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écologie-économie

Quand économie rime avec écologie

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En préparation des trois journées de colloque du FESTIVAL VIVANT  (15-16-17 septembre), nous publions trois regards successifs sur les trois thèmes : Bioéconomie, Biotechs et sociétés, Biodesign. Nous commençons avec Martino Nieddu qui témoigne de l’émergence de nouveaux modèles d’innovation des entreprises qui utilisent des bioressources.
Martino Nieddu est directeur du laboratoire d’économie et gestion REGARDS à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Il mène des recherches sur la « chimie doublement verte », les trajectoires scientifiques et les business model dans le champ de la bioéconomie.
UP’ Magazine est partenaire du Festival vivant 2016
 
Vous êtes économiste et vous voyez une forte mobilisation des entreprises pour exploiter les biomasses. Chimie verte, économie circulaire, ce mouvement de la bioéconomie peut-il être vertueux en évitant de détruire encore davantage les écosystèmes ?
 
Il faut nuancer la mobilisation des entreprises en faveur du développement de l’usage des ressources renouvelables végétales. Celle-ci reste marginale et cantonnée aux efforts des acteurs historiques : les grandes coopératives agricoles (par ex. Vivescia et Sofiproteol en France), les papetiers (par ex. Tembec au Canada ou dans les Landes ou les papetiers d’Europe du Nord), les entreprises transformant traditionnellement l’amidon (Roquette Frères) ou la cellulose (Borregaard), les multinationales de collecte de céréales (Cargill), les entreprises de la chimie qui avaient déjà des produits biosourcés (Arkema avec ses polyamides à base d’huile de Ricin) ou les entreprises fournisseurs d’enzymes pour des process biotechs (Novozymes).
 
Les autres firmes, tout en déployant une activité exploratoire en chimie verte et en chimie du végétal peuvent être considérées au regard de leurs engagements comme en position d’attente. Celle-ci est active, certes, avec des tests non négligeables de produits, mais la part des produits biosourcés reste anecdotique dans des firmes comme Dupont de Nemours ou BASF.
En effet, on sait faire depuis très longtemps une chimie du végétal. Mais celle-ci n’est ni nécessairement verte a priori, ni spontanément viable économiquement. Les grands mouvements débutés après le premier choc pétrolier, ont surtout visé à « reparcourir en chemin inverse » la grande substitution par les matières premières d’origine fossile que la raffinerie de pétrole avait réalisée : produire des biocarburants liquides et refaire les matières plastiques issues de pétrole mais par voie biosourcée (l’éthylène vert qui rencontre un succès grandissant auprès de firmes souhaitant exhiber rapidement une amélioration du bilan carbone de leurs bouteilles ou emballages plastiques, ou des produits à « étiquette verte »).
 
On peut donc considérer que la bioéconomie est confrontée à deux défis :
Le premier, contre-intuitif lorsqu’on parle de développement durable, est celui de l’intensification. Un des arguments des chimistes en faveur des ressources fossiles dans les années 1960 était que celles-ci libéraient des surfaces pour l’alimentation ; renouer avec un usage des ressources végétales, non seulement pour nourrir les humains et les animaux, mais aussi pour leur fournir les matériaux pour les habiller, pour l’habitat, fournir des emballages, des plastiques divers, de l’énergie suppose en effet une intensification sans précédent des procédés agricoles et industriels.
Le deuxième défi est celui des produits attendus. On peut imaginer deux scénarios extrêmes. Le premier est un scénario de substitution où la ressource agricole est mobilisée pour faire les mêmes produits intermédiaires que la chimie de commodités traditionnelle, afin d’obtenir les mêmes produits finis (on fait alors du cracking comme dans la raffinerie pétrochimique, par ex. pour obtenir le même butadiène destiné aux caoutchoucs synthétiques). Le second est un scénario dans lequel on revisiterait les fonctionnalités attendues sur certains objets pour satisfaire des besoins sociaux ; l’objectif de la chimie du végétal serait alors de chercher à atteindre ces fonctions à partir de la « fonctionnalisation » de la richesse des structures complexes proposées par la nature. Cette voie impose bien sûr, un investissement massif sur les procédures d’éco-conception qui sont au fondement des principes de chimie verte.
 
Pouvez-vous citer deux ou trois exemples d’entreprises qui inventent de nouveaux modèles d’innovation en intégrant les valeurs sociales et écologiques dans leurs priorités ? Quelles sont leurs visions du vivant ?
 
