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Une agence militaire américaine investit 100 millions de $ dans des biotechs d’extinction génétique

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Des emails révélés en vertu des règles sur la liberté d’information par The Guardian prouvent que le DARPA, l’agence américaine pour la recherche avancée en matière de défense est devenue le plus grand bailleur de fonds des recherches sur le gene drive. Cette technologie de forçage génétique est destinée officiellement à éradiquer les moustiques vecteurs du paludisme, les rongeurs envahissants et d’autres espèces dites nuisibles. Derrière ces bonnes intentions, l’idée de confier à l’armée une si grande puissance de destruction et de transformation du vivant, est-elle si bonne ?
 
Le paludisme, le Zika, le chikungunya… sont des fléaux terribles. Causés par des moustiques que tous les pays touchés entendent éradiquer. Les chercheurs examinent depuis longtemps des solutions chimiques (insecticides), physiques (radiations), transgéniques… Rien ne semble assez efficace à côté d’une arme massue : le forçage génétique.
 

Le gene drive court-circuite la sélection naturelle

 
De quoi s’agit-il ? Le procédé sort directement des avancées récentes permises par l’édition du génome, et la très fameuse technique CRISPR-Cas9 capable de faire du copier-coller avec les gènes.  La technique du gene drive concentre dans une cassette un gène que l’on veut propager et l’outil – appelé gène égoïste – permettant d’accélérer sa diffusion. Les ciseaux permettant la microchirurgie génétique sont embarqués et encodés au sein même du génome ciblé. Le montage permet de court-circuiter les lois de Mendel, au point qu’à chaque génération, 100% des descendants ont acquis le gène intrusif. En une dizaine de générations d’individus se reproduisant de façon sexuée, la cassette a contaminé l’intégralité ou l’extrême majorité de la population sauvage.
 
« Le phénomène court-circuite les régulations de la sélection naturelle. La séquence de forçage génétique peut être assimilée à une mutation auto-amplifiante, qui s’auto-réplique elle-même et qui diffuse plus rapidement que par la génétique habituelle.
Au regard de sa capacité à faire sauter les trois verrous caractéristiques du rythme évolutionnaire depuis 4 milliards d’années (mutation, hérédité, adaptation), le forçage génétique est probablement l’invention biologique la plus effective et imprédictible qu’on n’ait jamais possédée quant à la gestion du vivant, en nous et hors de nous. » C’est l’alerte que faisaient dans nos colonnes la biologiste Virginie Orgogozo et le philosophe Baptiste Morizot.

LIRE DANS UP : « Forçage génétique » : droit de vie et de mort sur les espèces vivantes, jusqu’où ?

 

Quels effets sur l’environnement et la biodiversité ?

 
Face à la puissance de ces outils de transformations génétiques des vecteurs de maladies, les évaluations environnementales tentent de se structurer. Outre les effets imprévisibles de la disparition des moustiques – qui jouent un rôle dans les chaînes trophiques – on peut craindre aussi des « transferts latéraux » c’est-à-dire le passage des gènes greffés à d’autres organismes que les moustiques.
L’estimation des bénéfices et des risques va exiger un travail de recherche pluridisciplinaire, collégial et international. Il n’y a pas de frontières en effet pour les organismes vivants, ce qui nécessite d’aborder ces questions de sécurité au niveau d’une sorte de « GIEC des biotechnologies ».  Pour le président du comité d’éthique de l’Inserm, Hervé Chneiweiss, « Nous aurons besoin d’une instance politique, intergouvernementale et associant les pays du Sud, puisque ce sont eux les premiers concernés, sur le modèle de celle qui a adopté l’accord de la COP21 ».
 

Malgré les alertes, l’armée US investit

 
Les alertes ne manquent pas dans le monde scientifique. Un réseau de 160 associations issues du monde entier avait manifesté son opposition à cette technique, lors du sommet de Cancun (Mexique) qui s’est tenu il y a tout juste un an – dédié à la biodiversité. À cette occasion a été présentée une demande de moratoire sur la « nouvelle technique génétique d’extinction ». Les associations estiment qu’« il n’est pas possible de prédire de manière adéquate les effets écologiques en cascade de la diffusion dans les écosystèmes sauvages ». Elles craignent les effets irréversibles et le franchissement des barrières d’espèces. Elles demandent l’arrêt de tout recours au forçage génétique même pour la recherche.
 
