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Boullimics : quand les bio-designers hackent la nature

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L’Ecole Boulle de Paris accueille trois conférences sur les mondes vivants. Ce cycle Les BOULLIMICS montre comment la nature, le corps et le cerveau sont aujourd’hui pétris et reconfigurés par nos biotechniques. Une vie synthétique colonise nos organismes et nos imaginaires. Artistes, designers, biohackers, ingénieurs, biologistes… inventent des objets organiques et évolutifs, des organismes asservis ou esthétisés, interviennent sur les corps dans des démarches de bricolage, de détournement, d’interaction. Quels sont les ressorts de la vie ainsi mobilisée ? Quels jeux, quels enjeux poussent avec des inventions ? 
 
« Pourquoi est-ce que les chiens ne sont pas déjà bleus avec des points rouges, que les chevaux n’irradient pas de couleurs phosphorescentes dans l’ombre nocturne de la campagne ? (…) Nous avons appris des techniques qui rendent finalement concevable la création d’espèces végétales et animales selon nos propres programmes (…) Nous pouvons maintenant faire des êtres vivants artificiels, des œuvres d’art vivantes. » 
Vilèm Flusser, Art Forum, 1988
 
Un taureau défraie la chronique à l’Opéra de Paris ? L’exhibition sur scène d’Easy Rider (c’est son nom de bête docile) dans la pièce « Mose und Aron » de Schönberg fait scandale. Des milliers d’internautes signent les pétitions pour stopper « cette intrumentalisation honteuse d’un être vivant  pour l’art». Le cas n’est pas isolé et souligne que l’usage des organismes vivants fait souvent polémique. A moins qu’il ne fascine ou amuse ? Car que diriez-vous si l’on vous proposait d’offrir à Noël à votre fiston un tamagotchi vivant ou un hanneton-drone pour survoler le jardin de ses copains ? 
 
L’Ecole Boulle s’est associée à la dynamique du Festival Vivant (programme européen Synenergène consacré à la biologie de sytnhèse) pour aborder les connaissances de la nature, du corps et du cerveau, les manipulations en cours ou à venir et les fascinations et peurs associées. Le cycle LES BOULLIMICS a déjà accueilli ce 20 janvier 2016 Jean-François Toussaint, directeur de l’institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Imes), et recevra respectivement Hervé Chneiweiss, neurobiologiste et neurologue, directeur du laboratoire « plasticité gliale » au Centre de psychiatrie et neurosciences de l’Université Paris Descartes le 9 mars ; et Pierre-Henri Gouyon, biologiste de l’évolution au Muséum national d’histoire naturelle de Paris le 23 mars.
 
La fusion de l’artisan et du scientifique 
 
Au croisement de la biologie et du design, les impressions 3D qui font « pousser » les formes, la créativité bat son plein. On l’a vu en 2013, lors de l’exposition En-Vie coordonnée par Carole Collet ou au printemps 2015, à la dernière Biennale de St Etienne intitulée Hypervital. « Notre avenir, écrit le philosophe pragois Vilém Flusser, sera avant tout affaire de design. En effet, le design représente la confluence d’idées nouvelles empruntées à la science, à l’art, à l’économie et à la politique. C’est de façon apparemment toute naturelle que des éléments hétérogènes s’y combinent en un réseau complexe de relations ». 
 
On voit ainsi naître toutes sortes de créations insolites : un pigeon dont les fientes produisent du savon ; des poissons fluo pour célébrer Halloween ; des bijoux qui poussent sur le corps ; de la viande artificielle qui croît sous cloche…. Les designers ont pris la nature comme boite à outils. Et en arrivent à … animer les choses.  Ils font pousser des chaises, clignoter des arbres, jouer de la musique à leurs muscles, produire des philtres d’amour. Qui manipulent l’humeur. Et les biologistes coopèrent à coups de greffe de gènes, d’implants cellulaires, de bactéries modifiées. Les uns et les autres procèdent par bricolages, incarnations, hybridations, biosynthèses… tantôt pour innover, tantôt pour jouer. Histoire de voir ce que ça peut faire ?
 
Les applications foisonnent. Elles concernent aussi bien l’alimentation, les textiles, l’imprimerie, la décoration, le jardin ou même le secteur du jeu. Examinons quelques unes plus en détail. 
 
