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Trump : la libération d’une parole « de merde » ou les relents des périodes noires de l’Histoire

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George Orwell nous avait pourtant prévenu dans sa dystopie 1984 : l’autoritarisme commence par le langage. Dans son roman, le « newspeak » est un langage spécialement forgé pour à la fois séduire, tromper et miner la capacité des gens à penser de façon critique et libre.
Donald Trump a de nouveau fait la une des médias en déclarant, à propos de sa nouvelle politique d’immigration, que les Etats-Unis ne devraient pas accepter des gens de  » pays de merde  » comme Haïti ou certains pays africains. Propos de salle de garde à prendre à la légère ou, au contraire, très au sérieux ? Le soutien du président au nationalisme blanc et son appel à peine codé à « rendre l’Amérique grande (blanche) à nouveau » sont notoires ; de ce fait, les derniers propos ne sont pas sans rappeler les dictateurs fascistes des années 1930. C’est ce qu’affirme Henri Giroux, professeur au Département d’études anglaises et culturelles de l’Université McMaster au Canada. Une analyse en forme d’alerte.
 
Les propos de Donald Trump qui ont provoqué le scandale ont été tenus le lendemain de sa rencontre avec la première ministre norvégienne Erna Solberg. S’entretenant dans le bureau ovale de la Maison Blanche avec des parlementaires, il aurait tenu sa phrase devenue désormais célèbre : « les Etats-Unis devraient avoir plus d’immigrants de pays comme la Norvège et non pas de pays « de merde » comme Haïti ». Ces remarques sur l’acceptation des gens de Norvège sont incontestablement un rappel au discours sordide sur la pureté raciale. Il y a bien plus à l’œuvre ici qu’une simple incivilité. Derrière l’utilisation de la vulgarité par Trump et son dénigrement des pays pauvres et non blancs, se cache le discours terrifiant de la suprématie blanche, du nettoyage ethnique et de la politique de ségrégation. Il s’agit d’un vocabulaire qui considère certains individus et groupes non seulement sans visage et sans voix, mais excédentaires, redondants et sujets à l’expulsion. L’objectif du langage de la ségrégation est une forme de mort sociale, voire pire encore.
 
Un des traits de l’autoritarisme est que les mots qui parlent en vérité et cherchent à révéler les injustices et fournir une analyse critique éclairée se mettent progressivement à disparaître. Il devient alors d’autant plus difficile, sinon dangereux, de juger, de penser de façon critique et de tenir le pouvoir dominant responsable. Les notions de vertu, d’honneur, de respect et de compassion sont surveillées et ceux qui les défendent sont punis.

LIRE DANS UP : Les autoritaristes montent en puissance. Trump en est un symptôme

Je pense qu’il est juste de soutenir que la vision cauchemardesque de l’avenir d’Orwell n’est plus de la fiction aux États-Unis. Sous Trump, le langage subit un changement : la contradiction, la couverture médiatique critique et les preuves scientifiques sont considérés comme des fake news, des fausses nouvelles.
 

Crimes de pensée et fausses nouvelles

L’administration Trump, en fait, considère les médias critiques comme « l’ennemi du peuple américain« . Trump a si souvent répété ce point de vue sur les médias que, selon un sondage Poynter, près d’un tiers des Américains y croient maintenant et soutiennent les restrictions imposées par le gouvernement aux médias. Les accusations répétées de Trump sur les « fausses nouvelles » fonctionnent sans cesse pour fixer des limites à ce qui est politiquement correct selon lui. La raison, les normes de la preuve, la cohérence et la logique ne servent plus la vérité, selon Trump, parce que ces derniers sont des stratagèmes idéologiques malhonnêtes utilisés par les ennemis de l’État. Les « crimes de pensée » d’Orwell sont les « fausses nouvelles » de Trump. Le « Ministry of Truth » d’Orwell est le « Ministry of Fake News » de Trump.
 
La notion de vérité est perçue par ce président comme un outil corrompu, utilisé par les médias critiques pour remettre en question la révocation des contrôles juridiques sur son pouvoir, en particulier ses attaques contre les juges, les tribunaux et toute autre institution gouvernementale qui ne lui promettront pas une loyauté totale. Pour Trump, l’intimidation prend la place de la loyauté inconditionnelle quand il n’obtient pas ce qu’il veut, révélant une vision de la présidence qui est plus une question de bras-de-fer que de gouvernance. L’une des conséquences est la myriade de pratiques par lesquelles Trump humilie et punit sans vergogne ses critiques, commet délibérément des actes honteux d’autopromotion et enrichit sans scrupules ses comptes bancaires.
 