Lettre morte si l’on en juge par les révélations du Guardian : le Darpa investit plus que jamais dans ces technologies.
Jim Thomas, un co-directeur du groupe ETC qui a obtenu les courriels en cause, a déclaré que l’influence militaire américaine qu’ils ont révélée renforcerait le bien-fondé d’une interdiction. « La nature à double usage de la modification et de l’éradication de populations entières est aussi bien une menace pour la paix et la sécurité alimentaire qu’une menace pour les écosystèmes », a-t-il déclaré au Guardian. « La militarisation du financement des gènes pourrait même aller à l’encontre de la convention d’Enmod contre les utilisations hostiles des technologies de modification de l’environnement. »
 
Selon le chercheur Todd Kuiken, qui a travaillé sur le programme GBIRd (biocontrôle génétique des espèces invasives), entre 2008 et 2014, le gouvernement américain a consacré environ 820 millions de dollars à la biologie synthétique. Depuis 2012, la plus grande partie de cette somme provient de Darpa et d’autres agences militaires.
 

Problème de sécurité nationale et arme de destruction massive

 
Quand on écoute bien les déclarations des porte-paroles du Darpa, on observe que les intentions ne s’arrêtent pas à la destruction des moustiques. Il s’agit avant tout d’un investissement de sécurité nationale. Le Darpa croit en effet qu’une forte baisse des coûts des outils d’édition génétique a créé une plus grande opportunité pour les acteurs hostiles ou voyous d’expérimenter la technologie.
 
Cette convergence du faible coût et de la haute disponibilité signifie que les applications pour l’édition génétique – à la fois positives et négatives – « pourraient provenir de personnes ou d’États qui opèrent en dehors de la communauté scientifique traditionnelle et des normes internationales », a déclaré un officiel de l’agence militaire américaine. « Il incombe au Darpa d’effectuer ces recherches et de développer des technologies qui protègent contre les abus accidentels et intentionnels. »
 
La menace est sérieuse car, selon les experts, il sera quasiment impossible de suivre et surveiller toutes les expérimentations menées dans des laboratoires de fortune, voire dans des garages. Pour Todd Kuiken, spécialiste en génie génétique de l’université de Caroline du nord, cité par la revue du MIT, le danger ne vient pas seulement des vecteurs biologiques habituels comme les virus ou autres agents pathogènes. Il vient aussi d’« attaques biologiques plus exotiques » comme par exemple un insecte qui aurait été modifié pour éliminer la culture vivrière de base d’un pays.
 
Déjà, en février 2015 le rapport annuel de la CIA sur l’évaluation mondiale des menaces avait étonné plus d’un. Le directeur du renseignement national américain, James Clapper, avait en effet ajouté l’édition de gènes dans la liste des menaces posées par « des armes de destruction massive et leur prolifération ».  CRISPR figurant ainsi aux côtés d’autres menaces plus conventionnelles comme les essais nucléaires nord-coréens, la guerre chimique en Syrie, les nouveaux missiles intercontinentaux russes, etc. Pour Clapper, CRISPR est une technologie menaçante : « Étant donné la diffusion importante, le coût peu élevé et la rapidité de développement de cette technologie à double usage, son détournement volontaire ou non intentionnel peut avoir des implications d’une grande portée, tant sur le plan économique que sur celui de la sécurité nationale ». Il ajoute : « Le fait que des recherches sur l’édition de gènes soient menées dans des pays qui ont des normes règlementaires ou éthiques différentes de celles en vigueur dans les pays occidentaux, augmente probablement le risque de création de produits ou d’agents biologiques potentiellement dangereux. »

LIRE DANS UP : CRISPR-Cas9 pourrait-il devenir une arme de destruction massive ?

 
En septembre 2016, James Stavridis, amiral de l’U.S. Navy, commandant de l’OTAN et doyen de l’École Fletcher de droit et de diplomatie à l’Université Tufts écrivait dans UP’ Magazine : «La militarisation de la biologie vient rapidement. Et notre capacité à contrôler ce processus – ou non – déterminera notre destin. »  Une prophétie qui est en train de se réaliser.
 
 
Source : The Guardian
Image d’en-tête : crédit Friends of the Earth US

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