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Résistance aux antibiotiques : la Nature à la rescousse avec les bactériophages

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La menace qui devrait tuer 10 millions de personnes par an d’ici 2050 est celle de la résistance aux antibiotiques. Des alternatives ? Oui, avec une thérapie centenaire, les virus bactériophages. La phagothérapie consiste à traiter les infections avec des phages, des virus naturels qui s’attaquent aux bactéries. C’est ce que l’on pratiquait, avant l’apparition des antibiotiques. La thérapie par les phages a été appliquée de façon empirique pendant des décennies pour traiter les infections bactériennes, notamment par l’Institut Pasteur en France. L’avènement des antibiotiques au cours de la seconde guerre mondiale a conduit à une réduction drastique de la phagothérapie. Mais aujourd’hui, du fait de la crise sanitaire occasionnée par l’émergence et le développement de l’antibiorésistance, le traitement par les virus bactériophages des infections microbiennes revient à l’ordre du jour, notamment à travers le Prix François Sommer Homme Nature 2018 qui vient d’être décerné au Réseau Bactériophage France.
 
Si rien ne bouge, le monde se dirige vers une « ère post-antibiotique, dans laquelle les infections courantes pourront recommencer à tuer », répète régulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’antibiorésistance tue déjà 50.000 patients chaque année aux États-Unis et en Europe, et pourrait causer 10 millions de morts par an dans le monde en 2050, soit plus que le cancer, ont prédit des experts mandatés par le gouvernement britannique. La résistance aux antibiotiques est donc une menace croissante, et désormais alarmante, pour la santé mondiale.
Les impasses thérapeutiques se multiplient alors même qu’une alternative aux antibiotiques existe : la phagothérapie. Découverts en 1915 par Frederick Twort, les phages, ces parasites de bactéries, ont été rapidement utilisés dès 1919 pour traiter des maladies infectieuses. Le recours aux bactériophages par la phagothérapie revient sur le devant de la scène comme une des voies les plus avérées, prometteuses et durables pour l’avenir.
 

Les bactériophages comme thérapie post-antibiotiques

Toute personne, à n’importe quel âge et dans n’importe quel pays, peut aujourd’hui être exposée au risque d’un traitement traditionnel inefficace contre une infection bactérienne, même banale. Un phénomène qui s’accélère, autant chez l’homme que chez l’animal, parce que tout simplement la résistance aux antibiotiques est un phénomène naturel mais également en raison du mauvais usage des médicaments.
Un risque en outre grandissant avec le développement du nombre des infections et la difficulté croissante et récurrente à les traiter, ce qui entraîne une prolongation des hospitalisations, une augmentation des dépenses médicales et une hausse de la mortalité. Développer le recours à des alternatives thérapeutiques est donc aujourd’hui reconnu comme une urgence sanitaire mondiale de premier plan.
 
Le recours (et le retour) aux bactériophages par la phagothérapie est sans doute une des voies les plus avérées, prometteuses et durables. À la lumière des connaissances accumulées depuis un siècle et à l’aune d’une approche médicale et scientifique rigoureuse, mais aussi à travers la médiatisation de plus en plus fréquente de résultats spectaculaires obtenus, la réévaluation de la phagothérapie est désormais inscrite à l’agenda.
 

LIRE DANS UP’ : Les bactéries, de plus en plus coriaces, résistent aux antibiotiques

Un siècle d’études scientifiques

L’étude des bactériophages et de leurs interactions avec les bactéries a débuté il y a un siècle par la reconnaissance de leur action bactéricide, guidant le biologiste franco-candien Félix d’Hérelle vers une application en médecine humaine bien avant la découverte des antibiotiques. Mais c’est surtout lorsqu’ils ont été choisis comme objets d’études pour appréhender les mécanismes fondamentaux de la vie cellulaire que les bactériophages ont permis des découvertes majeures, dont les acteurs ont été, et sont encore, récompensés par plusieurs prix Nobel (1).
Des mécanismes moléculaires de la réplication de ces virus (assemblage macromoléculaires, régulation de l’expression des gènes viraux) aux défenses bactériennes mise en place pour les contrecarrer (systèmes de restriction modification et Crispr-Cas9), l’étude des bactériophages, par des approches multidisciplinaires, a provoqué de véritables ruptures dans l’avancée des connaissances sur le vivant.
 
Les bactériophages constituent aussi un modèle biologique fascinant en écologie et en évolution. Ce modèle permet notamment de mieux comprendre l’émergence et l’évolution des pathogènes.
 

