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manipulation génétique

CRISPR: entre peur et euphorie, la bataille de l’éthique bat son plein

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Branle-bas de combat dans les Académies scientifiques du monde. La technique CRISPR/Cas9 de chirurgie génétique est si efficace, rapide et peu chère, que l’on s’inquiète de ses usages en thérapeutique et sur l’embryon humain. Mais les visions diffèrent en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie….
 
Eviter un cauchemar. Sous la voûte de l’Académie nationale de médecine, rue Bonaparte à Paris, on ne cherche pas à jouer ni avec les gènes, ni avec les embryons humains. Ce vendredi 29 avril, une soixantaine d’Académiciens du monde entier partagent leurs visions sur un sujet explosif : comment border les usages humains – recherches et offres thérapeutiques – de la très attractive technique de « correction génétique » : CRISPR/cas9. 
Cette journée d’auditions est organisée par le Comité d’études mis en place par les Académies américaines de médecine et de sciences, en lien avec la Royal Society britannique et l’Académie des sciences chinoise. Installé à l’été 2015, ce Comité a déjà mené un colloque de quatre cents personnes en décembre 2015 et prépare pour la fin de l’année un rapport sur l’usage humain de ces techniques dites d’« édition  génétique ». Le terme est d’ailleurs problématique pour son effet heuristique car il laisse penser que nous pouvons proprement « jouer avec des mots ». Or le codage génomique est loin de pouvoir être simplifié en un langage univoque. Il faudra revenir sur cet impensé.

Des incidences en tous genres

Les interventions des orateurs ont questionné des dimensions très diverses. Le suisse Roberto Andorno a rappelé les principes de la Convention d’Oviedo (1997 et ratifiée par la France en 2011) qui – dans son article 13 – bannit toute intervention sur la lignée germinale (les cellules sexuelles que sont les spermatozoïdes et les ovules). Parce que la transmission de la modification aux descendants ouvre la voie à l’eugénisme. « Comme ces projets concernent l’humanité entière, il faut rappeler que les scientifiques n’ont pas l’indépendance, ni la légitimité démocratique pour décider » relève-t-il. 
L’espagnole Monica Lopez Barahona a souligné les risques d’effets inattendus, notamment du fait des « éclaboussures » inhérentes à la modification réalisée. « On peut hériter sans le vouloir d’anomalies du fait de l’instabilité du génome, des conséquences épigénétiques ou d’effets génotoxiques, souligne-t-elle, signalant aussi des effets immunitaires de la protéine Cas9 ou le risque de mosaïque c’est-à-dire de tissus aux cellules différentes (mutées ou pas mutées).
Le regard de Jackie Leach Scully, professeur d’éthique sociale à l’Université de Newcastle, a entraîné l’auditoire dans des réflexions subtiles et utiles concernant des « groupes d’intérêt » particulièrement concernés que sont les femmes ou les malades handicapés. « Il s’agit de prendre la mesure de ce que ces démarches ont comme conséquences en termes de pouvoir, de responsabilité, d’implication sur les corps », a-t-elle insisté.
 
 
Ces interventions ont montré qu’un consensus est bien installé : il n’est pas question de modifier génétiquement la lignée germinale humaine, c’est-à-dire les cellules sexuelles. L’idée d’une transmission aux générations suivantes et donc d’une pérennité de la modification fait rapidement revenir le spectre de l’eugénisme.
 
Pourtant le recours à la technique sur l’embryon humain – qui pérennise tout autant le caractère greffé vers ses descendants – n’est pas hors des possibles discutés. Pour l’heure, ce sont les logiques de recherche qui poussent à l’expérimentation. En avril 2015, l’équipe chinoise de l’équipe de Junjiu Huang (Université Sun-Yat-sen, Canton) a publié les résultats d’un remplacement d’un gène muté de la Béta-globine, responsable de la thalassémie, sur des embryons humains. L’expérience a montré beaucoup d’effets collatéraux (près d‘un millier d’impacts dits hors cible) et de nombreux embryons présentaient une structure mosaïque, avec des cellules dont l’ADN avait bien été corrigé, mais d’autres où le gène défaillant s’exprimait toujours. « Cela a montré à quel point ces procédés sont immatures » ont répété à l’envi de nombreux scientifiques.
L’article a ému la communauté scientifique internationale comme s’en est fait l’écho Bertrand Jordan dans la revue Médecine Sciences (Thérapie germinale, le retour ?)

