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Architecture

La ville-métabolisme

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L’architecte Philippe Chiambaretta rassemble 40 penseurs contemporains dans le 4e numéro de la revue-livre d’exploration Stream, qui enquête sur la figure du vivant comme clé d’un nouvel avènement pour la ville-métabolisme. Stream 04 met en lumière un nouveau modèle de vie et de ville, fonctionnant selon les principes du vivant. Un concept dont les prémices remontent aux utopies du XXe siècle, mais qui ne prend toute sa force et ne se concrétise qu’aujourd’hui, de par la prise de conscience générale d’une crise écologique imminente, source d’une vision inédite du monde, et avec le concours de nouveaux outils technologiques. 
 
C’est le résultat de 20 mois de recherche, le fruit de rencontres avec 40 personnalités* dans 10 pays et 12 disciplines (anthropologie, agronomie, philosophie, sociologie, géographie, histoire de l’art, biologie, chimie, architecture, paysage, urbanisme, art plastique). Pour une nouvelle génération d’architectes dont Philippe Chiambaretta fait partie, l’architecture doit en effet se consacrer à apporter des solutions universelles aux grands problèmes contemporains, en se nourrissant d’un large ensemble de courants de pensées, sciences dures ou sciences humaines.
 
C’est l’ambition de la revue-livre « Stream 04, Les Paradoxes du vivant » créée par Philippe Chiambaretta : explorer de manière transdisciplinaire les scénarios de réponse au constat de l’ère Anthropocène. L’homme est désormais une force géologique majeure, et même si nous craignons désormais les conséquences de nos actes sur la nature, la crise écologique imminente nous impose d’agir sur le vivant. 
« Au-delà des débats autour de l’Anthropocène – datation, responsabilités… –, il ne fait pas de doute qu’il nous faut lutter contre les effets désastreux du développement humain. » Prenant acte que ses conséquences s’incarnent spécifiquement dans les villes, l’architecte Philippe Chiambaretta pointe un changement de paradigme – le passage d’une vision machinique du monde à une conception centrée sur le vivant – qui réactive la notion de métabolisme. Le concept de vivant permet de dépasser le dualisme et l’anthropocentrisme introduit par la modernité et pousse vers une conception symbolique et pratique de la ville comme métabolisme urbain, signe d’une approche prenant en compte le défi écologique pour « ménager » la ville. Battant en brèche l’orgueil formel de l’architecte, la figure d’un planificateur métabolique se dessine, à même de conjuguer des visions et approches complexes, notamment en dépassant les clivages classiques entre acteurs de la ville, en œuvrant à une mixité intense des usages, en ouvrant des dynamiques temporelles et en réintégrant le vivant. 

 
L’homme est en train d’adopter une nouvelle relation aux êtres vivants, avec, à l’origine, la volonté de trouver des réponses au constat de l’ère Anthropocène. Stream 04 fait suite au constat de l’ère Anthropocène, détaillé dans Stream 03, Habiter l’Anthropocène (2015), qui analysait l’évolution de l’urbanisation globale. L’activité de l’homme est désormais une force majeure agissant sur la nature et le vivant, influant le destin de la Terre au point d’être source d’une crise écologique majeure.
En réaction, Stream 04 explore les scénarios de réponses à cette condition, en rassemblant une communauté inédite de penseurs, d’artistes et de chercheurs en sciences dures comme en sciences humaines. En confrontant les points de vue, de nouvelles relations à la nature et au vivant se font jour, qui permettent de dégager des pistes d’action. En particulier pour la ville, qui concentrera bientôt les trois quarts de la population du globe.
 