Un intérêt appliqué majeur

Dès leur découverte, c’est leur potentiel thérapeutique qui a promu les bactériophages sur le devant de la scène en permettant de traiter des infections bactériennes. Puis, au fil de l’avancée des connaissances, c’est leur rôle dans les processus de fermentation de l’industrie agroalimentaire (industries laitière et viticole) qui ont été mieux compris afin de réduire les pertes et mieux maitriser les procédés. Aujourd’hui, leur utilisation en médecine est à nouveau considérée pour lutter contre les bactéries pathogènes devenues de plus en plus résistantes aux antibiotiques et pour lesquelles des solutions durables peinent à émerger. Cette application permet d’envisager la limitation des antimicrobiens chimiques et donc la pollution des sols et des nappes phréatiques et de fait favorisera la protection de la biodiversité.
 

LIRE DANS UP’ : Phages : des virus tueurs de bactéries pour lutter contre la résistance aux antibiotiques ?

Un rôle écosystémique sur Terre

Les mesures prises pour protéger les humains des microbes ont occulté durablement, dans le champ de la santé publique, les relations écosystémiques complexes entre organismes et environnements. Les bactériophages étant des régulateurs clés des communautés microbiennes naturelles avec lesquelles les humains doivent interagir à tout moment, ils nous obligent à repenser nos relations vis à vis de ces virus, dont en premier lieu la connotation négative attachée à cette dénomination. L’utilisation des bactériophages en médecine engage aussi d’autres représentations du soin et des organismes, dans lesquelles la santé n’apparaît plus tant comme l’exclusion et l’annihilation de microorganismes, mais bien davantage comme la coexistence entre plusieurs espèces, humaines et microbiennes, dans un équilibre dynamique.
 

Réseau Bactériophage France : un réseau interdisciplinaire  

Pour sa troisième édition, le Prix François Sommer Homme Nature 2018 a été décerné par le jury au Réseau Bactériophage France. Ce réseau a été créé en 2015 afin de rassembler les compétences scientifiques dédiées à l’étude des bactériophages dans un réseau multidisciplinaire afin d’améliorer la visibilité de ce champ de recherches aux ramifications étendues couvrant des aspects moléculaires, applicatifs, médicaux, environnementaux et sociologiques.

Le Réseau Bactériophage France a pour but de promouvoir, coordonner et intégrer les études sur les bactériophages à travers différentes disciplines scientifiques, tout en favorisant l’établissement de collaborations et synergies entre les équipes concernées.
Le réseau initié par Laurent Debarbieux (Institut Pasteur, Paris) est soutenu depuis 2016 par le CNRS et depuis 2017 par l’INRA. Les Instituts INSB et INEE du CNRS se sont notamment associés pour former un Réseau Thématique Prioritaire.
En France, une trentaine d’équipes utilisent les bactériophages comme sujet d’étude ou comme outils pour développer des applications.
Le réseau permet à cette communauté de scientifiques de partager leurs expertises respectives souvent attachées à des thèmes distincts et spécifiques. Les approches développées par ces chercheurs sont souvent complémentaires et leur rencontre au sein du réseau démultiplie les opportunités de créer de nouvelles synergies. L’animation du réseau a permis de fédérer une communauté qui est devenu un acteur majeur dans le paysage scientifique français et au-delà (2).
 
Pourquoi ce prix scientifique ? La Fondation François Sommer a décidé en 2012 de créer un nouveau prix scientifique en France, de dimension internationale, dédié à des travaux de recherche pluridisciplinaires présentant des perspectives innovantes et prometteuses en matière de relations entre l’homme et la nature. La Fondation souhaie ainsi œuvrer pour la protection de la biodiversité et une utilisation respectueuse de ses ressources dans un objectif de développement durable. Mieux connaître et mieux comprendre cette biodiversité sont indispensables à toute politique ou mesure de conservation et de gestion des ressources naturelles et doivent être la condition préalable à leur exploitation rationnelle et pérenne.
 
Préserver la biodiversité implique des connaissances dans plusieurs disciplines pour répondre aux enjeux sociaux, économiques, culturels, politiques, écologiques et biologiques que ce défi engendre.
Ainsi, La Fondation considère que seule une approche scientifique pluridisciplinaire peut apporter l’expertise et les données nécessaires à une bonne connaissance de la biodiversité et de ses interrelations avec les activités humaines, conditions d’un développement harmonieux entre l’homme et la nature.
La Fondation a donc souhaité créer un Prix visant à saluer les travaux scientifiques utiles à son action. Un Prix ambitieux et de renom visant à mettre à l’honneur des travaux de recherche exceptionnels apportant des contributions majeures aux enjeux écologiques d’aujourd’hui.
Le Prix s’intéresse aux travaux de recherche apportant un nouvel éclairage sur la compréhension des conditions d’existence des organismes vivants et des écosystèmes. En investissant des champs inexplorés, ces travaux apportent un regard différent sur la capacité de l’homme à maintenir avec la nature les conditions d’une interdépendance harmonieuse, respectueuse et profitable.
D’autre part, à l’instar des écosystèmes dont le bon fonctionnement repose sur un ensemble complexe d’interactions entre divers organismes, et convaincu de l’intérêt majeur des approches décloisonnées, le Prix s’attache à récompenser des travaux scientifiques associant les apports de diverses disciplines scientifiques.
L’intérêt d’une approche collégiale ne se limite d’ailleurs pas au seul champ scientifique. Au quotidien, face aux enjeux de territoires et de biodiversité, la Fondation, dans son action sur le terrain, travaille en étroite collaboration et concertation avec l’ensemble des parties prenantes, dans la recherche de l’intérêt commun.
Le Prix, décerné tous les deux ans par un jury d’éminentes personnalités (3), a vocation à honorer et à révéler au public le parcours et/ou les travaux innovants d’une personnalité scientifique de renom ou d’un centre de recherche, adepte d’approches pluridisciplinaires, proposant des avancées majeures alliant protection de l’environnement et développement humain.
 
