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Agrocarburants : une réforme européenne pas assez ambitieuse

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Le Parlement européen a adopté ce mardi 28 avril 2015, en séance plénière, un plafond de 7% à l’incorporation des agrocarburants de première génération dans les carburants traditionnels d’ici à 2020 dans la réforme européenne des agrocarburants. Pour les organisations signataires, ce plafond est bien trop haut pour limiter le développement de ces agrocarburants aux conséquences néfastes sur l’environnement et la sécurité alimentaires des populations les plus vulnérables. Il ne permettra pas de lutter contre nos émissions de gaz à effet de serre, et aggravera la faim dans le monde. Synthèse et analyse de Réseau Action Climat France.

Le contexte politique : un conseil européen inflexible

Voilà plusieurs années que duraient les échanges au niveau européen pour la mise en place d’une réforme de la politique de soutien aux agrocarburants de l’Europe. Aujourd’hui, après plusieurs mois d’aller-retour entre le Conseil et le Parlement, la réforme vient d’aboutir à un compromis. Mais peut-on vraiment parler de compromis ? Le Conseil a toujours promu un plafond à 7%, sans vouloir en démordre, malgré les positions de la Commission et du Parlement qui proposaient des plafonds plus bas (respectivement à 5% et 6%).
Ainsi, la France, avec d’autres pays européens, a envoyé en juin 2014 une scandaleuse lettre ouverte à destination des parlementaires européens leur explicitant que le Conseil ne  se plierait pas à une nouvelle proposition du Parlement et resterait ferme sur son « 7% », bafouant ainsi toute les règles de la démocratie européenne (1).

Les lobbies industriels faisant la promotion des agrocarburants, quant à eux, ont toujours été très présents auprès des différents gouvernements, et en particulier de la France avec Sofiprotéol en tête. Ils sont aujourd’hui arrivés à leurs fins grâce à une directive qui ne limite pas vraiment le développement des agrocarburants.

Points clefs contenus dans le texte de la réforme et les réactions de Réseau Action Climat France

Le texte voté concerne à la fois la directive sur les énergies renouvelables et la directive sur la qualité des carburants. La réforme contient les principaux points suivants (Voir l’annexe 1 pour plus de détails sur le contenu de la réforme).

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1. Un plafond d’incorporation des agrocarburants fixé à 7% (à l’intérieur de l’objectif de 10% d’énergies renouvelables dans les transports de la directive Energies renouvelables).
L’avis de Réseau Action Climat : C’est la première fois que serait fixé un plafond restreignant le développement des agrocarburants (ce qui est mieux que pas de plafond du tout). Cependant, ce plafond est bien trop haut : il est fixé à 7% alors que le taux d’incorporation est aujourd’hui à environ 5% au niveau européen, ce qui implique donc encore la possibilité d’une croissance alors que chaque pour cent supplémentaire représente une émission d’environ 200 millions de tonnes de CO2 en cumulé d’ici à 2020 (2).
Donc en réalité ce plafond à 7% d’ici 2020 ne constitue pas une limite au développement des agrocarburants. Cependant, chaque Etat aura la possibilité de mettre en place un plafond plus bas (voir explications plus bas).

Or, c’est bien d’un arrêt des politiques de soutien aux d’agrocarburants dont nous avons besoin aujourd’hui et non d’une limitation de leur développement. En effet, les agrocarburants font bien plus de mal que de bien : accaparement des terres, volatilité des prix agricoles, émissions de gaz à effets de serre. Bien des études ont déjà prouvé ces faits (voir l’annexe 1 sur les conséquences environnementales et sociales des agrocarburants).

2. Le plafond de 7% s’applique également aux cultures énergétiques (et non plus seulement aux cultures alimentaires)

L’avis de Réseau Action Climat : Ce point est intéressant car les cultures énergétiques occupent tout autant des espaces qui auraient pu être utilisés à cultiver des cultures alimentaires. Cependant, la réforme contient déjà des dérogations pour un certain nombre de cultures énergétiques qui ne seront pas concernées pas le plafond, par exemple si les cultures en questions sont cultivées sur des terres marginales ou dégradées. Or ces dernières sont soit non intéressantes d’un point de
vue agronomique et donc non rentables, soit elles sont déjà utilisées pour l’agriculture, l’élevage, la cueillette ou encore d’autres aménités écologiques.

3. Le plafond de 7% concerne également la directive sur la qualité des carburants (directive FQD) et sur la possibilité de subventionner les agrocarburants par les Etats membres.
L’avis de Réseau Action Climat : Mais l’application de ce plafond sera optionnelle pour les Etats membres… ce qui affaibli franchement la portée de ce point.

