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Nos forêts doivent-elles payer le tribut de la transition énergétique ?

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Pour produire de l’électricité dans les centrales thermiques, le charbon a été, depuis le XIXe siècle, le combustible roi. Avec le réchauffement climatique et les engagements plus ou moins partagés par tout le monde de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le combustible noir s’est retrouvé, à juste titre, au rang des bannis, trop pollueur. Pour le remplacer, les industriels sortirent une idée géniale de leur chapeau : faire brûler la biomasse. En clair, brûler du bois et des végétaux plutôt que du charbon. Une politique encouragée notamment par l’Union européenne pour gagner la bataille de la transition énergétique. Ce que l’on avait oublié c’est que le bois vient des arbres et que pour alimenter les réacteurs de nos centrales thermiques, certains imaginent détruire des forêts entières. Pire, des études récentes annoncent que le bois n’est pas meilleur que le charbon pour ce qui concerne ses émissions de CO2 dans l’atmosphère. De Charybde en Scylla, on marche sur la tête…
 
Jadis, et il n’y a pas si longtemps, pour fabriquer de l’énergie, on brûlait du charbon dans des centrales thermiques. Mais, réchauffement climatique oblige, on se mit à comprendre que brûler cette énergie fossile dégageait des émissions colossales de CO2 dans l’atmosphère. En Europe notamment, sous l’impulsion de la Commission européenne, l’idée de remplacer le charbon par la biomasse pour servir de combustible dans les centrales thermiques se mit à progresser à pas de géants. Certains mêmes, y compris notre Nicolas Hulot national, y voyaient une solution idéale au défi climatique.
 
Aussitôt pensé, aussitôt fait, l’Europe entreprit les grands travaux : la transformation de ses centrales thermiques au charbon en centrales à biomasse. Ces dernières produisent à l’heure actuelle 60 % de la consommation d’énergie en Europe. Avec une accélération ces dernières années puisque la consommation européenne en bioénergie a augmenté de plus de 69 % entre 2005 et 2016. Une tendance qui, selon l’Union européenne, devrait se poursuivre dans les décennies à venir. De la sorte, l’Europe pourrait ainsi respecter les engagements de l’Accord de Paris de réduire ses émissions carbone de 40 % d’ici 2030.
 

Empreinte carbone neutre ? Pas si sûr

Car la biomasse aurait une empreinte carbone neutre. C’est en tout cas ce que pensait l’Union européenne sur la foi de ses experts. Il faut rappeler que la biomasse est la forme d’énergie la plus ancienne depuis que l’homme a inventé le feu. Elle consiste à fabriquer de l’énergie et en particulier de l’électricité en brûlant toutes sortes de végétaux : bois, déchets agricoles, déchets organiques etc. Parmi ces matières, le bois est prépondérant.
 
L’Europe est à cet égard le plus grand consommateur de bois à des fins énergétiques. Du bois brûlé dans des centrales, sous forme de plaquettes ou de pellets. Mais, on a beau présenter la question sous toutes ses formes, il n’en demeure pas moins que le bois vient des arbres qui forment les forêts.
 
L’Union européenne argue que le bois des forêts est une énergie renouvelable – au même titre que le vent ou le soleil – et que l’énergie qui en est produite est hautement écologique. Une position qui n’est pas partagée par tout le monde. A tel point, que l’Union européenne se retrouve attaquée en justice par plusieurs groupes de plaignants issus de différents pays de l’Union. Leur objectif : empêcher l’inclusion de la biomasse forestière dans les directives sur l’énergie renouvelable. Pour eux, le bois des forêts n’est pas une énergie renouvelable ; affirmer le contraire serait une fable inventée par les industriels de l’énergie soutenus par l’Union européenne.
 

La forêt comme zone industrielle

Les plaignants avancent que les institutions européennes n’ont pas pris en considération les preuves scientifiques montrant que la culture et la combustion de la biomasse forestière pour la production d’énergie exacerbaient le changement climatique et étaient responsables de déforestations sur plusieurs continents. Car la demande en énergie renouvelable et plus particulièrement en biomasse aboutit à ce que l’approvisionnement en matières végétales et notamment en bois prend une tournure industrielle.
 
L’exemple de la centrale EDF de Gardanne près de Marseille est symptomatique. Cette centrale au charbon reconvertie en centrale biomasse consomme, selon Bastamag, 850 000 tonnes de matières par an, censées provenir d’un rayon de 250 km autour de la centrale. Sur ces 850 000 tonnes, la moitié sont issues de coupes forestières. Cela se traduit par une tension accrue sur le marché du bois régional qui est incapable de fournir suffisamment. La centrale importe donc des cargos entiers de plaquettes et de pellets de bois venus des quatre coins du monde : d’Espagne, du Canada, du Brésil, etc.
 
Le bois qui est destiné à être brûlé dans les centrales n’est pas nécessairement un bois de bonne qualité et les forêts doivent avoir un taux de rendement le plus rapide possible. Ceci incite les industriels forestiers à être moins regardants sur les contraintes des écosystèmes forestiers et à privilégier la facilité : des résineux plutôt que des feuillus, des forêts accessibles, des abattages hâtifs. Certaines plantations de résineux ressemblent plus à des champs de maïs qu’à des forêts où l’on aime se promener. Ces dernières, les industriels de la forêt préfèreront d’ailleurs les supprimer pour planter des arbres en ligne, avec force utilisation d’herbicides et de fertilisants chimiques. Un pillage des ressources dont on commence à voir les effets dans la forêt boréale canadienne.
 