L’embryon humain sur la sellette

En tout cas, dans le monde, les avis divergent concernant l’expérimentation sur l’embryon.
Au Royaume-Uni les cinq principaux organismes responsables de la recherche biomédicale soutiennent les recherches précliniques utilisant le « génome editing », y compris sur l’embryon et les cellules germinales. En Allemagne, les réserves sont grandes et le gouvernement s’en tient à développer le débat… Au plan européen, seuls les travaux d’editing génétique sur les cellules somatiques sont financés : les autorités se refusent à soutenir les recherches sur l’embryon, comme aux Etats Unis qui laissent quand même les Etats plus permissifs comme l’Oregon mener des expériences impliquant des embryons humains.
 
On peut s’interroger sur les situations qui pourraient conduire à vouloir « corriger » des gènes délétères chez l’embryon humain. Pour Pierre Jouannet, qui a coordonné pour l’Académie française de médecine un état des lieux – intitulé Modifications du génome des cellules germinales et de l’embryon humain – les applications cliniques d’une intervention sur l’embryon sont envisageables pour la chorée de Huntington (altération autosomique dominante) ou dans les cas où les deux parents portent une altération récessive (mucoviscidose, myopathies, scléroses amyotrophiques…).
« Le dépistage préimplantatoire (DPI) qui permet de réimplanter des embryons exempts de mutations ne résout pas tout, car dans 20% des cas, tous les embryons portent l’anomalie, souligne Pierre Jouannet. Et les couples sont dans l’impasse ».
Dans ces cas exceptionnels, la technique CRISPR/Cas 9 pourrait être une solution, une fois que l’on a pu éliminer tous les risques qu’elle induit aujourd’hui.
 
 
Les Académiciens les plus optimistes ont interrogé à plusieurs reprises pour recueillir les avis : « si la méthode est rendue sûre dans trois ou cinq ans, qu’est-ce qui pourrait empêcher de modifier à volonté les caractéristiques des enfants à naître ? » Car au-delà des guérisons recherchées, chacun sait que ces interventions génétiques peuvent servir à l’amélioration de performances ou à répondre à des critères esthétiques. Et les parents sont prêts à tout pour mettre au monde les enfants de leurs rêves, comme l’indique le reportage publié en février par Erika Check Hayden (Should you edit your children’s genes).
Aux Etats-Unis tous les Centres de DPI proposent le choix du sexe. On peut imaginer que d’autres critères soient proposés comme la couleur des yeux ou des résistances à des maladies. « Si le premier bébé Crispr devait être conçu parce que ses parents rêvaient qu’il ait les yeux bleus, ce serait une catastrophe », estime Jennifer Doudna, une des inventrices de la méthode.
Il est très rare qu’un caractère soit porté par un gène unique – cela n’est ni le cas pour les yeux bleus, ni pour l’intelligence ! – mais cela arrive ! On a pu repérer une mutation chez un finlandais champion de ski, bénéficiant d’un nombre supérieur à la moyenne de globules rouges. Modifiant le gène du récepteur à l’érythropoïétine (bien connu sous son sigle EPO), cette mutation lui confère un réel avantage. Ce cas, signalé par Jean Gayon et Simone Bateman dans le chapitre L’amélioration humaine (Human enhancement) paru dans Nature et artifice. L’homme face à l’évolution de sa propre essence, coordonné par Edgardo Carosella (Hermann, 2014) témoigne que des propositions d’amélioration en tout genre sont probables dans les années à venir. « Ma crainte est que l’on aile trop vite et qu’on fasse des erreurs, reconnaît J. Doudna. Mais aussi que certains fassent la course pour commercialiser cette technologie, promettre à des parents un bébé avec telle ou telle caractéristique, alors que nous n’avons pas les moyens de le faire ».

