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Venta Maersk
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Les routes de l’Arctique s’ouvrent et c’est la géographie de la mondialisation qui change

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La fonte des glaces de l’Arctique est un désastre écologique que le réchauffement climatique produit chaque jour plus intensément. Mais pour certains, cette catastrophe climatique est une aubaine. Elle permet d’ouvrir de nouvelles voies maritimes là où il y a quelques années seulement, la banquise était si épaisse qu’elle figeait le continent Arctique dans une gangue de glace. Ces nouvelles routes du Nord changent la face du monde. Elles sont les nouveaux canaux de Suez ou de Panama, raccourcissant les distances d’un point à l’autre du globe. Elles bousculent la géostratégie mondiale mais aussi les équilibres fragiles de la nature sous ces latitudes.
 
Il y a tout juste un mois, sous un ciel partiellement ensoleillé, avec une température anormalement douce sous ce 50° parallèle Nord, le Venta a traversé le détroit de Béring et s’est dirigé sur bâbord, entamant un voyage de découverte des temps modernes qui pourrait marquer une transformation pour la navigation mondiale et l’environnement arctique.
 
Ce bateau est un grand navire ultramoderne, de classe glace, appartenant au géant danois Maersk – et c’est le premier porte-conteneurs au monde à emprunter la Northern Sea Route, le légendaire passage du Nord-Est qui va du bord de l’Alaska au sommet de la Scandinavie, le long du littoral sibérien désolé de la Russie. Long de 200 mètres, transportant près de 3.600 conteneurs, le navire est parti de Vladivostok en Extrême-Orient, et a effectué la route arctique en cinq semaines. Il a fait escale à Busan en Corée du Sud avant de s’élancer via le détroit de Béring jusqu’à Bremerhaven, en Allemagne avant d’arriver à Saint-Pétersbourg, son port de destination.
 
Un exploit qui était encore impossible il y a quelques années mais qui, aujourd’hui, est réalisable en raison du retrait rapide et, pour beaucoup, profondément troublant, de la glace de mer. Auparavant, il aurait fallu que le Venta emprunte le canal de Suez et rallonge son voyage d’une bonne dizaine de jours pour atteindre son même point de destination.
Pour Christian Buchet, directeur du Centre d’études de la Mer de l’Institut catholique de Paris interrogé par RTL, « Quand vous passez par ce passage vous gagnez 30% en distance ». Et en termes de temps, « c’est 40% de temps gagné parce qu’il n’y a pas de formalité administrative pour entrer dans un canal ». Il ajoute « Troisième avantage, il n’y a aucun problème de tirant d’eau et même pas de problème de sécurité, à moins que les inuits sombrent dans le terrorisme international… », une allusion à la menace que représentent les boucaniers africains dans le Golfe d’Aden depuis plusieurs années.
 
Trajet du Venta Maresk
 
 

Le réchauffement climatique est, pour certains, une bénédiction.

En quelques décennies, la calotte glaciaire de l’Arctique a perdu près de la moitié de sa surface. Et ce n’est pas terminé. Les scientifiques qui observent la fonte de la banquise s’alarment ; selon les calculs des spécialistes du National Snow and Ice Data Center des États-Unis situé à Boulder, au Colorado, la couverture des glaces de mer de l’Arctique a diminué de 13,2 % par décennie en septembre de chaque année. Depuis le début des enregistrements par satellite en 1979, les douze niveaux les plus bas ont tous été enregistrés au cours des douze dernières années. Le record le plus bas a été atteint en 2012, avec 3,39 millions de kilomètres carrés.
 
Ces effets du réchauffement climatique sont une bénédiction pour certains. C’est le cas de Vladimir Poutine qui fonde de grands espoirs dans l’ouverture de cette « route prometteuse ». Selon l’AFP, dans son projet de budget 2019-2021, la Russie a prévu d’investir plus de 40 milliards de roubles (516 millions d’euros au taux actuel) dans le développement de cette route, avec des infrastructures portuaires et la construction de brise-glace nucléaires.
Rouslan Tankaïev, expert auprès de la Chambre de commerce et de l’Union des producteurs d’hydrocarbures de Russie, estime que d’ici à 2050, « la route sera praticable toute l’année », une « bénédiction » pour des pays comme la Russie ou le Canada. Selon lui, les volumes de transport par l’Arctique augmenteront « très rapidement » : « L’année dernière, le trafic était de 7,5 millions de tonnes. Dans les années à venir, il est prévu de le porter à 40 millions ».
 
 

La conquête du Far-North

La Chine et la Russie se pourlèchent les babines mais ils ne sont pas seuls. D’ores et déjà, des centaines de navires, plus petits que le porte-conteneur Venta, sont déjà là. Il suffit de se rendre sur le site marinetraffic.com pour observer, en quelques clics et en temps réel, une foule de pétroliers, de cargos, de navires de recherche, de bateaux de pêche. On trouve même quelques paquebots de croisière qui sillonnent dans ces eaux.
 
Les américains ont eu leur Far-West, on observe ici un véritable Far-North. Des zones immenses de la planète se trouvent désenclavées. C’est le cas du nord du Canada et surtout de la Sibérie. Le président Poutine ne s’y est pas trompé et espère à travers ces nouvelles voies maritimes donner un nouvel élan aux terres jadis inhospitalières mais extraordinairement riches en ressources du Nord de la Russie.
La Chine y voit le moyen de prolonger sa fameuse « route de la soie » et inonder le monde occidental d’encore plus de produits et de matières premières. Car l’Arctique est en train de devenir la voie royale des porte-conteneurs et des pétroliers qui constituent le flux vital de l’économie mondiale.
En juillet dernier, la Russie a expédié la première cargaison de gaz naturel liquéfié de sa nouvelle installation de production de 27 milliards de dollars de Yamal, située au-dessus du cercle polaire arctique, vers le port chinois de Rudong, achevant le premier voyage en 19 jours en mer – 16 jours de moins que via le canal de Suez.
 