Sous Trump, le langage de la démocratie, de la raison critique, du débat éclairé et du poids des preuves scientifiques, est maintenant reconfiguré en un théâtre politique et un anti-intellectualisme profondément enraciné. Or quand la langue commence à devenir un outil de répression de l’État, les questions de responsabilité morale et politique disparaissent, et les injustices se mettent à proliférer.
 

Le fascisme commence par les mots

Ce qu’il est crucial de retenir ici, comme le note Ruth Ben-Ghiat [1], experte en autoritarisme, c’est que le fascisme commence par les mots. L’utilisation du langage de Trump et son utilisation manipulatrice des médias en tant que spectacle politique sont inquiétantes et rappellent les périodes de propagande, de censure et de répression. Sous les régimes fascistes, le langage de la brutalité et celui de la cruauté ont été normalisés par la prolifération de métaphores stridentes de guerre, de bataille, d’expulsion, de pureté raciale et de diabolisation. Des historiens allemands comme Richard J. Evans et Victor Klemperer l’ont dit clairement : « des dictateurs comme Adolf Hitler n’ont pas seulement corrompu le langage d’une société civilisée, ils ont aussi interdit les mots ». Ensuite, les nazis ont interdit les livres et les intellectuels critiques qui les écrivaient. Ils ont après emprisonné ceux qui contestaient leur idéologie et les violations systémiques des droits civils commises par l’État. Le point final fut un discours global sur la ségrégation, l’émergence de camps de concentration, le génocide, le tout alimenté par une politique de pureté raciale et de purification sociale.
 
Illustration : Marian Kamensky
 
De telles étapes sont en train aujourd’hui de réapparaître. Un néofascisme à l’américaine semble engloutir les Etats-Unis après avoir mijoté dans la pénombre pendant des années.
 
Plus que tout autre président, Trump a normalisé l’idée que le sens des mots n’avait plus d’importance, pas plus que les sources traditionnelles de faits et de preuves. Ce faisant, il a sapé la relation entre la citoyenneté engagée et la vérité, et a relégué les questions de débat et d’évaluation critique à un spectacle de bombardement, de menaces, d’intimidation et de simulacre pur et simple. Ce langage du fascisme ne fait pas que normaliser les mensonges et l’ignorance. Il favorise également une culture plus large de capture de l’attention à court terme, d’immédiateté et de sensationnalisme. En même temps, il fait de la peur et de l’anxiété la monnaie courante des échanges et de la communication.
Dans un retour au langage du fascisme, Trump s’est positionné à plusieurs reprises comme le seul à pouvoir sauver les masses – reproduisant le modèle du sauveur, consubstantiel de l’autoritarisme. Est à l’œuvre ici beaucoup plus qu’un ego démesuré. L’autoritarisme de Trump est également alimenté par la vantardise et la rage mal orientée, qui sapent les liens de solidarité, abolissent les institutions destinées à protéger les personnes vulnérables et lancent une véritable attaque contre l’environnement.

LIRE DANS UP : Trump vs environnement : un plan de destruction massive en 60 mesures

Trump est passé maître dans l’art de l’analphabétisme artificiel, tandis que sa tweetomanie obsessionnelle, tout comme sa stratégie de relations publiques l’engagent agressivement dans le théâtre de l’autopromotion et du spectacle. Les deux sont conçus pour blanchir toute version d’une histoire qui pourrait révéler l’étroite concordance entre son propre langage et les politiques qu’il veut mener d’une part, et les éléments sombres d’un passé fasciste, d’autre part.
 

Amphigourie tactique

Trump se délecte d’un mode d’autocongratulation incontrôlé, soutenu par un vocabulaire limité et rempli de mots amphigouriques comme « historique », »meilleur », »le plus grand », »formidable » et « beau ».
Ces exagérations sont beaucoup plus que le recours rhétorique à l’hyperbole ou l’usage indigent du langage. Lorsqu’il prétend qu’il « en sait plus sur Daesh que les généraux », qu’il « en sait plus sur les énergies renouvelables que n’importe quel être humain sur Terre » ou que «personne ne connaît mieux que lui le système de gouvernement américain », il utilise la rhétorique du fascisme.
 
L’historien Richard J. Evans [2] écrit en 2006 dans The Third Reich in Power : « La langue allemande est devenue une langue de superlatifs, de sorte que tout ce que le régime a fait est devenu le meilleur et le plus grand, ses réalisations sans précédent, uniques, historiques et incomparables….. Le langage utilisé à propos d’Hitler…. a été transpercé de métaphores religieuses ; les gens « croyaient en lui, » il était le rédempteur, le sauveur, l’instrument de la Providence, son esprit vivait dans et à travers la nation allemande….. Les institutions nazies se sont domestiquées [par l’utilisation d’une langue] qui est devenue une partie irréfléchie de la vie quotidienne. »
Ça ne vous rappelle rien ?
 