Le constat de l’ère Anthropocène oblige l’homme à se décentrer, à ne plus se considérer comme « maître et possesseur » de la nature. La situation remet en cause nos façons d’habiter et nous impose une nouvelle relation aux êtres vivants : de l’ordre de la symbiose, envisageant une égalité ontologique (cf. Graham Harman, Timothy Morton), selon des alliances « non-fusionnelles » (cf. Frédéric Neyrat), ou en développant des formes de cohabitation, selon des logiques du « faire avec » (cf. Catherine et Raphaël Larrère).
Paradoxe : notre condition nous impose une nouvelle humilité face au vivant, mais nous oblige aussi à intervenir sur lui, pour en refaire un allié. En redevenant espèce parmi les espèces, l’homme peut s’inspirer des milieux vivants pour redevenir un habitat pour les autres êtres (cf. Roland Schaer), s’autoriser la manipulation biologique du vivant pour en accompagner l’évolution (cf. François Képès), réintroduire la biodiversité dans la ville (cf. Gilles Boeuf). Le vivant constitue ainsi un prisme pour reconsidérer d’une façon générale notre rapport au monde, et notre condition urbaine en particulier, infusant du champ de la pensée à celui de l’action. Dans un monde fini, les limites du vivant sont notre nouvelle frontière et notre horizon de développement.

 
En croisant les points de vue, apparaît une nouvelle forme de relation entre l’homme et la nature : plus inclusive, davantage de l’ordre de l’échange et de la domestication que de la maîtrise. L’homme doit dépasser les dualismes nature/culture, vivant/non-vivant de la modernité occidentale pour adopter une approche systémique. Il a les outils pour agir sur le vivant (intelligence artificielle, bio-engineering) et doit les utiliser en conscience.
Des pistes d’actions émergent, complexes, hybrides. La ville, pour survivre, doit abandonner l’analogie machiniste pour des visions plus organiques, et redevenir ainsi métabolique, en cherchant à reproduire les mécanismes du vivant. Non par une simple végétalisation ni en créant des smart cities stériles, mais en recréant une large biodiversité, en favorisant les échanges et la croissance organique, en fonctionnant de manière circulaire, en rendant les êtres et le bâti capables de muter avec le temps et les usages.
 
L’agence PCA-STREAM, qui publie Stream, a été fondée en 2000 par Philippe Chiambaretta, architecte au profil hybride. C’est à l’origine un ingénieur, passé par l’école des Ponts et Chaussées et la Sloan Business School du MIT à Boston. Il n’est devenu architecte qu’à 36 ans, après une première vie dans la finance à New York, le conseil en stratégie, la direction de l’agence de Ricardo Bofill, et même une incursion dans la peinture. L’architecture est venue cristalliser in fine les différentes facettes de ce parcours.
PCA-STREAM propose une approche interdisciplinaire et globale de l’architecture. Chez PCA-STREAM travaillent d’ailleurs architectes, architectes d’intérieur, historiens de l’art, artistes, urbanistes, paysagistes, ingénieurs, éditeurs.
 
*Notamment Graham Harman, Gilles Boeuf, Olafur Eliasson, Gilles Clément, Eduardo Kohn ou Yona Friedman.
 

Perspectives architecturales pour une ville-métabolisme

Pour concevoir la ville-métabolisme, des solutions concrètes existent, certaines depuis longtemps, d’autres activées récemment par les progrès de la technologie. Tout l’enjeu est de les conjuguer globalement dans une vision organique, pour recréer une ville vivante. Ces pistes s’articulent autour de trois axes principaux : conception, production, usages.

