Regardez le monde
avec les yeux ouverts

Inscrit ou abonné ?
CONNEXION

UP', média libre
grâce à ses lecteurs
Je rejoins

rejoignez gratuitement le cercle des lecteurs de UP’

L’insomnie chronique, une maladie du cerveau en hyperéveil

Commencez

Nous avons tous déjà connu une nuit agitée à l’approche d’un événement important : un entretien décisif, un rendez-vous crucial ou un voyage matinal. Impossible de trouver le sommeil, le cerveau s’emballe, les pensées tournent en boucle. Si ces épisodes ponctuels restent sans gravité, ils illustrent bien un phénomène plus profond et bien plus répandu qu’on ne le pense : l’insomnie chronique.

Selon plusieurs études, ce trouble toucherait entre 15 % et 20 % de la population française (1), soit près de 10 à 13 millions de personnes, avec une prévalence deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Une récente enquête menée par l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) révèle que près d’un Français sur deux (47 %) déclare avoir des problèmes de sommeil, et 19 % se plaignent de troubles sévères. Pourtant, cette pathologie reste encore largement sous-diagnostiquée et mal comprise. Loin de se limiter à un simple déficit de sommeil, elle s’ancre dans des mécanismes complexes mêlant biologie, psychologie et comportement. Dans un article publié dans Polytechnique Insights, le professeur Pierre-Alexis Geoffroy, psychiatre spécialiste du sommeil à l’Université Paris-Cité, éclaire les causes, le fonctionnement et les traitements possibles de cette affection aux multiples visages.

Une pathologie autonome, aux mécanismes multiples

Contrairement à une idée reçue, l’insomnie chronique n’est pas seulement le symptôme d’un autre trouble, comme la dépression ou l’anxiété. Elle constitue bel et bien une maladie à part entière. Pierre-Alexis Geoffroy la décrit à travers le modèle des « 3 P » : prédisposants, précipitants, pérennisants (2).

Les facteurs prédisposants incluent une vulnérabilité génétique. L’héritabilité de l’insomnie est estimée à 40 %, un chiffre comparable à celui du diabète de type 2. Cette disposition biologique s’articule également avec des traits de personnalité ou une sensibilité accrue au stress.

Les facteurs précipitants déclenchent la maladie : un événement traumatique, une infection, une période de dépression ou un stress prolongé. Ceux-ci peuvent provoquer une hyperactivation du cerveau, rendant l’endormissement difficile, voire impossible.

Enfin, les facteurs pérennisants participent à l’ancrage du trouble. L’anxiété liée au sommeil, des comportements inadaptés (comme rester au lit à ruminer), ou des pensées dysfonctionnelles sur le sommeil entretiennent un véritable cercle vicieux.

Pourquoi ne pas profiter d’une lecture illimitée de UP’ ? Abonnez-vous à partir de 1.90 € par semaine.

Un cerveau incapable de « couper l’interrupteur »

Le sommeil ne s’impose pas simplement : il résulte d’un équilibre délicat entre systèmes d’éveil et d’endormissement. Ce mécanisme fonctionne comme une bascule neuronale, souvent comparée à un système « flip-flop » (3) où deux ensembles de neurones s’inhibent mutuellement.

Diapositive utilisée pour les cours de Pierre-Alexis Geoffroy, adaptée d’une publication de Saper et al. dans Nature (4).

Le système réticulé activateur ascendant (SRAA), chargé de nous maintenir éveillés, mobilise plusieurs neurotransmetteurs comme la dopamine, la sérotonine ou l’histamine. À l’inverse, le noyau ventrolatéral préoptique (VLPO), via l’action inhibitrice du GABA, est responsable de la mise en sommeil.

En théorie, le VLPO prend le relais lorsque le cerveau perçoit le besoin de dormir. Mais en situation d’insomnie, le stress et l’hypervigilance empêchent l’activation correcte de cette zone. Le cortisol, hormone du stress, retarde l’endormissement, tandis que les circuits émotionnels (comme l’amygdale) maintiennent une veille cognitive constante. Cette suractivité empêche le cerveau de « basculer » du mode éveil au mode sommeil.

Une maladie du quotidien, pas seulement de la nuit

Selon les critères diagnostiques du DSM-5, l’insomnie chronique est définie par des troubles du sommeil présents au moins trois nuits par semaine sur une durée supérieure à trois mois, avec un impact significatif sur la vie diurne. Cela permet de distinguer les véritables insomnies chroniques des simples plaintes de mauvais sommeil, qui touchent environ 50 % des Français.

En France, beaucoup de patients concernés n’obtiennent pas de diagnostic. Par manque d’information ou par banalisation des symptômes, ils consultent rarement un spécialiste. À titre de comparaison, en Allemagne, 20 % des personnes concernées sollicitent un expert du sommeil ; en France, ils sont à peine quelques pourcents.
Selon Pierre-Alexis Geoffroy, cette différence de prévalence peut aussi venir d’un sous-diagnostic : « Nous avons publié un article (5) intéressant mettant en perspective les différences culturelles sur les représentations que l’on se fait du sommeil. En Allemagne par exemple, les patients auront tendance à aller voir très rapidement un spécialiste — 20 % iront voir un spécialiste du sommeil et 17 % un psychiatre. En France, c’est tout l’inverse et les chiffres sont alarmants, car la quasi-totalité des personnes identifiant un potentiel problème d’endormissement n’ira pas se renseigner auprès de spécialistes. »

La thérapie comportementale, traitement de référence

Face à l’insomnie chronique, des solutions existent. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les somnifères ne sont pas la réponse privilégiée. Le traitement de référence est aujourd’hui la thérapie comportementale et cognitive de l’insomnie (TCCI).