Sous le régime de Trump, les souvenirs inconfortables des périodes d‘autoritarisme sont maintenant ensevelis sous le langage domestiqué des superlatifs, de sorte que l’avenir peut être façonné pour devenir indifférent aux crimes du passé. Les interminables tweets quotidiens de Trump, son insouciance, son dédain d’adolescent pour une réponse mesurée, son anti-intellectualisme inébranlable et son ignorance totale de l’histoire, tout cela fonctionne aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que ces comportements ne répondent pas seulement à ce que l’historien Brian Klaas [3] appelle « les dizaines de millions d’Américains qui ont des penchants autoritaires ou fascistes ». Ils permettent aussi ce que l’historien décrit comme la tentative de Trump de « généraliser le fascisme ».
 
Le langage du fascisme s’épanouit dans des formes spectaculaires qui mobilisent la peur, la haine et la violence. L’auteur Sasha Abramsky [4] est sur la bonne voie en affirmant que les mots de Trump sont plus que des slogans vides. Non, dit-elle, son langage « porte à conséquences, et légitime les fanatismes et les haines longtemps endurées par beaucoup mais, pour la plupart, maintenues sous le joug de la société dans son ensemble ». L’augmentation du nombre de crimes haineux pendant la première année de présidence de Trump témoigne certainement de la véracité de l’argumentation d’Abramsky.
 

Résistance

L’histoire du fascisme nous enseigne que le langage agit au service de la violence, du désespoir et des haines, et qu’il porte en lui la faculté de faire émerger les moments les plus sombres de l’Histoire. Il érode notre humanité et rend trop de gens engourdis et silencieux face aux idéologies et aux pratiques qui ne sont rien d’autres que des actes odieusement racistes.
 
Le langage de Trump, comme celui des anciens régimes fascistes, mutile la politique contemporaine, l’empathie et les critiques morales et politiques sérieuses, et rend plus difficile la critique des relations de pouvoir. Le langage fasciste alimente aussi la rhétorique de la guerre, le machisme toxique, la suprématie blanche, l’anti-intellectualisme et le racisme.
Mais Trump n’a pas l’exclusivité d’un tel langage. Car il s’agit du langage d’un fascisme naissant qui se répand aux États-Unis depuis un certain temps. C’est une langue qui voit volontiers le monde comme une zone de combat, un monde qui n’existe que pour être pillé et qui considère ceux qui sont différents comme une menace à craindre, sinon à éliminer.
 
Un nouveau langage doit apparaître pour combattre cette accointance de Trump avec le fascisme. Il doit rendre le pouvoir visible, révéler la vérité, contester les mensonges et créer une culture éducative et critique qui peut nourrir et soutenir la résistance collective à l’oppression qui apparait non seulement aux États-Unis, mais aussi ailleurs, dans des pays de plus en plus nombreux.
Car la langue n’est pas seulement un instrument de peur, de violence et d’intimidation ; elle est aussi un véhicule de critique, de courage civique et de résistance.
 
Henry Giroux, professeur au Département d’études anglaises et culturelles de l’Université McMaster
 
[1] Ruth Ben-Ghiat est professeur d’histoire à la New York University. Elle est titulaire de la Bourse Guggenheim des sciences humaines pour les Etats-Unis et le Canada.
[2] Sir Richard J. Evans est un historien britannique, spécialiste de l’Allemagne du xxe siècle (en particulier des mouvements féministes, de la classe ouvrière et du nazisme), mais aussi du négationnisme et de l’épistémologie de l’histoire. Il est actuellement professeur d’histoire moderne à l’université de Cambridge.
[3] Brian Klaas enseigne à la London school of econonomics. Il est un spécialiste de l’autoritarisme et de la politique américaine. Son dernier ouvrage est paru en novembre 2017 : The Despot’s Apprentice: Donald Trump’s Attack on Democracy
[4] Sasha Abramsky est un journaliste et auteur indépendant né en Angleterre, qui vit maintenant aux États-Unis. Ses œuvres ont été publiées dans The Nation, The Atlantic Monthly, New York, The Village Voice et Rolling Stone. Il est chargé de cours à l’Université de Californie
 
L’article intégral d’Henry Giroux est publié dans The Conversation-Ca
Image d’en-tête : illustration Marian Kamensky
 

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