L’exposition à des températures élevées dès les premiers stades de la vie pourrait avoir des répercussions durables sur le développement cognitif des enfants. Dans un contexte de changement climatique accéléré, une nouvelle étude menée par l’Inserm, le CNRS et l’Université Grenoble Alpes révèle pour la première fois un lien préoccupant entre exposition à des températures élevées pendant la grossesse et les premiers mois de vie et des troubles du développement neuro-linguistique chez les jeunes enfants. Ces conclusions, publiées dans Environmental Health, incitent à une prise de conscience urgente et à des mesures adaptées, non seulement en Europe, mais aussi dans les régions plus chaudes du globe.
Coups de chaud et canicules ne sont pas sans risques pour la santé. Les températures extrêmes contribuent largement au fardeau sanitaire global, impactant significativement l’espérance de vie des populations, en particulier chez les personnes fragiles. Les femmes enceintes et les nourrissons, dont les processus de thermorégulation ne sont pas aussi efficaces, sont particulièrement sensibles au stress thermique. Facteurs probables de déclenchement de l’accouchement, les vagues de chaleur pendant la grossesse sont associées à un risque accru de mortinatalité, de prématurité, ou à un poids de naissance faible. Des événements périnataux qui ont déjà été associés, dans la littérature scientifique, à des conséquences à long terme sur le développement de l’enfant, en particulier neurologique.
Chaleur précoce et impact sur le cerveau en développement
L’étude repose sur l’analyse fine des données, incluant 12 000 couples mère-enfant. Une équipe de recherche menée par Johanna Lepeule, directrice de recherche à l’Inserm, au sein de l’Institut pour l’avancée des biosciences (Inserm/CNRS/Université Grenoble Alpes), et Itai Kloog, professeur à l’université Ben Gourion (Israël), a étudié pour la première fois l’impact des températures extrêmes sur le développement linguistique à l’âge de deux ans, un des premiers marqueurs d’apprentissage quantifiable.
Les chercheurs ont croisé ces données avec des modélisations précises de l’exposition à la chaleur, semaine par semaine, pendant la grossesse et les premiers mois de vie, durant lesquelles le développement des enfants serait plus vulnérable aux vagues de chaleurs. Il en ressort que certaines périodes – notamment le deuxième trimestre de grossesse et les sept premiers mois après la naissance – sont particulièrement sensibles aux effets de la chaleur. Durant ces fenêtres de vulnérabilité, des températures extrêmes ont été associées à une baisse significative des capacités linguistiques des enfants, jusqu’à 15 %. Pour ce faire, les chercheuses et chercheurs ont utilisé les données de la cohorte nationale Elfe [1], combinées à des modèles d’exposition à la température dit « à fine échelle » ils et elles ont estimé, à 1 km près à la campagne et à 200 m près en ville, les températures éprouvées et leurs effets sur les capacités langagières des enfants à deux ans.
À l’inverse, des températures froides pendant la période prénatale, incitant les femmes à rester en intérieur à des températures confortables, étaient associées à une amélioration des scores d’acquisitions de langage.
« Aujourd’hui, on sait qu’à court terme, la chaleur joue sur les capacités immédiates de concentration et diminue les performances cognitives. Si les effets de la chaleur sur le développement neuropsychologique de l’enfant observés dans nos travaux sont confirmés, il faudra s’attendre à découvrir des conséquences, pas seulement ponctuelles, mais sur toute la durée de la vie, explique Johanna Lepeule. Nos résultats sont un signal précurseur de l’impact d’un réchauffement global sur le développement cognitif humain à long terme. Nous travaillons actuellement pour comprendre dans quelle mesure les générations futures pourraient être impactées. En attendant, l’identification de ces fenêtres de vulnérabilité est un premier indicateur qui pourrait permettre de cibler des messages de prévention », conclut la chercheuse.
Une menace pour les enfants et les femmes enceintes
Ces résultats s’inscrivent dans une tendance plus large : les températures extrêmes, de plus en plus fréquentes en raison du réchauffement climatique, représentent un danger sérieux pour les groupes les plus vulnérables, dont les nourrissons et les femmes enceintes. Les mécanismes biologiques évoqués par la recherche – tels que la perturbation de la migration et de la différenciation neuronale – sont déjà bien documentés chez l’animal. En effet, ces études ont montré que les températures extrêmes impacteraient différents mécanismes neurobiologiques comme la prolifération, la différenciation et la migration des neurones, provoquant des perturbations neurodéveloppementales chez les rongeurs et les poissons, avec des conséquences cognitives délétères.
Chez l’humain, aucune étude ne s’était encore intéressée aux effets de la température ambiante sur le neurodéveloppement. Ce lien entre chaleur ambiante et développement neuropsychologique commence seulement à être exploré, mais les premières conclusions sont préoccupantes.
L’été 2022, un tournant révélateur
Rappelons-nous la chaleur record de l’été 2022, marqué par des vagues de chaleur d’une intensité inédite, qui a causé plus de 61 000 morts en Europe, selon une étude publiée dans NatureMedicine. En France, près de 5 000 décès ont été recensés, majoritairement parmi les populations vulnérables. Ces données alarmantes illustrent de manière frappante les dangers croissants liés à l’augmentation des températures dues au changement climatique et souligne les limites actuelles des stratégies de prévention et d’adaptation à la canicule. Il met également en lumière la nécessité de repenser l’urbanisme, d’améliorer les systèmes d’alerte, et d’instaurer une éducation sanitaire ciblée sur les comportements à adopter en période de fortes chaleurs.