4. Pas de prise en compte des facteurs liés au changement d’affectation des sols indirect (CASI) (3) dans le calcul des émissions de GES liés à la production des agrocarburants.
Cependant, les fournisseurs de carburants ont l’obligation de rapporter les facteurs CASI liés à leurs agrocarburants auprès de la Commission (non pas en valeur absolue mais via des fourchettes très larges, ce qui annule quasiment la pertinence de cette mesure et rend très difficile une évaluation au fil des années des impacts de ce facteur CASI).
L’avis de Réseau Action Climat : La prise en compte des facteurs liés aux changements d’affectation des sols indirect (CASI – plus de précisions en annexe 1) dans cette réforme est plus que décevante car elle ne compte pas dans le calcul des émissions des agrocarburants. Bien que ce soit la première fois qu’ils soient pris en compte dans une législation européenne, nous en sommes rendu à un simple rapportage par les fournisseurs de carburants auprès de la Commission européenne, via des fourchettes très larges, ce qui a très peu d’effet au final (c’est comme si, pour savoir si vous avez de la fièvre, je vous demandais simplement de me dire si vous avez entre 36°C et 41°C, ou si vous avez plus de 41°C : c’est beaucoup trop large pour une bonne appréciation !)

5. Un sous-objectif non contraignant pour encourager le développement des biocarburants de 2ème et 3ème génération de 0,5%, sans aucun critère de durabilité.
Seule une liste est présente en annexe, regroupant pêle-mêle les pailles, le fumier, les algues, les déchets, les sciures de bois, matières cellulosique d’origine non alimentaire, etc.
L’avis de Réseau Action Climat : Ce sous-objectif ouvre ainsi la voie au développement des biocarburants de 2ème et 3ème génération sans qu’aucune étude d’impact n’ait été faite en amont et sans qu’aucun critère de durabilité ne soient encore fixés dans la directive. Une référence à la directive européenne sur les déchets est présente mais n’a pas de valeur contraignante (établissant le principe de hiérarchie des déchets, dans l’ordre : réduction à la source, réutilisation, recyclage, valorisation et enfin élimination). De plus, on sait déjà que certains biocarburants de deuxième et troisième génération risquent d’avoir exactement les mêmes impacts que ceux de la première génération, notamment les cultures dédiées (présent dans la liste de l’annexe de la directive) qui utilisent des terres.

6. Les biocarburants de 2ème et 3ème génération peuvent compter plusieurs fois dans l’atteinte des objectifs fixés (deux fois pour atteindre l’objectif de 10% d’ENR dans les transports).
L’avis de Réseau Action Climat : Suite à ce qui a été dit au point précédent, il n’est pas concevable que les biocarburants de 2ème et 3ème génération puissent tous compter plusieurs fois dans une directive sur les énergies renouvelables. S’il est prouvé que certains d’entre eux sont avantageux d’un point de vue environnemental, et notamment en terme de GES, alors ils peuvent compter une seule fois dans l’atteinte de l’objectif, si d’autres sont avérés nocifs ou non avantageux d’un point de vue environnemental, alors ils ne doivent pas compter dans l’atteinte de l’objectif.

Les suites à venir… et à surveiller

Cette réforme votée par le Parlement va maintenant être adoptée par le Conseil, mais il s’agira d’une simple formalité et devra être transcrite dans les législations nationales peut-être à partir de la fin de l’année.
La réforme précise que les pays qui le souhaitent peuvent fixer un plafond plus bas que ce 7% (précisé dans un « considérant » situé en début de texte) : la France peut donc tout à fait fixer un objectif en deçà de ce 7%, ce qui serait pertinent dans le contexte de cette année particulière d’accueil de la COP21 pour laquelle le Gouvernement souhaite donner l’exemple.
Les Etats membres vont également devoir fixer un objectif au niveau national pour les biocarburants de 2ème génération. Sur ce point également nous demanderons à la France d’être exemplaire : des critères de durabilité fort devront être clairement fixés et des études d’impacts devront être commandées à des structures indépendantes avant toute fixation d’un quelconque objectif. Voir plus de détails dans l’annexe 2 pour les biocarburants de 2ème génération.
Enfin, la défiscalisation dont bénéficient les agrocarburants devra être supprimée au 31 décembre 2015 : c’est ce qui est prévu par le gouvernement, mais nous suivrons cela de près.
Parallèlement, il s’agit maintenant d’être très attentif aux politiques qui vont être mises en place dès maintenant pour la période post 2020, notamment dans le cadre du paquet énergie-climat 2030 de l’Union européenne. Ce paquet de mesures pourrait concerner à nouveau les agrocarburants : nous devons nous assurer qu’aucun encouragement à leur développement n’y figurera.

