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La ville de demain : je t’aime, moi non plus

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57% des citadins aspirent à vivre ailleurs. La surprise est moins dans la tendance à vouloir quitter la ville, la grande, que dans l’intensité de la demande et dans ses raisons. Le dilemme, selon une étude de l’ObSoCo, n’est pas de choisir où aller, mais de savoir comment se construire, par ses propres pratiques, un « ailleurs » : en France et en Europe, les gens ont raconté la ville telle qu’ils la vivent, celle dont ils rêvent et celles qu’ils réinventent au travers de nouveaux usages. Travail, consommation, mobilité, habitat, rapport à l’autre, citoyenneté, autant de domaines à explorer pour construire la ville de demain.
 
L’Observatoire des usages émergents de la ville a été réalisé par l’ObSoCo, en partenariat avec Chronos. Bruno Marzloff y décrypte les modes de vie urbains en France et en Europe et se penche sur les nouvelles pratiques qui redessinent la ville.
 
Qu’attend-on de la ville : est-elle nature, collaborative ? des courtes distances ? connectée ? diffuse ? autosuffisante ? Un peu de tout cela, certes, mais pas comme le pensent les offreurs.
Dès lors que l’on se place à l’écoute des attentes et des représentations des usagers de la ville, il apparaît difficile de dessiner une ville idéale, tant celles-ci sont fragmentées et paradoxales, et tant les nuisances associées à la ville viennent heurter l’expérience d’un vécu urbain désirable. L’enjeu réside alors dans la capacité à libérer d’autres usages de la ville, permettant de réinventer celle-ci.
 
C’est pour approfondir la nature de ces usages que l’ObSoCo et Chronos se sont associé pour lancer, avec le soutien de l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie), du CGET (Commissariat Général à l’Égalité des Territoires), de Clear Channel et de Vedecom (Institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité), le premier Observatoire des usages émergents de la ville.
Cet observatoire s’appuie sur une vaste enquête réalisée en ligne auprès d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 à 70 ans de plus de 4000 personnes, interrogées du 3 au 31 juillet 2017. Afin d’établir des comparaisons internationales (se limitant au niveau européen en ce qui concerne cette première édition), l’enquête a parallèlement été conduite en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, avec à chaque fois un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population nationale. On y observe l’évolution des représentations de la ville au sein des populations du territoire, le développement de nouvelles formes d’aspirations en matière de lieu de vie et l’émergence d’autres pratiques en matière de mobilité, de consommation, mais également de sociabilité et d’échanges.

Un besoin de ville pondérée

Trois entrées s’articulent et esquissent une charpente, une perspective et un récit. Autour d’elle s’organise une galaxie d’observations.
1. Le dilemme : Comment les français (mais cela se vérifie dans les trois autres pays visités) aiment et rejettent la ville à la fois ? « Je t’aime, moi non plus. » Plus elle est grande, plus elle accueille l’hyperactivité, plus elle motive de rejets.
2. L’invention : Comment les usagers pratiquent la ville, l’inventent ?
Au travers de l’invention de nouveaux comportements, on peut parler d’une « ville pondérée ». Pondérée par eux, s’entend, puisque l’urbaniste et les acteurs privés et publics sont dans une autre histoire que celle des usagers.
3. Les équilibres : Comment les usagers conçoivent la ville et se la représentent ? Rejetant les excès, ils formulent d’autres équilibres, des utopies.
 
Hypothèse :  Une dynamique métropolitaine, centripète et dévorante (appelons-là « vortex ») perpétue l’attraction des hypercentres des métropoles en compétition au niveau mondial. Elle consolide une logique fordiste à l’œuvre dans l’urbanisme fonctionnel depuis un siècle. Cette ville ignore la demande et de fait est en retard sur de nouveaux usages qui la façonnent.

1 – Le dilemme

Une ombre plane sur la ville. Son avenir n’est pas forcément radieux (9% « demain sera mieux » vs. 47% « demain ira pire »). Cela se traduit par un délaissement et à tout le moins de fortes objections sur la ville, au moins la grande. La mesure du mal-être urbain saisit d’emblée. Comment expliquer qu’un français sur deux (48%) aspire à une autre résidence, à un ailleurs ?
Avec une puissante surpondération en IDF (62%) et dans les grandes villes, mais encore 1/4 des résidents des communes isolées. Pour le dire autrement, le désir d’évasion se corrèle à la taille de la ville. Comment expliquer que ces insatisfaits ne fassent pas aboutir leur quête ? Est-ce si difficile de déménager ? Ou l’objet même de l’ailleurs est-il inatteignable ? Cet ailleurs serait-il une utopie ?
 