 
Les couleurs de la vie 
 
Pour célébrer Halloween, on a vu PetSmart proposer ses poissons Glo®Fish d’un bleu (jaune ou rouge) fluo intense. Pour 6$ vous pouvez recevoir chez vous le « Cosmic Blue Tetra Fish » qui fascinera vos invités. L’entreprise insiste sur son site pour dire que les animaux brillent d’eux mêmes sans pigment ajouté ou injection de colorant : leur caractère fluo est héréditaire donc génétique. 
Autres poissons, ceux de Revital Cohen et Tuur Van Balen, qui sont dépourvus d’organes de reproduction. Albino Goldfish est un animal stérile qui est reproduit par une machine dénommée Sensei Ichi-gô. Les deux artistes londoniens montrent la marchandisation de la reproduction avec une autre œuvre « The immortal » constituée une séries d’organes de remplacement connectée à un circuit semi-biologique. Ils imaginent aussi que l’on peut détourner la production de déjections des pigeons en intégrant une bactérie dans le tupe digestif des volatiles qui excréent alors du savon ! L’œuvre dénommée Pigeon d’or est bien vivante…
 
Greffer des capacités de luminescence est aussi l’ambition d’Anthony Evans pour les plantes. Diplomé de l’Université de la Singularité, le jeune business man s’est frotté à la communauté des biohackers de Sunnyvale, Biocurious. Il a cofondé le projet Glowing Plant (à San Francisco) qui propose des pénunias, arbres ou plantes rendues bioluminescentes. Vous pouvez acheter en ligne pour 400 $ un kit de fabrication d’un pied d’arabidospis (plante modèle des laboratoires) ou bien une « glowing rose » pour 150 $.
Pour Anthony Evans, « il s’agit d émettre dans les maisons des organismes génétiquement modifiés pour montrer aux gens que ces derniers ne sont pas effrayants mais plutôt cool et amusants ». Mais l’engouement du début a perdu son halo car l’équipe de Glowing Plant a été confrontée en 2013 à un débat houleux en 2013 quand elle a voulu réaliser une opération de crowdsourcing. En effet, de nombreuses associations se sont manifestées pour dénoncer l’absence de régulations et le risque de contaminer l’environnement avec des OGM… 
Plus discrètes, BioGlow fondée par Alexander Krichevsky dans le Missouri (qui a commercialisé dès 2013, la première plante autoluminescente Starlight Avatar)  ou Glowee en France peaufinent leurs productions. 
 
La coloration est aussi une fonction qui peut être greffée par les outils biotechnologiques. James King et Alexandra Daisy Ginsberg ont développé à l’université de Cambridge la production de pigments par des bactéries. Ce projet E-Chromi (qui a été primé lors de la compétition iGEM 2009) permet de réaliser des bio-senseurs pour tester la qualité d’une eau, colorer la nourriture. On peut aussi établir grâce à ces bactéries des diagnostics médicaux à partir de la couleur des selles. 
D’autres designers, comme Audreey Natsai, reprogramment des bactéries pour teinter les tissus. 
La start-up Pili développe aussi une bio-encre produite par des bactéries, mise au point au sein de la plateforme parisienne  de biologie de garage, La Paillasse.
 
Le bio pourrait bien devenir de plus en plus techno ! 
 
Le bio-design préfigure les pratiques de demain. Et l’alimentation est un des domaines de recréation majeure. Dans ses exercices de prospective, la prestigieuse revue du MIT parle de « nourriture 2.0 », illustrant la déconnexion des terroirs notamment avec les œufs synthétiques de Hampton Creek. Celui-ci  cherche à réaliser des produits de remplacement avec la bonne combinaison de protéines végétale pour reproduire des propriétés de l’œuf de poule. L’objectif est de s’affranchir de l’élevage des poules, ses effets polluants et les souffrances des animaux. Son produit phare est une mayonnaise de substitution, Just Mayo, qui commence à être adoptée par de gros distributeurs, aux Etats-Unis mais également en Asie, à Hong Kong. Comme le relate l’article de la Technology Review : « Le PDG de Hampton Creek, Josh Tetrick, veut faire à l’industrie des œufs, qui rapporte 60 milliards de dollars, ce qu’Apple a fait au secteur du CD. « Si nous partons de zéro, pourquoi chercher à obtenir des œufs à partir d’oiseaux entassés dans des cages si petites qu’ils ne peuvent pas battre des ailes, faisant leurs besoins les uns sur les autres, ingurgitant du soja et du maïs bourré d’antibiotiques, tout ça pour les amener à produire 283 œufs par an ? » 
 