Conception 

L’importance du milieu : L’architecture ne relève plus de la sculpture, de l’objet isolé, mais repart du contexte des lieux et des milieux préexistants pour mieux s’y enraciner : son histoire, la nature du terrain, le bâti présent, ses écosystèmes naturels, ses flux économiques…
L’approche systémique : L’architecture dépasse ainsi les dualismes modernes (nature/culture, mécanique/organique…) pour adopter une pensée systémique : le bâti doit être conçu comme faisant partie d’un système général, avec lequel il interagit de façon métabolique.
Le nouveau rapport au paysage :  Les concepteurs urbains tirent ainsi de nouveaux enseignements du paysagisme : cette discipline intervenait souvent en aval des projets, elle redevient un acteur majeur, et réimpose un modèle de fonctionnement écosystémique, basé sur un ensemble de relations et d’équilibres avec la nature.
L’architecture membrane : Plutôt que séparer, se faire façade et frontière, l’architecture devient catalyseur de porosités entre l’intérieur et l’extérieur. Elle devient concrètement une surface d’échange avec le paysage, accueillant ou laissant passer les flux d’air, d’êtres vivants.
L’architecture ouverte : L’architecture s’ouvre également au sens du process. Loin du formalisme, de la conception très en amont d’un objet définitif, il s’agit de développer des approches qui laissent davantage de place à l’incertain, à l’imprévu. Une telle architecture rend possible l’adaptation dans le temps aux évolutions non programmées, à la croissance organique.
La co-conception : Ces approches dynamiques ne sont possibles qu’en systématisant la co-conception de chaque projet. Par la concertation publique citoyenne, bien sûr, mais aussi en formant des équipes de conception transdisciplinaires (paysagistes, sociologues, économistes…) faisant intervenir toutes les futures parties prenantes (habitants, entreprises, visiteurs…). Plus globalement, concevoir une ville vivante par une refonte des pratiques de l’architecture, le dépassement des modèles segmentés, descendants et linéaires (qu’ils soient imposés par l’architecte, par une planification froide, ou par la seule technologie). Pour laisser advenir un modèle transversal, ascendant et circulaire.
L’intelligence collective : L’architecte passe ainsi de l’intelligence individuelle à l’intelligence collective, bousculant ses pratiques comme sa figure classique. Il s’agit d’intégrer et incarner dans sa pratique une évolution dans les process de production : on quitte la figure de l’atelier vertical d’un maître et de ses assistants, vers des groupements transdisciplinaires (urbanistes, géographes, économistes, sociologues…).

Production

Le métabolisme circulaire : Le métabolisme urbain commence à l’échelle du bâtiment. Un immeuble mixte peut être conçu de façon à métaboliser ses déchets et les transformer en ressources. Des légumes cultivés sur le toit, sur des parcelles maraîchères alimentées par les eaux de ruissellement, peuvent être vendus ou transformés sur place dans une logique de circuits courts, et leurs déchets réutilisés pour enrichir les cultures après compostage.
 
52 Champs – PCA STREAM
 
La végétalisation : Le végétal intègre très en amont les projets architecturaux. Le paysagiste n’intervient plus a posteriori sur le geste architectural existant, pour des raisons cosmétiques de décoration ou de dissimulation d’éléments techniques. Le vivant prend place au cœur de la conception architecturale, qui se définit avec et autour de lui, permettant de nouvelles continuités naturelles à l’échelle urbaine. Pour l’usager, cela représente une source de confort, en termes visuels, de température ou de lumière, mais aussi un rapport au bâti passant par un appel plus large à l’ensemble de ses sens.
Projet ShAKe – PCA STREAM
 
L’agriculture urbaine : Ces programmes d’agriculture urbaine, très en vogue, sont encore au stade de l’expérimentation. Nul ne sait s’ils représenteront à terme des solutions concrètes d’approvisionnement en nourriture sur des circuits courts, mais ils incarnent déjà une évolution du rapport de la ville à la nature, au vivant. Le phénomène permet une évolution symbolique de la compréhension des sources d’alimentation.
 
52 Champs, Cour intérieure – PCA STREAM
 
La biodiversité urbaine : De façon générale, la multiplication et la nouvelle échelle – beaucoup plus importante – des formes de végétalisation du bâti favorisent la biodiversité globale. Les paysagistes œuvrant sur les projets architecturaux le font désormais en dialogue avec des écologues afin de mener des enquêtes sur les espèces indigènes et opérer des choix non plus esthétiques mais en lien avec la richesse du milieu local.
 
Laborde, Vue d’ensemble -PCA STREAM
 
L’optimisation des services écosystémiques : L’une des manières les plus efficaces d’atteindre les objectifs environnementaux consiste à intégrer la nature dans les infrastructures d’une ville (et même à la considérer comme étant une infrastructure en soi) pour optimiser ses « services » : l’apport d’ombre et de fraîcheur, l’absorption de CO2, le compost de déchets… Investir dans des « infrastructures écologiques » est l’une des manières d’adopter une approche écosystémique dans la gestion urbaine.
 