L’intensification et la fréquence des vagues de chaleur ne représentent pas seulement un inconfort temporaire, mais constituent une menace directe pour la santé publique, en particulier pour les populations les plus vulnérables comme les personnes âgées, les enfants en bas âge et les individus souffrant de maladies chroniques. Sans une adaptation plus ambitieuse et coordonnée à l’échelle européenne, ces épisodes extrêmes risquent de devenir encore plus meurtriers dans les années à venir.
Bien qu’Eurostat avait déjà fait état d’une surmortalité inhabituellement élevée pour ces dates, la fraction de la mortalité attribuable à la chaleur n’avait pas été jusqu’à présent quantifiée. C’est précisément ce qu’a fait une étude menée par des scientifiques de l’Inserm et de l’Institut de Barcelone pour la Santé Globale (ISGlobal). Leur analyse estime qu’entre le 30 mai et le 4 septembre 2022, il y aurait eu 61 672 décès attribuables à la chaleur en Europe. Ces résultats suggèrent que les stratégies d’adaptation à la canicule dont nous disposons aujourd’hui pourraient encore être insuffisantes.
Et dans les pays chauds de l’hémisphère sud ?
Si les effets des vagues de chaleur sur le neurodéveloppement commencent à être étudiés en Europe, la situation est potentiellement encore plus préoccupante dans les pays de l’hémisphère sud, où les températures élevées sont la norme sur de longues périodes de l’année. Dans des pays comme le Brésil, l’Inde, l’Indonésie ou l’Afrique du Sud, les populations peuvent être exposées à une chaleur intense de manière chronique, souvent dans des conditions socio-économiques précaires, avec un accès limité aux infrastructures de refroidissement (logements ventilés, climatisation, centres de soins adaptés).
À ce jour, peu d’études épidémiologiques aussi fines que celle menée en France ont été conduites dans ces régions sur le lien entre chaleur précoce et développement cognitif chez l’enfant. Certaines recherches locales existent, notamment en Inde et au Brésil, sur les effets de la chaleur sur la mortalité périnatale, le poids de naissance ou les naissances prématurées — des facteurs indirectement liés au développement neurocognitif. Toutefois, il manque encore une cartographie rigoureuse et longitudinale des effets directs de la température ambiante sur le développement neuropsychologique des enfants dans ces pays. L’absence de grandes cohortes nationales, de financements stables et d’infrastructures de suivi à long terme constitue un frein majeur.
Sur le plan morphologique ou neuroscientifique, aucune différence structurelle établie ne distingue les cerveaux des populations vivant dans l’hémisphère sud de celles de l’hémisphère nord en lien direct avec le climat. Les variations anatomiques du cerveau humain observées dans la littérature sont généralement liées à des facteurs génétiques, nutritionnels, environnementaux ou socio-culturels, mais pas à la latitude. Toutefois, certaines adaptations physiologiques au climat ont été documentées — par exemple une meilleure tolérance à la chaleur chez les populations vivant depuis des générations dans des environnements tropicaux, en raison d’un meilleur contrôle de la transpiration ou d’une densité moindre de tissu adipeux sous-cutané. Néanmoins, ces adaptations ne protègent pas nécessairement contre les effets insidieux d’un stress thermique prolongé sur le cerveau en développement, en particulier pendant la grossesse ou les premiers mois de vie.
Il devient donc crucial que les futures recherches intègrent ces dimensions et comblent les lacunes existantes, en soutenant des études de cohorte dans les pays du Sud. Comprendre si des mécanismes d’adaptation ou des vulnérabilités spécifiques existent dans ces régions serait essentiel pour formuler des politiques de prévention adaptées à chaque contexte climatique et social.
Vers une prise de conscience globale
Les résultats de l’étude française doivent désormais être mis en perspective à l’échelle mondiale. Ils suggèrent que la chaleur n’est pas seulement un facteur de mortalité aiguë, mais aussi une cause silencieuse de handicaps cognitifs durables, affectant le potentiel de développement de millions d’enfants. Il est donc impératif que les stratégies de santé publique intègrent la dimension climatique, notamment dans les politiques périnatales, éducatives et urbaines.
Une priorité devrait être donnée à la recherche sur les effets de la chaleur dans les zones tropicales et subtropicales, ainsi qu’à l’élaboration de dispositifs de prévention adaptés aux contextes locaux. Par exemple, des programmes de sensibilisation à la gestion de la chaleur pendant la grossesse, des interventions communautaires sur les comportements à adopter, et une meilleure prise en charge des jeunes enfants à risque sont des pistes à explorer.Le réchauffement climatique impose une reconfiguration de notre compréhension des enjeux de santé publique. L’étude menée en France montre que les vagues de chaleur peuvent altérer le développement cognitif dès les premiers mois de vie. Cette réalité, déjà alarmante dans les pays tempérés, prend une dimension critique dans les régions les plus chaudes du monde, où les enfants grandissent sous une pression thermique constante. En l’absence de mesures concrètes, c’est une génération entière qui pourrait voir son développement freiné par un climat de plus en plus hostile.
[1] Elfe est la première étude longitudinale française d’envergure nationale consacrée au suivi des enfants de la naissance à l’âge adulte. Plus de 18 000 enfants nés en France métropolitaine en 2011 ont été inclus dans l’étude (soit 1 enfant sur 50 parmi les naissances de 2011). L’étude Elfe mobilise environ 150 chercheurs appartenant à diverses disciplines scientifiques et est coordonnée par l’Inserm et l’Institut national d’études démographiques (Ined).
Source : Inserm, 7 mai 2025