(1) Découvertes majeures et Prix Nobel relatifs à l’étude des bactériophages :
1917 Publication de Félix d’Herelle « Sur un Microbe invisible antagoniste des bacilles Shiga »
1952 Découvertes des enzymes de restriction modification de l’ADN
1958 Prix Nobel de Physiologie ou Médecine décerné à Joshua Lederberg pour ses découvertes sur la recombinaison génétique et l’organisation du matériel génétique des bactéries.
1965 Prix Nobel de Physiologie ou Médecine décerné à François Jacob, André Lwoff et Jacques Monod pour leurs découvertes concernant le contrôle génétique des synthèses enzymatiques et virales
1969 Prix Nobel de Physiologie ou Médecine décerné à Max Delbrück, Alfred Hershey et Salvador E. Luria pour leurs découvertes concernant le mécanisme de réplication et la structure des virus
2007 Publication sur le rôle des séquences CRISPR dans l’immunité contre les bactériophages
2015 Création du Réseau Bactériophage France
2018 Prix Nobel de Chimie décerné à George Smith et Gregory Winter pour leurs travaux sur l’expression de peptides et d’anticorps par des bactériophages.
 
(2) Le bureau du Réseau Bactériophage France est composé des personnalités scientifiques et médicales reconnues : Mireille Ansaldi, Directrice de Recherches au CNRS, Marseille ; Pascale Boulanger, Directrice de Recherches au CNRS, Gif sur Yvette ; Charlotte Brives, Chargée de Recherches au CNRS, Bordeaux ; Laurent Debarbieux, Directeur de Recherches à l’Institut Pasteur, Paris ; Alain Dublanchet, médecin-biologiste honoraire des hôpitaux, Vincennes ; Rémy Froissart, Chargé de Recherches au CNRS, Montpellier ; Sylvain Gandon, Directeur de Recherches au CNRS, Montpellier ; Claire Le Hénaff, Professeure de Microbiologie, Institut Polytechnique de Bordeaux (ENSCBP) ; Marie-Agnès Petit, Directrice de Recherches à l’INRA, Jouy en Josas ; Eduardo Rocha, Directeur de Recherches au CNRS, Institut Pasteur, Paris ; Clara Torres-Barceló, Chargée de Recherches à l’INRA, Avignon.
En savoir plus sur le Réseau Bactériophage France : www.phages.fr
 
(3) Yves Coppens, professeur (E) au Muséum national d’Histoire naturelle, (Anthropologie biologique), professeur (E) au Collège de France (Paléoanthropologie et Préhistoire), membre de l’Institut de France (Académie des Sciences), membre de l’Académie nationale de Médecine.
Pierre Corvol, professeur (E) au Collège de France (Médecine Expérimentale), membre de l’Institut de France (Académie des Sciences), de l’Académie nationale de Médecine et de l’American Academy of Art and Sciences.
Renaud Denoix de Saint Marc, vice-président (H) du Conseil d’État, membre de l’Institut de France (Académie des Sciences morales et politiques).
Christian Dumas, professeur des universités à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon (Reproduction et Développement des Plantes), membre de l’Institut de France (Académie des Sciences).
André Laurent Parodi, professeur d’anatomie pathologique et directeur (H) de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, président (H) de l’Académie nationale de Médecine, président (H) de l’Académie vétérinaire de France.
Yves Pouliquen, professeur d’ophtalmologie et chef du service d’ophtalmologie de l’Hôtel-Dieu de Paris (H), membre de l’Académie française, membre de l’Académie nationale de Médecine.
Claudine Tiercelin, professeur au Collège de France (Métaphysique et Philosophie de la Connaissance), membre du Conseil supérieur de la Recherche et de la Technologie, membre de l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques).
Cédric Villani, directeur de l’Institut Henri- Poincaré, Médaille Fields en 2010, membre de l’Institut de France (Académie des Sciences).
Le Prix Scientifique François Sommer est animé par Yves Le Floc’h Soye, membre titulaire de l’Académie vétérinaire de France.
 
 

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