En fait l’explication plausible de ce chiffre – encore plus fort en Italie et UK qu’en France – est double. D’un côté, les urbains n’ont guère de choix que de demeurer là où ils résident, car définitivement l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, et les filets qui retiennent le citadin sont trop forts. Car la ville s’offre avec son effervescence ambivalente – la culture dans toutes ses dimensions (diversité culturelle, 1er item de représentation de la ville, 7,0 points), les sociabilités multiples, le revenu, la richesse des ressources, la fête, le divertissement … ; en regard, il faut accepter le temps qui manque, la voiture envahissante, les bruits, les pollutions, des congestions, la fatigue, du stress, la cherté, le temps perdu …
La ville a un revers sombre qu’on ne peut dissocier de ses avantages indéniables. C’est ce piège que les européens dénoncent dans cette aspiration à vivre ailleurs. Vivre ailleurs, c’est retrouver ce même cocktail ; puisque ce ne sont pas les acteurs qui font la ville, c’est sa taille qui la détermine. Cette fuite en avant de l’hyperurbanisation de la ville est-elle fatale ?

2 – L’invention

D’où le second volet de la dialectique. En effet, le plaignant dit son désarroi, mais ne renonce pas à affronter sa contradiction. Alors, il ne quitte pas la ville, mais tente de la transformer de l’intérieur. Sortir par le haut du piège de l’immobilisme, c’est inventer des usages de la ville (Michel de Certeau, L’invention du quotidien), mais aussi en façonner les maîtrises d’usage. C’est en quelque sorte refaire de la ville sur la ville, non par les infrastructures mais par les comportements, et dès lors par les services plébiscités.
Sans prétendre épuiser le sujet, relevons quelques grands chapitres des innovations d’usage dans la ville.
 
1/ Les mobilités et les agilités :
Les français – dans des proportions parfois différentes dans un sens ou l’autre des européens – inventent énormément en matière de mobilité (vélo libre-service, retour de la marche, covoiturage, court voiturage, autopartage, VTC …), ils plébiscitent la multimodalité, ils contournent les déplacements subis par le télétravail, les tiers-lieux, les commande à distance, ils valorisent la proximité et les voisinages, etc.
 
2/ On retrouve dans le commerce cette variété de pratiques, ces agilités et la résilience avec les commerces de proximité, les AMAP, le commerce en ligne et la variété de modes de livraison. Proximité encore ! 63% sont potentiellement utilisateurs des bornes de services de voisinage.
Le sentiment d’appartenance se construit au niveau local. 86% se sentent chez eux dans leur voisinage et encore 85% au niveau quartier.
 
3/ Les pratiques collaboratives sont d’abord une réponse à une ville chère, mais elles s’avèrent vertueuses et écologiques ; les français confirment vouloir accentuer leurs pratiques de recyclage déjà significatives.
 
4/ L’écologie est absente de la ville (4,5 points). Elle y revient par le plébiscite des autoproductions en matière alimentaire et bientôt dans le champ énergétique (61% des propriétaires sont prêt à adopter l’autoproduction en énergie).
 
5/ Proximité et résilience avec des fab labs. Qui font rêver à défaut d’être déjà là (3% d’usagers seulement). L’avenir se prétend aussi créatif avec un assentiment de 44% au fablabs pour reproduire des objets identifiés en ligne, ou de 56% pour réparer en fablabs les équipements domestiques usagés.
 
6/ Santé, bien-être, vitalité. 45% attendent du mobilier urbain dédié aux sports, à la santé et au bien-être, plus que les bornes d’informations voyageurs, rendu de toute façon obsolètes par les mobiles et leurs applications.
 
7/ L’ouverture au monde et l’implication citoyenne. 63% sont favorables à la coexistence d’une diversité de cultures. 64% des Français aimeraient voir se développer un budget participatif au sein de leur commune.
Il y a là un catalogue de créativité urbaine largement incomplet mais tangible et robuste.