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Conclusion

Alors que nous savons quoi faire pour réduire nos impacts en terme d’émissions de gaz à effet de serre (réduction de la demande, développement des transports en commun, mise sur le marché de véhicules réellement efficaces, etc.), l’Europe continue de tout miser sur le développement d’une technologie nocive qui ne sert que quelques industriels.
D’ici la fin de l’année, la France va accueillir la vingt-et-unième Conférences des Parties à Paris (COP 21) et ainsi être portée sous les projecteurs. Monsieur Hollande, Monsieur Le Foll : ne souhaitez-vous donc pas rendre la France exemplaire devant la communauté internationale ? Alors stoppez le soutien au développement des agrocarburants et concentrez notre énergie et nos sous au développement des vraies solutions !

Annexe 1 – Conséquences environnementales et sociales des agrocarburants

De nombreuses institutions internationales comme la FAO ou la Commission européenne, de nombreux scientifiques de tous pays, et les ONG de protection de l’environnement et de solidarité internationale alertent depuis longtemps sur les conséquences environnementale et sociales du développement des agrocarburants et la nécessité d’endiguer le développement des agrocarburants de première génération.
Ces méfaits sont nombreux et de plusieurs ordres :
– Ils engendrent une volatilité des prix agricoles et alimentaires, affectant les populations les plus vulnérables ;
– Ils sont le principal facteur de l’accaparement des terres dans les pays du Sud,
– Ils représentent un coût considérable pour les finances publiques et surtout pour les consommateurs, la cour des comptes parle de 3 Md€ payés par les
consommateurs français entre 2005 et 2010 ;
– Ils émettent souvent nettement plus de gaz à effet de serre que les carburants fossiles qu’ils remplacent par la déforestation et les changements d’affectation des
sols majeurs dont ils sont responsables (autour de 100 gCO2eq/MJ pour le biodiesel de colza contre 95 pour le diesel) (4) ;
– En plus des conséquences sur le climat, cette déforestation, a des conséquences sur des écosystèmes rares et de nombreuses espèces déjà menacées, l’équivalent de la surface de la Belgique devrait être mobilisé pour atteindre l’objectif européen de 10% d’agrocarburants.
Voir notamment les études référencées ici 

Annexe 2 : Les biocarburants de 2ème et 3ème génération

Nous le savons déjà, les industriels et les décideurs misent déjà beaucoup sur les biocarburants de 2ème et 3ème génération. Un objectif a finalement été fixé dans la réforme des agrocarburants à 0,5% (non contraignant).
Or aujourd’hui ces technologies ne sont ni abouti technologiquement, ni économiquement. Surtout, aucune étude d’impact n’a encore aujourd’hui été faite sur les conséquences environnementales et les avantages chiffrés en terme d’émissions de gaz à effet de serre. Or il faut d’abord vérifier que ces nouvelles solutions permettent effectivement de réduire les émissions de GES, sans conséquences sociales ou environnementales, avant de promouvoir leur développement. Il ne faut surtout pas réitérer les erreurs faites avec les agrocarburants de 1ère génération et soutenir seulement des biocarburants de 2ème et
3ème génération qui soient réellement soutenables.
Aujourd’hui, peu d’études existent sur le sujet et, par exemple, aucune étude d’impact n’a été commandité sur les biocarburants de 2ème et 3ème génération dans le cadre de la loi sur la transition énergétique. Il faudrait déjà commencer par cela.

(1) Plus de détails ici : www.rac-f.org/Agrocarburants-la-France-cultive
(2) Tiré de Little book of Biofuels, de BirdLife, T&E et EEB, octobre 2014,
www.transportenvironment.org/sites/te/files/publications/Little%20Book%20of%20Biofuels_final_light.pdf
(3) Voir plus d’info sur le CASI en annexe 1
(4) On parle de changement d’affectation des sols indirect – CASI ou ILUC, Indirect Land Use Change en anglais – 2 Tiré de Little book of Biofuels, de BirdLife, T&E et EEB, octobre 2014, www.transportenvironment.org/sites/te/files/publications/Little%20Book%20of%20Biofuels_final_light.pdf
(Source : Réseau Action Climat France – 29 avril 2015)

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