Impact sur le climat

Pour plusieurs ONG environnementales, le développement industriel du bois-énergie remet en cause son caractère renouvelable. Pire, la généralisation de l’utilisation du bois pour la production d’électricité dans de grandes centrales thermiques rendrait l’impact de cette énergie sur le climat plus néfaste que le charbon, alors que ses partisans défendent une « neutralité carbone ». « Si les forêts sont exploitées de manière plus intensive en permanence à cause de la bioénergie, elles ne parviendront jamais à régénérer le réservoir de carbone perdu », déclare à nos confrères de Reporterre la Fern, une ONG qui agit auprès de la Commission européenne pour qu’elle change sa vision économique de la forêt.
Avec le développement outrancier de l’industrie du bois-énergie, les écologistes craignent que la ressource forestière soit ravalée au rang de ressource minière, avec comme seul souci la recherche du rendement.
 
Les scientifiques ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. Le Conseil consultatif scientifique des académies européennes déclare dans un rapport récent : «Une utilisation non durable des forêts (par exemple menant à un changement d’utilisation des terres ou à une conversion des forêts anciennes à une gestion intensive à plus courte rotation) réduit inévitablement le stockage du carbone dans les arbres vivants et les sols forestiers ». En clair, les scientifiques estiment que cette utilisation intensive du bois comme combustible « augmentera d’autant plus le taux de carbone dans l’atmosphère et accentuera le réchauffement climatique des prochaines décennies, même si le bois remplace le charbon, le pétrole ou le gaz naturel ».
 
Compte tenu du temps nécessaire pour faire pousser les arbres, les utiliser comme source d’énergie ne fait qu’accroître la « dette carbone » mondiale pour les prochaines décennies, voire les prochains siècles, selon une étude publiée en septembre 2018 dans la revue scientifique Nature. Le bois « émet généralement 1,5 fois plus que le CO2 issu du charbon et 3 fois plus que le CO2 issu du gaz naturel à cause de la liaison carbone-bois, de sa teneur en eau, et de la température de combustion basse », lit-on dans l’étude.
 

Garanties de papier

La Commission européenne, face à cette levée de bouclier se veut rassurante. Elle a indiqué que des garanties seraient prises, spécifiant que la biomasse consommée en Europe viendrait uniquement de forêts gérées de manière durable. Selon Euractiv, des hauts fonctionnaires européens ont également rappelé que la directive exige que la biomasse consommée émette un minimum de 80 % de gaz à effet de serre en moins que les combustibles fossiles.
 
Des militants écologistes ont qualifié auprès d’Euractiv ces garanties d’inefficaces. Ceux-ci considèrent que les nombreuses conditions reprises dans la directive « auront très peu d’impact » et poseront des problèmes en matière de règles de comptabilisation du carbone au niveau de l’ONU.
 
La Commission européenne induit effectivement l’idée que la biomasse forestière a toujours une empreinte carbone neutre si les forêts sont gérées de manière durable, écrivent les signataires de l’article publié dans Nature. « Mais cela n’implique pas que l’empreinte carbone soit neutre », soulignent-ils, indiquant que la culture et la combustion de biomasse réduisent la capacité des forêts à absorber le carbone et ajoutent du CO2 dans l’air « comme pour n’importe quelle autre combustion au carbone ».
 
Selon les ONG, le consensus scientifique selon lequel la combustion de carbone n’est pas neutre en émissions est aujourd’hui sans appel. « Les arbres ne poussent pas assez vite pour compenser ces émissions initiales, ce qui veut dire que le bois n’est pas une bonne alternative aux combustibles fossiles », écrit Linde Zuidema, militant de l’ONG environnementale Fern.
 
Le bois des forêts, s’il est utilisé à échelle industrielle comme source énergétique risque de devenir un piège mortel pour le climat. Chaque forêt contient en effet un réservoir de carbone, qui joue un rôle considérable dans l’équilibre du climat. Si l’on abat une forêt, il s’écoulera un temps forcément long entre la récolte et la repousse escomptée. Cela tient du bon sens que chacun peut observer. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il faut compter autant de temps que la forêt à mis à pousser pour qu’elle retrouve son niveau précédent de réservoir carbone. Cela peut prendre entre 50 et 120 ans affirme la Fern.  On comprend alors aisément que si une forêt est exploitée avec des objectifs de rendements industriels obligés par l’économie de la bioénergie, elle n’aura jamais le temps de reconstituer son réservoir carbone. Elle ne pourra jamais compenser les émissions libérées lors de sa combustion. Un bilan négatif qui joue contre le climat.
 

Limites

Selon Francis Martin dans son dernier livre Sous la forêt (humenSciences Editions – janvier 2019), la planète compte 3 000 milliards d’arbres. Ce chiffre astronomique nous laisse croire que la réserve est inépuisable. Pourtant, ce sont 10 milliards d’arbres qui sont abattus chaque année et, depuis que l’homme a commencé ses activités sur cette Terre, c’est-à-dire depuis le Néolithique, c’est la moitié, 50 %, des arbres qui auraient été détruits en tribut au progrès de l’humanité.
L’arbre est un organisme vivant, c’est aussi une ressource indispensable à une multitude d’activités humaines. Utiliser ses déchets, les espèces les moins nobles pour fabriquer de l’énergie est une bonne idée, d’autant plus quand elle vient en substitution des combustibles fossiles. Mais encore une fois, comme dans d’autres domaines, la mesure doit être la règle. Chaque fois qu’une activité humaine prend une dimension industrielle intensive, elle occasionne des désastres. La biomasse comme source énergétique est une bonne idée. Gardons-nous de la pervertir par les excès dont nous sommes des auteurs assidus. Les alertes des scientifiques et des ONG sont là pour nous montrer les limites. Nos limites.
 
 

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