Les modèles d’innovation durable ne peuvent en fait se concevoir au niveau d’une entreprise unique, mais dans l’articulation de business model d’entreprises et de modèles d’innovation de niveau méso-économique.
On peut illustrer cela par deux exemples :
1 – Le site de Pomacle-Bazancourt regroupe des entreprises industrielles livrant des produits alimentaires (sucre, amidons modifiés, additifs alimentaires ou non alimentaires (biocarburants, CO2, molécules à haute valeur ajoutée), et des entreprises de recherche (ARD qui développe une plate-forme d’open-innovation accueillant d’autres entreprises), dans une perspective de bioraffinerie. Les acteurs du site ont engagé dès le début des années 2000 une réflexion sur les flux matières et énergie, en raisonnant à la fois sur le complexe industriel, sur les terres agricoles attenantes, et les réserves en eau. Dans une perspective d’écologie industrielle, les acteurs cherchent à optimiser les flux de matières et d’énergie en installant des boucles d’économie circulaire sur le territoire.
2 – La firme italienne Novamont a cherché à théoriser dans son business model la stratégie d’économie circulaire. Elle se refuse à produire sur base végétale des produits équivalents à des produits pétrosourcés, si ceux-ci ont déjà des organisations qui en permettent le recyclage. Elle sélectionne donc ses voies d’exploration en matière d’innovation, en les dirigeant vers des thermoplastiques biodégradables et compostables. Cette théorisation en termes d’économie circulaire – le retour des plastiques d’origine biosourcée à la terre – conduit donc la firme à considérer comme une opportunité économique les limites écologiques de la planète, dans une belle formule « le pouvoir des limites » qu’elle souhaite mettre au fondement de son business model. Dans celui-ci, elle souhaite promouvoir une bioraffinerie territorialisée, basée sur l’utilisation en chimie verte de plantes autochtones (comme le chardon de Sardaigne).
 
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils inciter à une transition vers une bioéconomie soutenable ? Quels sont les prémisses ?
 
Le premier défi pour les pouvoirs publics se situe dans l’ordre de la réglementation. Les complexes agro-industriels produisent à la fois de l’alimentaire et du non alimentaire, avec au sein de ces complexes des boucles de réutilisation (par ex. en alimentation animale de co-produits de l’activité de fractionnement des bioraffineries). Les technologies mises en œuvre sauf à imaginer des process en univers confiné – qui ne le sont jamais tout à fait – doivent donc être compatibles entre usages alimentaires et non alimentaires, et avec une fin de vie permettant le « retour à la terre ». Ceci qui suppose pour les pouvoirs publics de maîtriser une connaissance fine des process, pour en déduire des réglementations à mettre en œuvre dans une perspective d’économie circulaire.
Si l’on reprend les attendus de la communication de la Commission européenne au parlement (dans sa note stratégique sur la bioéconomie du 13 février 2012 (COM(2012) 60 final), intitulée « L’INNOVATION AU SERVICE D’UNE CROISSANCE DURABLE : UNE BIOECONOMIE POUR L’EUROPE » , la bioéconomie vise à la fois à réindustrialiser les vieilles régions industrielles et à promouvoir une croissance verte.
 
Les promesses de la bioéconomie selon la Commission européenne : « Afin de faire face à l’augmentation de la population mondiale, à l’épuisement rapide de nombreuses ressources, aux pressions environnementales accrues et au changement climatique, l’Europe doit adopter une approche radicalement différente de la production, de la consommation, du traitement, du stockage, du recyclage et de l’élimination des ressources biologiques. La stratégie Europe 2020 préconise de développer la bioéconomie comme élément clé d’une croissance verte et intelligente en Europe. En effet, les progrès de la recherche en matière de bioéconomie et l’adoption d’innovations permettront à l’Europe de mieux gérer ses ressources biologiques renouvelables, de créer de nouveaux marchés et de diversifier l’offre de denrées alimentaires et de bioproduits. Il y a de grands avantages à instaurer en Europe une bioéconomie car celle-ci permettrait de préserver et de stimuler la croissance économique et l’emploi dans les zones rurales, côtières et industrielles, de limiter la dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles et d’accroître la durabilité économique et environnementale de la production primaire et des industries de transformation. La bioéconomie contribue donc significativement à la réalisation des objectifs des initiatives phares d’Europe 2020 « Une Union pour l’innovation » et « Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources ». » (Communication de la Commission, 13-02-2012, COM(2012) 60 final, p.3)
 
Néanmoins, toute l’histoire de l’agriculture s’est faite sur la base de l’adaptation des hommes aux contraintes naturelles. Ceci a conduit à la très grande diversité des paysages agraires que l’on a connue avant l’ère agro-industrielle. L’enjeu de la bioéconomie devient donc celui de l’articulation de pratiques agro-écologiques (une double intensification économique et écologique, dirait Michel Griffon), et de réindustrialisation écologique, dans une perspective d’économie circulaire et de chimie verte. Or la très grande variété des territoires agricoles conduit à des niveaux de productivité différents et à des couples [produit végétal renouvelable/territoire] différents si l’on respecte les caractéristiques agro-écologiques de ces territoires – sauf à vouloir traiter la matière première végétale comme un pétrole vert qui peut être indifféremment importé des zones rentières de ce nouvel « or noir ».
Le deuxième défi pour les pouvoirs publics est donc de sortir d’un modèle unique, pour imaginer les dispositifs permettant à des complexes territoriaux – à niveaux de productivités différents – de déployer des formes diverses de bioéconomies viables en fonction des caractéristiques de ces territoires.
Le troisième défi pour les pouvoirs publics est celui de la promotion d’un « capital patient » pour porter les projets bioéconomiques. Il faut sept à dix ans pour sortir un process du laboratoire.  Et si l’on reprend les pas de temps du développement des plastiques, on obtient des pas de temps d’une vingtaine d’années, voire d’une trentaine d’années pour obtenir, par voie d’amélioration incrémentale, les fonctionnalités attendues. Les produits d’origine végétale sont à l’aube de cette « fonctionnalisation ».
 
Le Festival vivant a lieu du 15 au 17 septembre 2016 sur le Campus de l’Université Paris-Diderot, 15 rue Hélène Brion – 75013 – Paris
 
Propos recueillis par 

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