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Devoir de vigilance

Devoir de vigilance : l’éthique comme impératif

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La proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères a été adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 23 mars, par 32 voix contre une. Elle vise à renforcer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises françaises par une « vigilance raisonnable ». Les entreprises donneuses d’ordre françaises (de plus de 5.000 salariés en France ou 10.000 avec leurs filiales à l’étranger) devront établir et mettre en œuvre un plan de vigilance. En cas de manquement, elles risqueront une amende civile pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros.
 
Cette décision est la fin d’un feuilleton qui a fait l’objet de vifs débats parlementaires et de pressions violentes des organisations patronales aux prises avec un grand nombre d’ONG et députés défenseurs de ce texte. Déjà en novembre dernier, le Sénat avait en effet réussi à vider le texte de sa substance en votant trois amendements destinés à supprimer chacun des trois articles du texte. C’est aussi la voie qu’ont choisie 193 députés Les Républicains et apparentés (dont Nathalie Kosciusko-Morizet, Laurent Wauquiez et Éric Woerth) pour cette deuxième lecture, au motif que le texte nuirait à la compétitivité des entreprises donneuses d’ordre, mais aussi des PME françaises.
 
Des arguments empruntés aux organisations patronales. Celles-ci se sont exprimées à de nombreuses reprises. Le président de l’Association française des entreprises privées (Afep), Pierre Pringuet a ainsi donné une interview à Libération dénonçant les conséquences de cette loi pour les entreprises françaises qui se retrouveraient « pénalisées » par un texte au « flou excessif », constituant une « mauvaise réponse à une bonne question ».
Benjamin Thouverez, manager du cabinet d’audit et de conseil EY, explique au quotidien La Croix que cette loi fait « aux entreprises françaises un mauvais procès. Celles-ci ne sont pas opposées à l’esprit du texte et certaines ont d’ailleurs déjà commencé à prendre des mesures pour mieux intégrer dans leur « modèle d’affaires » leur responsabilité sociale et environnementale ». Il ajoute que près de 80 % des entreprises du CAC 40 ont mis en place des actions de plus ou moins grande ampleur pour s’assurer que leurs sous-traitants ou leurs fournisseurs respectent bien les normes internationales en vigueur.
 
Pour les représentants des entreprises multinationales, cette loi est donc parfaitement inutile. Ils estiment que leurs entreprises sont déjà pour nombre d’entre elles des modèles d’éthique et de responsabilité sociale et qu’elles sont déjà suffisamment vigilantes en matière de droits humains. Parfait. Mais alors pourquoi un tel acharnement des lobbies économiques pour empêcher la loi ? Un représentant d’une ONG soutenant activement la proposition affirme : « Nous avons rencontré l’AFEP [l’Association française des entreprises privées, représentant les grandes entreprises françaises] à tous les tournants ». Même la Chambre américaine de commerce, principal lobby américain et chantre des droits absolus des entreprises (et du projet de libre-échange Tafta), s’est mise de la partie pour peser contre la proposition de loi française, à travers une tribune dans Les Échos.
 
 
Pourtant, en deux articles principaux seulement, cette loi dispose que les grandes entreprises françaises devront mettre en place un plan de prévention des atteintes aux droits humains sur leur chaîne d’approvisionnement et que, en cas d’événement grave, les victimes pourront saisir une juridiction civile française pour que celle-ci vérifie si ce plan était adéquat ou non.
 
Pour le rapporteur du texte, le député Dominique Potier (PS) cette loi s’inscrit dans une nouvelle génération de droits adaptés à la globalisation. Interrogé par Libération il rappelle qu’« un des moteurs de l’ultralibéralisme repose sur l’irresponsabilité des maisons mères des grands groupes quant aux agissements de leurs filiales et sous-traitants au bout du monde. C’est vrai pour les paradis fiscaux, pour l’esclavage moderne et les atteintes graves aux écosystèmes. »
Cette loi lève un voile opaque qui s’était instauré entre les grandes sociétés multinationales et leurs sous-traitants. Elle établit pour les donneurs d’ordre un devoir de vigilance sur les droits humains. En arrière-plan, les promoteurs du texte ont en tête le drame du Rana Plaza au Bangladesh il y a bientôt trois ans, qui a fait 1 138 victimes et autant de blessés dans une usine de textile low-cost où s’approvisionnaient distributeurs français et européens. Selon Dominique Potier, « cette catastrophe a rendu visible l’ignorance et les feintes des donneurs d’ordres ».
 
La catastrophe du Raza Plana au Bengladesh (Photo ©Rahul Talukder)
 
Dans ses implications concrètes, la proposition ne semble rien comporter d’insurmontable pour les multinationales françaises. Difficile d’échapper à la conclusion qu’il s’agit surtout d’une affaire de principe : pour certains, il est apparemment inconcevable que l’on puisse vouloir inscrire dans la loi une quelconque obligation éthique ou sociétale pour les entreprises. Or, pour le rapporteur de la loi, « L’éthique est plus que jamais un impératif politique. L’Europe qui, dans ce domaine, a une longueur d’avance sur les Anglo-Saxons et les Asiatiques, doit peser pour modifier les règles internationales, ne pas se laisser imposer les standards low-cost. Plusieurs pays de l’UE ont déjà légiféré : sur le travail des enfants au Royaume-Uni, sur la corruption en Italie. Avec ce texte, la France vise une approche plus globale qui pourrait inspirer une directive européenne ».
 
Dans un communiqué publié aujourd’hui, plusieurs ONG dont Amnesty international ont salué l’adoption du texte par l’Assemblée nationale. Elles en appellent toutefois au gouvernement afin qu’il mette tout en œuvre pour que le processus aboutisse avant l’été 2016, et demandent désormais au Sénat de l’inscrire à son agenda le plus rapidement possible. La route est encore longue jusqu’à l’adoption définitive de la loi, qui nécessitera par ailleurs la mise en application d’un décret. Selon elles cette loi constitue « un premier pas historique vers une prise en compte des droits humains par les entreprises multinationales ».
 
En imposant l’obligation de vigilance, cette loi introduit l’impératif éthique dans la conduite des affaires. Les grandes entreprises implantées en France ne pourront échapper à leur responsabilité, en France comme à l’étranger, pour l’ensemble de leur chaine de valeur, des dommages environnementaux que leurs activités pourraient générer jusqu’aux violation des droits humains dont elles pourraient, directement ou indirectement, se rendre coupables.
 
 
 

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