De son côté, James King explore la production de steacks synthétiques avec son projet Dressing the meat of tomorrow. On peut imaginer que la viande “in vitro” peut devenir plus rentable que l’élevage industriel et même une production plus humaine. Dès lors il s’interroge : quelles formes et quelles couleurs pourraient avoir les portions ? En s’affranchissant de l’animal, comment pourrions nous inventer des objets de désir ? 
 
Dans l’univers des boissons, on navigue entre recherche de vertus naturelles (avec Springwave à base de spiruline, produite par Algama), la beauté de l’élixir bleu de Yann Tomas ou les ressources tonifiantes de Soylent, créées par Rob Rhinehart
 
Biofabrication 
 
L’émergence de la fabrication additive ouvre la voie à des processus de constructions de cellules ou d’organes par dépôts de couches. Autodesk s’est associé à Organovo, qui réalise des imprimantes qui peuvent incruster des cellules pour former des tissus. L’Oréal a un accord aussi avec Organovo pour fabriquer des peaux artificielles. Chris Arkenberg qui dirige la stratégie chez Orange Silicon Valley pense même que les villes vont se mettre à s’adapter en s’inspirant des modalités interactives du vivant. « Les innovations émergent à l’interface des la biologie de synthèse, la fabrication additive, la robotique en essaim et suggèrent que les « bâtiments vont pouvoir être conçus en utilisant les bibliothèques de modèles biologiques et construits avec des matériaux biosynthétiques capables de détecter et de s’adapter à leurs conditions ». 
Pour certains designers, les outils d’interaction permettent surtout de faire des expériences notamment sur le corps. Dustin Yellin propose par exemple des psychogéographies constituées de silhouettes humaines bardées de composants mutlcolores. Amy Congdon imagine des ateliers de bijouterie ou de couture utilisant des matériaux non pas fabriqués mais cultivés. On disposera ainsi de broderies, façonnées à partir de cellules vivantes ou de bijoux saisonniers qui pourraient pousser sur notre peau. Elle propose dans sa collection de peau automne/hiver 2082, « Bio Nouveau », une boucle d’oreille ornée de pierres précieuses en peau greffée jetable. 
La démarche rappelle les expériences d’ORLAN avec ses implants de silicone au dessus des sourcils ou les hybridations (Self hybridations ou manteau d’Arlequin). On peut aussi mentionner les explorations sensorielles de Marion Laval-Jeantet qui s’est injectée du sang de cheval afin de « sentir le cheval vivre en elle ». Plus récemment, elle a « récidivé » avec du sang de panda, provoquant de multiples débats. 
 
A la vie,  à la mort 
 
Certains designers jouent avec les phénomènes. Spela Petric a réalisé, en septembre dernier, une expérience  longue et patiente de « confrontation à l’altérité » pour laisser sa trace dans un champ de cresson. Dans sa performance « Voir l’herbe pousser », elle se place en aube blanche entre la lumière et le champ de graines en trait de germer. L’histoire est racontée par Annick Bureaud dans le cadre de son journal de bord du projet européen Trust Me, I’m an artist. Les travaux de Louis Bec, zoosystémicien, qui a élaboré depuis les années 70  une prospective vers un vivant hypothétique, sont mis en valeur avec la publication de Zoosystemie qui détaille les modélisations numériques de l’auteur, selon une épistémologie fabulatoire cohérente et contructiviste. 
 