Laborde, perspectived cour  – PCA STREAM
 
Les artefacts naturels : Plutôt que de réintroduire la nature dans la ville en la voulant paradoxalement sauvage, en la sanctuarisant et en la coupant du mode de vie des habitants, il s’agit de réinventer des systèmes naturels adaptés à la ville, c’est-à-dire capables de reproduire sur site les processus vivants de manière autonome et durable.
La cohabitation inter-espèces : Partant de considérations philosophiques d’égalité ontologique, l’architecte intègre des systèmes de cohabitation inter-espèces dans sa pratique, rejetant une vision du bâti ou l’homme en serait le seul utilisateur légitime.
Les nouveaux matériaux : L’intégration du vivant dans la conception du bâti se fait également via les matériaux eux-mêmes, notamment par le réinvestissement des structures bois, mais aussi le développement de matériaux hybrides à l’image du bois augmenté, ou du béton végétalisable.
L’optimisation du cycle des matériaux : L’approche environnementale des matériaux passe par une systématisation des démarches de recyclage, en favorisant les filières de réemploi, la récupération (Cradle to Cradle) et l’écologie industrielle, approche ou les déchets de l’un devenant le matériau de l’autre. Et globalement par une considération pour le « déjà-là », dont les performances dépassent leur nature même du seul fait de leur réemploi.
L’hybridation technologique :  Considérer le bâti de manière organique, comme un être vivant, permet de repenser son approche énergétique, notamment via son hybridation avec la technologie. Il faut néanmoins équilibrer l’utilisation des algorithmes (pour optimiser l’utilisation énergétique du bâtiment en fonction des informations recueillies) en valorisant l’intervention humaine, l’utilisation de nos sens et de nos perceptions.

Usages

La préfiguration : Il est essentiel de concevoir par des stratégies de préfiguration la vie d’un bâtiment avant même que celui-ci n’émerge ou ne renaisse. Un projet dont le programme n’est pas entièrement arrêté offre des espaces à inventer par les futurs usagers et habitants, qui connaissent les services dont leur espace de vie est dépourvu.
La réversibilité (à long terme) : La mise au point de structures reposant sur des trames réversibles permet au cloisonnement des espaces internes d’évoluer, assurant une flexibilité des usages dans le temps. Ainsi, le squelette modulable du bâtiment peut s’adapter à ses occupants, en prenant en compte la fluctuation des populations, la croissance des entreprises, l’évolution des modes de vie… Ces dernières sculpteront son anatomie en le métamorphosant au fil du temps.
La modularité (à court terme) : Réversible à long terme, le bâtiment devient suffisamment modulable pour offrir une grande variété d’usages à court terme, voire selon les heures de la journée. Le restaurant d’un immeuble de bureaux peut ainsi se transformer en espace de travail informel, voire en salle de projection ou de présentation en dehors de son activité culinaire. L’architecture s’adapte aux différents temps de la ville et de ses usagers. Le temps comme composante du vivant – jusque-là oubliée dans l’approche de la ville – ne doit plus représenter une limite à la conception urbaine mais permettre à l’architecte de devenir le metteur en espace de synergies nées des usages partagés et de la copropriété de l’espace.
La mixité des usages : La mixité sous ses différentes formes – cette capacité à refabriquer du lien entre les usages et les usagers – est désormais au cœur des réflexions sur les échelles de la ville, du bâtiment, du macro-lot ou du quartier. Le traditionnel zoning fonctionnaliste a laissé place à l’idéal d’une ville mixte dans laquelle nos différentes conditions de travailleur, d’habitant ou de consommateur sont spatialement réunies. L’ubiquité désormais possible par la technologie favorise le décloisonnement de nos temps et lieux de vie, entre vies professionnelles et vies privées, travail, loisir ou consommation.
Mixité programmatique : L’explosion de logiques monofonctionnelles et la mutabilité formelle permettent l’émergence de coexistences inédites et fertiles. La mixité programmatique au sein d’un bâtiment mêlant logements (petits et grands, à baux longs ou courts, destinés à la location ou à la propriété), espaces de travail (de coworking ou d’entreprises), équipements sportifs, boîtes de nuit, espaces culturels et de commerce, services, conciergeries… assure une activité 24h/24 attractive pour un public hétérogène. Cette complexité fonctionnelle, cette coexistence sociale est d’autant plus féconde qu’elle s’ouvre sur l’extérieur.
 
 
 
 
 

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