De nouvelles thérapies géniques

Le cœur des attentes et des stratégies industrielles concerne les nouvelles solutions thérapeutiques pour les enfants et adultes malades. Les techniques CRISPR/Cas9 permettent de faciliter les constructions de thérapie génique. Elles peuvent en effet aller couper des gènes fautifs (délétères) et les remplacer par des copies non altérées. Si l’image du copier-coller est simpliste et fait croire à des « miracles », les chercheurs envisagent néanmoins en clinique humaine de corriger des mutations en cas d’affection monogénique, en cancérologie ou pour induire un effet protecteur (contre des infections virales comme le Sida ou l’hépatite B par exemple) ou bien contre le diabète ou l’hypercholestérolémie (gène PCSK9)
 
 
Le potentiel thérapeutique de cette technique a été montré dans des lignées cellulaires ou des modèles animaux pour des maladies génétiques (myopathie de Duchenne, tyrosinémie – maladie incurable du foie – hémophilie).
 
Toutefois, des progrès sont encore attendus avant de voir l’arrivée de l’outil CRISPR/Cas9 en tant que médicament de thérapie génique. En effet, les craintes de son utilisation en clinique se portent sur la sécurité d’emploi de cet outil qui pourrait induire d’autres lésions sur l’ADN et sur son efficacité à corriger un nombre de cellules suffisamment important pour obtenir un bénéfice thérapeutique chez l’Homme. La société Editas Medicine crée par J. Doudna et qui vient d’entrer en Bourse conçoit des outils pour des thérapies humaines, notamment pour des maladies oculaires : ces tissus, comme le sang, sont parmi les plus faciles à atteindre avec CRISPR/Cas9. De même, Intellia Therapeutics (encore fondée par J. Doudna), située à Cambridge, près de Boston, développe aussi des outils génétiques à visée thérapeutique.

CRISPR/Cas9 dans la cuisine

Le témoignage de Bethan Wolfenden, fondatrice de Bento Bioworks, venue de Londres pour évoquer les expériences des communautés de bio hackers, a mis soudain du pragmatisme au sein des considérations éthiques. Militante d’une biologie accessible à tous, celle-ci s’emploie à faciliter l’autonomie des gens en leur procurant les outils ad hoc dans l’esprit DoYBio. « Sur internet aujourd’hui, vous pouvez vous procurer votre kit pour chirurgie moléculaire pour 69,49 $ », a-t-elle expliqué, soulignant que les demandes explosent pour transformer des levures en « usines à insuline » (voir le site Contre culture Lab à Oakland en Californie). Des réseaux se passionnent pour modifier la microflore intestinale… ou propose des tests de paternité. L’irruption de ces réalités incontrôlables laisse cependant les Académiciens un peu sceptiques…
 
 
Chacun a pu apprécier la clarté de vue de Bartha Knoppers de l’Université McGill (Montréal) qui a osé pointer le clivage des points de vue entre l’Europe et le reste du monde. Le vieux continent se cache en arrière de principes et le statu quo de prohibition quand on voit l’Asie foncer avec engouement dans la bio économie. L’écart mérite en effet une prise de conscience largement développée par les présentations de la chinoise Xiaomei Zhai, du Pekin Union Medical College, et de Jacqueline Chin, de l’Université de Singapour. Autre mise en perspective indispensable, celle de Rahman Jamal de l’Université de Malaisie, qui a explicité les références musulmanes qui organise l’éthique.
 
Parmi les orateurs, la figure de Nick Bostrom dans ce débat ne surprend pas. Fondateur de l’Institut du Futur de l’humanité et directeur du Centre de recherche stratégique sur l’intelligence artificielle, ce philosophe d’Oxford est un expert en probabilités et en analyses des opinions. Il a introduit son propos pour montrer combien les Américains se montrent progressivement d’accord avec des propositions techniques qu’ils pouvaient refuser vingt ans plus tôt. Et d’expliciter ce qui pèse sur le changement : peur d’un risque, coût de transition, adaptation évolutive, impacts affectifs. On comprend en filigrane que l’homme calcule la manière efficace de faire bouger rapidement les foules. C’est un intérêt qu’il partage avec William Sims Bainbridge, son collègue de l’Association mondiale transhumaniste (TWO). Pour border l’éthique génétique, c’est quand même un drôle d’invité … sous la coupole.
 
 

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