Le platicien Guillian Graves investit les modalités naturelles de fabrication des matériaux (corne, os, cheveux, champignons). Il met au point des organes musicaux bioinspirés, du biociment produit par biominéralisation, des matériaux issus de la colonisation par des mycéliums. On s’interroge alors sur ce qui fait pousser les organismes et la frontière entre la vie et la mort, comme James King et son travail Cellularity qui explore ce qui est fonctionnel de ce qui est reconnu comme pathogène. Il a imaginé une définition spéculative de la vie. « Au lieu de nous demander si quelque chose est mort ou vivant, propose-t-il, on pourrait évaluer quel est son niveau, son intensité de vie. Une démarche qui donne à penser des variations dans la vitalité…».
Le vivant a des caractéristiques mouvantes, a souligné Manuela de Barros, professeur d’Arts plastiques à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, lors de la rencontre To be or not to be, that ‘is the question – organisé par Decalab en février 2015. Rappelant les propos de François Jacob qui estimait que la définition du vivant ne pouvait venir de la biologie, elle s’est employée a présenter les propositions des artistes comme Michel Blazy. Ce dernier crée des installations précaires qui croissent ou dépérissent pendant la durée de ses expositions. Dispositifs évolutifs et installations éphémères lui permettent d’explorer la prolifération incontrôlée de micro-organismes dont les transformations et changements d’état sont autant de moments nécessaires à l’activation de l’oeuvre et à son développement, au sens le plus concret du terme. 
 
Le cerveau plastique 
 
Dernier continent qui fascine les designers, le cerveau.  Les puissances de calcul informatiques poussent de plus en plus loin des capacités de mémoires alternatives et de traitement de données au-delà des capacités cérébrales. Des artistes comme David Guez mettent en scène la fragilité des supports numériques : voir son œuvre Stèle binaire de l’ours brun (voir événement Vita Nova). Contagions émotionnelles, discussions virales, manipulation de la mémoire ou incrustation de souvenirs… émaillent les projets. Des expériences comme Deepface par exemple, explorent l’effet de la reconnaissance faciale des photos postées sur facebook. Il y a aussi ceux qui s’intéressent à la vie artificielle (créér la vie « in silico ») comme dans le vieux jeu en ligne des années 90, « Creatures ». Il s’agit de créer de la complexité, et de nouvelles propriétés, à l’inverse de la biologie synthétique qui ne s’intéresse pas à l’émergence de nouvelles propriétés. Drew Endy le confirme sans détour: I hate emergent properties !
 
L’ambivalence des efforts techniques est souvent soulignée dès lors que l’on envisage de doper certaines fonctions. « Quelle part de notre intelligence veut-on transformer ? lit-on dans l’article Bodyware/Neuroself publié par Internetactus. Quelles données veut-on recueillir ? Pour quoi faire ? Agir sur l’intelligence ? La mémoire ? La créativité ? L’imagination ? Les addictions ou les rêves ? 
Ici se profile la question clé : que voulons nous devenir ? Si nous comprenons les rouages de la pensée, et ses supports matériels, que voulons nous en faire ? La réponse est clairement pour augmenter nos capacités. Soit pour aller plus vite dans les opérations, soit pour fixer les résultats. En arrière plan, c’est l’accès à l’immortalité qui est en ligne de mire pour les acteurs en vue comme Ray Kurzweil. L’ère digitale donne l’impression qu’une « vie in silico » peut supplanter la vie biologique. Certains promettent que l’on va pouvoir créer de nouvelles formes de vie sur ordinateur, en utilisant par exemple le Genome Compiler
Si nous sommes en mesure de manipuler les humeurs et les états mentaux ou si nos expériences cérébrales sont uploadées sur ordinateur, comment assurerons-nous les identités et les reponsabilités ? 
De tels scénarios intéressent les passionnés du « Design thinking » aptes à élaborer des scénarii. L’Université de la singularité recourt à ces pratiques qui projètent les possibles. Au delà de cet horizon de la singularité, la philosophe allemande à l’Université du Caire, Anne-Marie Willis, défend le besoin d’un design ontologique (avec le soutien de la Fondation Ecodesign). 
 
Malaise dans la civilisation
 
On l’aura compris, les enjeux de cette alliance pour l’innovation entre bioingénieurs et designers, sont considérables : avec Georges Church et son projet de « de-extinction » , on rêve de ré-ensauvager le monde ; avec Freeman Dyson, c’est une nouvelle ère post-darwinienne qui est mise en mouvement avec un Open source de tous les gènes… Lors du colloque Organogenèse, organisé à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris (ENSAD),  les 15 et 16 octobre 2015, Bernard Stiegler a souligné combien « l’évolution technique est une déferlante destructrice qui court-circuite les institutions et l’éducation et déstabilise la vie sociale ». Il considère comme vitale l’appropriation des objets par des pratiques culturelles ». L’organicité contre la disruption. 
 
 
Illustrations de Golnaz Behrouznia 
 
 
 

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