quartier, facilitée par les big data et l’IA « .

La Chine ne s’est posé aucun état d’âme pour mettre en œuvre des mesures exceptionnelles face à une menace qui s’annonçait comme exceptionnelle. Le résultat semble être au rendez-vous. Mais ce modèle chinois peut-il s’exporter ailleurs ? Rien n’est moins sûr. En effet, il est admis que la Chine est unique dans le sens où elle dispose d’un système politique qui peut faire en sorte que le public se conforme docilement aux mesures extrêmes. « Personne d’autre au monde ne peut vraiment faire ce que la Chine vient de faire« , explique à la revue Science Jeremy Konyndyk, chargé de mission au Centre pour le développement mondial.

Équilibre savant

Face à la peur qu’engendre le coronavirus, les sociétés occidentales mettent en œuvre des mesures de réduction du risque. C’est une demande forte de leurs populations inquiète de la vitesse de propagation du virus, mais c’est aussi la recherche d’un équilibre savant entre le coût et la nécessité.

Face à un risque, les sociétés déplacent le problème sur un autre risqueLe philosophe allemand Niklas Luhmann nous a appris dans sa théorie sociologique du risque que la résolution d’un problème consiste à le déplacer d’un sous-système à un autre, d’une sphère fonctionnelle de la société à une autre. En l’occurrence, il s’agit de transformer un risque sanitaire, ici en coût économique, et là en impact sur les droits humains. Face à un risque, les sociétés déplacent le problème sur un autre risque qui peut être aussi voire plus grave de conséquences. Une fatalité qui ne peut manquer de déplacer voire d’accroître le champ d’action de la paranoïa.

Au-delà de la peur, ce que nous révèle le coronavirus, c’est l’agilité avec laquelle il s’est installé dans nos modes de vie, dans notre quotidien et dans nos perceptions du monde. Des dizaines de millions de personnes aux quatre coins du monde ont appris de nouveaux modèles avec une incroyable rapidité. Le télétravail, les téléconférences se sont imposées dans le monde du travail ; les économistes regardent d’un autre œil les logiques de chaînes de valeurs et de flux tendus prônés par la mondialisation et font des yeux de velours aux circuits courts et aux relocalisations des circuits de production. Le Ministre de l’économie ne disait-il pas récemment que le coronavirus était un « game changer » en la matière ?

La « distanciation sociale » imposée va créer sans nul doute un manque qui s’approfondira si la crise perdure. Mais ce manque, cette privation ne fera-t-elle pas valoir la richesse des échanges et des contacts réels entre humains ? Autant de sentiments qui semblaient oubliés, concurrencés par une avidité vaine dans la consommation.

La pandémie en cours nous a aussi appris et fait prendre une conscience intime de la porosité du monde. Le virus a franchi toutes les frontières, il s’est installé dans toutes les sociétés, quels que soient leurs modes de vie, de religion ou de couleur politique. Tous égaux face au virus comme nous le sommes face aux particules de CO2 ou aux vagues de chaleur qui nous menacent. Le coronavirus nous montre combien le monde est un lieu physique. Nous l’avions peut-être un peu oublié, noyés dans nos écrans, nos réseaux virtuels et l’artificialité de nos lieux de vie. Nous avions oublié que nous avions beaucoup de contrôle jusqu’au moment où nous n’en avons plus. Et ce moment peut advenir vite, très vite. La réalité, qu’elle soit celle d’un virus ou d’une crise climatique est capable non seulement de faire peur, mais de mordre.

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