« Le sommeil est un comportement, il se conditionne », explique le Pr Geoffroy. L’objectif de la TCCI est de rompre le cercle vicieux de l’insomnie en intervenant sur plusieurs niveaux : hygiène du sommeil, restructuration des pensées, gestion des émotions et rééducation comportementale.

Des techniques comme la restriction du temps passé au lit ou le contrôle du stimulus (réassocier le lit uniquement au sommeil) permettent de reprogrammer le cerveau. Contrairement à une idée répandue, la TCCI va bien au-delà de simples conseils d’hygiène du sommeil : elle agit en profondeur sur les mécanismes cognitifs et émotionnels du trouble. Les études montrent que 70 % des patients ayant suivi une TCCI voient leur sommeil s’améliorer significativement, et les effets bénéfiques se maintiennent dans le temps, sans dépendance ni effets secondaires.

Une maladie des 24 heures

L’insomnie chronique ne se résume pas à quelques heures perdues la nuit. Elle affecte tout le fonctionnement de la journée, impactant la concentration, l’humeur, la mémoire et la qualité de vie globale. Elle est également un facteur de risque majeur des troubles psychiatriques, comme l’a récemment confirmé une étude récente (6).

Certaines situations, comme la période post-partum, illustrent bien cette dynamique : des nuits fragmentées, une vigilance constante envers le nourrisson, et un état d’hyperéveil qui persiste bien après le retour à la normale. De nombreuses femmes développent ainsi une insomnie durable sans en avoir jamais souffert auparavant.

Pour lutter contre la désinformation et privilégier les analyses qui décryptent l’actualité, rejoignez le cercle des lecteurs abonnés de UP’

Pour Pierre-Alexis Geoffroy, la reconnaissance de l’insomnie chronique comme maladie à part entière, et non comme un simple symptôme, est essentielle pour proposer des traitements adaptés. « Ce n’est pas une maladie de la nuit, mais bien des 24 heures », insiste-t-il.

Alors que notre société célèbre la productivité et le dépassement de soi, le sommeil reste souvent relégué au second plan. Pourtant, il est un pilier fondamental de la santé mentale et physique. L’insomnie chronique, loin d’être une simple gêne passagère, est une pathologie sérieuse, complexe, mais réversible. Grâce à une meilleure compréhension des mécanismes impliqués et à des thérapies ciblées comme la TCCI, il est possible de sortir du cercle vicieux et de retrouver un sommeil réparateur. À condition, bien sûr, de reconnaître l’insomnie pour ce qu’elle est vraiment : une maladie qu’il faut traiter, et non ignorer.

(1) Chiffres de l’INSERM — https://www.inserm.fr/dossier/insomnie/
(2) Micoulaud-Franchi JA, Coelho J, Boileau L, Quiles C, Geoffroy PA. Hypothèses physiopathologiques et diagnostic du trouble insomnie [Pathophysiological hypothesis and diagnosis of insomnia disorder]. Rev Prat. 2024 Mar;74(3):275–280. French. PMID : 38 551 867.
(3) Saper, C., Scammell, T. & Lu, J. Hypothalamic regulation of sleep and circadian rhythms. Nature 437, 1257–1263 (2005). https://doi.org/10.1038/nature04284
(4) Saper, C., Scammell, T. & Lu, J. Hypothalamic regulation of sleep and circadian rhythms. Nature 437, 1257–1263 (2005). https://doi.org/10.1038/nature04284
(5) Royant-Parola S, Poirot I, Geoffroy PA. Impact of insomnia: Cultural and societal aspects from a European survey. Encephale. 2025 Mar 15:S0013-7006(25)00037–5. doi: 10.1016/j.encep.2025.01.004. Epub ahead of print. PMID: 40090828.
(6) Hill, E.D., Kashyap, P., Raffanello, E. et al. Prediction of mental health risk in adolescents. Nat Med (2025). https://doi.org/10.1038/s41591-025–03560‑7

Illustration d’en-tête : Getty images

S’abonner
Notifier de

0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
Article précédent

Maladies chroniques : les Français entre ignorance et anxiété face à leur santé

Prochain article

Contrôler le VIH sans traitement : la piste prometteuse des cellules immunitaires

Derniers articles de Santé -Médecine

REJOIGNEZ

LE CERCLE DE CEUX QUI VEULENT COMPRENDRE NOTRE EPOQUE DE TRANSITION, REGARDER LE MONDE AVEC LES YEUX OUVERTS. ET AGIR.
logo-UP-menu150

Déjà inscrit ? Je me connecte

Inscrivez-vous et lisez trois articles gratuitement. Recevez aussi notre newsletter pour être informé des dernières infos publiées.

→ Inscrivez-vous gratuitement pour poursuivre votre lecture.

REJOIGNEZ

LE CERCLE DE CEUX QUI VEULENT COMPRENDRE NOTRE EPOQUE DE TRANSITION, REGARDER LE MONDE AVEC LES YEUX OUVERTS ET AGIR

Vous avez bénéficié de 3 articles gratuits pour découvrir UP’.

Profitez d'un accès illimité à nos contenus !

A partir de 1.70 € par semaine seulement.

Profitez d'un accès illimité à nos contenus !

A partir de $1.99 par semaine seulement.