Il n’y a pas si longtemps encore, la région intéressait surtout les explorateurs, les scientifiques et les populations locales de pêcheurs. Aujourd’hui, elle est considérée comme un champ pétrolifère et une voie navigable. La Russie, le Danemark, le Canada, la Norvège et les États-Unis font d’ores et déjà valoir leurs droits – et d’autres pays, comme la Chine, se bousculent pour pêcher, forer et traverser. La région qui devrait être un « bien commun », est en train de devenir une zone explosive de tensions internationales. Le Washington Post cite le témoignage devant le Sénat américain ce printemps, de l’ancien chef du Commandement de la marine américaine dans le Pacifique, l’amiral Harry Harris, actuellement ambassadeur des États-Unis en Corée du Sud. Il a déclaré : « Il convient de noter en particulier les efforts déployés par la Russie pour renforcer sa présence et son influence dans le Grand Nord. La Russie a plus de bases au nord du cercle arctique que tous les autres pays réunis, et elle construit davantage avec des capacités nettement militaires. »
 

Inquiétudes pour l’environnement

Cette ruée des grandes puissances avec leurs armadas de pétroliers inquiète les associations de protection de l’environnement, qui craignent des marées noires menaçant un écosystème relativement préservé. « Il est important de savoir quel type de carburant sera utilisé », affirme à l’AFP Rachid Alimov, de Greenpeace, indiquant que le mazout serait particulièrement dangereux. En cas d’accident, « il n’y aurait quasiment aucune infrastructure pour éliminer les conséquences et par temps froid, le pétrole reste plus longtemps dans l’environnement ». Tout le monde se souvient de la pollution causée par l’Exxon Valdez dans le détroit du Prince William en Alaska en 1989, dont le pétrole a pris des décennies à se nettoyer et à se disperser.
 
Baleine boréale en Arctique
 
 
Outre les risques de pollution, les atteintes à l’environnement et à la faune marine sont une menace que plusieurs organisations craignent vivement. Selon elles, avec des routes maritimes arctiques de plus en plus utilisées par la navigation marchande, un océan Arctique libre de glace pourrait tester la résistance et la capacité d’adaptation des mammifères marins. Les narvals, les morses, les baleines boréales et les bélugas sont à un niveau de risque élevé face au trafic maritime. Des scientifiques comme Donna Hauser font remarquer dans une étude récente que les cétacés qui habitent l’Arctique sont des animaux migrateurs qui suivent des routes établies depuis des générations. Ils sont également fidèles à certains sites d’alimentation se trouvant dans des eaux très productives. Le passage du Nord-Ouest et la route maritime du Nord se juxtaposent à ces endroits prisés pour se nourrir et aux routes migratoires empruntées à l’automne. De plus, certaines zones géographiques forment un goulot et amènent les navires et les mammifères marins à se partager un territoire très restreint. La baie de Baffin, le détroit de Béring et le détroit de Lancaster sont des zones où le passage du Nord-Ouest empiète directement sur l’aire de répartition des populations de mammifères marins.
 
Autre sujet d’inquiétude : la pêche. Aujourd’hui, aucune pêche n’est pratiquée en Arctique. Mais Cette zone risque de devenir particulièrement attrayante dans les années à venir. En effet, les changements climatiques entraînent le déplacement vers le nord d’importants stocks de poissons, dont la morue et le flétan, à mesure que les basses latitudes se réchauffent. De surcroît, la surpêche dans les zones traditionnelles rend les nouvelles zones potentielles très intéressantes.
 

Moratoire sur la pêche

Heureusement, ce mercredi 3 octobre, un accord international a été signé pour interdire la pêche en Arctique. Le moratoire préservera une zone d’environ la taille de la Méditerranée pendant au moins les seize prochaines années.
Neuf pays – les États-Unis, la Russie, le Canada, la Norvège, le Danemark, l’Islande, le Japon, la Corée du Sud et la Chine – ainsi que l’UE ont signé l’accord sur l’océan Arctique central lors d’une cérémonie au Groenland, après plusieurs années de discussions. Les pays entameront également un programme conjoint de surveillance scientifique des 2,8 millions de km2, et le moratoire pourra être prolongé par tranches de cinq ans en fonction des résultats.
 
Une décision qui réjouit les ONG environnementales comme Pew dont le directeur principal des programmes pour les terres et les océans, Steve Ganey, déclare : « Alors que de nouvelles eaux libres émergent au sommet de la planète, les dirigeants internationaux ont convenu qu’il serait risqué et imprudent de permettre la pêche commerciale dans l’Arctique avant que les scientifiques aient établi une base de référence pour surveiller la santé de l’écosystème marin dans la région. En utilisant des mesures scientifiques pour guider la prise de décision, l’accord contribuera grandement à la conservation de cet environnement unique. »
 
Ce moratoire est-il une première étape pour apporter une protection juridique à l’environnement fragile de cette région ? Il faut l’espérer car le droit international n’est pas parvenu jusqu’à présent à définir une gouvernance claire pour l’Arctique. L’ouverture des routes du Nord s’accompagnera-t-elle de la mise en œuvre d’une bonne intelligence entre les nations concernées ou sera-telle l’occasion de marquer leur prééminence et leurs intérêts marchands dans la violence et le mépris de la nature ?  
 
Image d’en-tête : Le Venta Maersk lors de son périple en Arctique
 

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