3 – Les nouveaux équilibres

Si la ville idéale n’existe pas du fait des contradictions de la ville fordiste poussée toujours plus loin, plus haute, plus dense, plus agitée, les répondants proposent de dénoncer les excès et de changer le regard en combinant ces variables qui font la ville et l’urbanité, à l’instar de la cité de Delphes qui affichait sur le portique marquant son entrée : « Rien de trop ». Rejetant la fuite en avant de la ville fordiste, le point de vue des répondants amène à formuler une théorie des équilibres.
• Aucun des six modèles de ville proposés dans l’enquête (nature, diffuse, courtes distance, collaborative, autosuffisante, connectée) n’emporte l’enthousiasme ; les villes connectées et diffuse encore moins que les autres. La solution, c’est une ville pondérée, faite d’un agencement de briques, compromis entre les six entrées de la ville idéale.
 
• La ville c’est aussi le choix d’une taille de ville et d’une localisation au sein de la trame métropolitaine. Le modèle sera alors la ville moyenne ou la petite ville proche de la grande ville, ou le modèle du village dans la ville. Une autre manière de refaire la ville sur la ville.
Donc cette ville pondérée formule à l’abri des « trop » la quête de la taille humaine, du bon vivre, de ce qui est gérable humainement, ou encore de la ville à portée de main.
• Ni trop grand, ni trop petit, répète-t-on à l’envi dans les verbatim.
• Ni trop proche de la grande ville, … ni trop loin.
• L’espace vital – c’est-à-dire le bassin de vie aussi territoire de ressources et d’aménités – est à mi-chemin de la ville des courtes distances et de la ville diffuse.
 
Cette ville pondérée et frugale est une combinaison entre de multiples binômes où se recompose l’urbanité :
• Entre le minéral et l’espace vert, il ne faut pas choisir, il faut composer intelligemment, et éviter l’artificiel, le superficiel.
• Une ville doit être suffisamment dense mais pas trop verticale.
• On y rejette la ville connectée ou futuriste, mais on ne récuse pas les data-services qui apportent une fluidité dans un quotidien complexe.
• Cette ville a sans doute encore un peu de voitures mais pas de congestions.
• Elle est collaborative mais sans coercition.
 
Entre la ville ressource et la ville à portée de main et la ville bien-vivre, l’exercice est aussi difficile que de concilier la ville active et la ville inclusive. En résumé, une ville ni trop concentrée flirtant avec l’enfermement, ni trop dispersée au risque des pertes de contact et d’urbanité mais aussi au risque des mobilité subies : trop de mobilités particulières a blessé la ville, amenant ses habitants à chercher une issue. Ces hybridations que renvoie l’échantillon, dans ses réponses et ses verbatim, se lisent comme la quête d’apaisement et d’équilibre d’un urbain qui aspire à une qualité de vie sans perdre les avantages d’une ville accessible. Ce n’est pas un non choix, mais cela révèle plutôt sa très grande difficulté.

4 – Retard et déséquilibre de l’offre, la « winner-take-all city »

Cette analyse souligne combien la ville hyperactive qui concentre l’effervescence, qui fait de « bruit », « pollution » et « congestion » ses symptômes majeurs et évidents, rencontre tant d’objections. Clairement, la construction de l’offre urbaine est en décalage énorme aux attentes de la demande.
Pourquoi ? Au-delà de l’inertie des modèles fordistes, de la place abusive de la voiture, du zoning et de ses séquelles, des économistes et des urbanistes avancent une explication intrigante.
 
Dans la compétition entre les villes, le “winner-take-all urbanism”, c’est l’accaparement de la valeur par certaines villes et certains acteurs captant et concentrant sur leur territoire l’appareil économique créatif, l’innovation et la croissance économique dans un mouvement exponentiel, identique à celui des entreprises dont la valeur et la performance se nourrissent de leur puissance croissante, en réduisant à néant le reste du marché.
 
Leur moteur, c’est se rendre incontournable – on déteste Facebook, mais on ne peut s’en passer. Il en va ainsi de la ville qu’on ne supporte pas, mais qu’on ne quitte pas plus, tant ses ressources sont vitales. Sa conclusion est une forme de « vortex » qui aspire les forces vives et rejette ses marges dans ses marches, ouvrant une autre voie aux excès. 
Une ville régie par la dualité des tropismes qui façonnent son territoire : ceux d’origine naturelle, et ceux d’origine humaine. Toujours trop de « trop » ; précisément l’ubris que condamnaient les grecs anciens.

 
 

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