Le débat autour du remboursement de l’ostéopathie par les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) vient de franchir un nouveau cap. Dans une tribune récemment publiée dans L’Express, plusieurs organisations professionnelles, réunies au sein du Collectif No Fakemed, demandent l’exclusion de cette discipline du champ des soins pris en charge. S’appuyant sur des arguments économiques, scientifiques et éthiques, cette prise de position soulève des interrogations majeures sur la place que doit occuper l’ostéopathie dans notre système de santé. Or, derrière ce discours de façade se dessine une volonté plus politique que scientifique : celle de délégitimer une profession de santé pourtant réglementée, pratiquée par des milliers de professionnels formés et plébiscitée par des millions de patients. Face à cette remise en cause, l’Unité pour l’Ostéopathie (UPO) entend rétablir les faits, rappeler le cadre légal et scientifique dans lequel s’inscrit la profession, et défendre une approche de santé fondée sur le pluralisme, la solidarité et les besoins réels de la population.
Dans une tribune publiée dans l’Express le 5 mai dernier, un certain nombre d’organisations professionnelles dont les dirigeants sont rassemblés au sein du Collectif No Fakemed appelle le Gouvernement à prendre des mesures afin d’exclure l’ostéopathie du remboursement par les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM, habituellement dénommés « mutuelles »). Différents arguments sont déployés, parmi lesquels la liberté individuelle, la perspective d’économies pour les assurés et le budget national, ou encore la légitimité qu’offre un tel remboursement à des pratiques ne faisant pas l’objet d’évaluations scientifiques.
Ces prétextes reflètent une méconnaissance des réalités de terrain et des attentes de millions de patients ; ils masquent mal une visée corporatiste mal assumée par des organisations qui n’acceptent pas que 26 % des Français consultent chaque année des ostéopathes en dépit d’un reste à charge significatif.
L’ostéopathie est une profession de la santé réglementée
L’Unité pour l’ostéopathie (UPO) rappelle en premier lieu que la profession d’ostéopathe est réglementée par le ministère de la Santé depuis 2007. L’ostéopathie est fondée sur une connaissance précise de l’anatomie, de la physiologie et de la sémiologie de l’être humain, et sur une compréhension fine des mécanismes d’interaction entre ses différents systèmes et parties. Les ostéopathes réalisent des manipulations et des mobilisations pour soigner les troubles fonctionnels de leurs patients.
Le diplôme d’ostéopathie est délivré à l’issue de cinq années de formation, 4 860 heures, dont près de 1 000 heures de sciences fondamentales, notamment médicales, ainsi que 1 500 heures de formation pratique clinique au contact de patients. La profession d’ostéopathe est ainsi une profession de la santé – et non une profession de « bien-être ». Au sens de l’ordonnance n° 2008-507 du 30 mai 2008 et de la directive n° 2011/24/UE du Parlement et du Conseil Européen du 9 mars 2011.
Les effets bénéfiques de l’ostéopathie sont évalués et démontrés
Contrairement aux affirmations de cette tribune, le niveau d’évaluation scientifique de l’ostéopathie, en progression permanente, peut soutenir la comparaison avec certaines pratiques dites « conventionnelles ». Une publication récente montre ainsi qu’une prise en charge ostéopathique dans le milieu professionnel permet de réduire de 50 % la durée des arrêts de travail et de diminuer la douleur et l’impotence fonctionnelle [1], tandis qu’une méta-analyse recense les indications pour lesquelles l’efficacité de l’ostéopathie est démontrée, notamment les troubles musculo-squelettiques, neurosensoriels, certains troubles fonctionnels en pédiatrie, certains troubles gynécologiques et digestifs [2].
La légitimité de l’ostéopathie provient ainsi de son efficacité démontrée et non du remboursement de ses actes par les OCAM.
L’ostéopathie joue un rôle important dans le système de santé français
53 % des Français déclaraient en mai 2024 avoir consulté un ostéopathe dans les 5 dernières années, 26 % au cours des 12 derniers mois, 84 % d’entre eux affirmant même que l’ostéopathie est importante pour se sentir en bonne santé. Ils étaient enfin 71 % à considérer en 2019 que la prise en charge des soins ostéopathiques par les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) était insuffisante [3].
Les ostéopathes réalisent près de 30 millions d’actes de soins chaque année. Ces actes ne sont pas pris en charge par le régime général de l’assurance maladie, mais pour une partie très limitée, par les OCAM (seuls 66 % des patients des ostéopathes peuvent bénéficier d’un remboursement, pour un montant moyen de 25 €, deux à trois fois par an). Une partie de ces soins, s’ils n’étaient plus couverts par les OCAM, seraient alors mécaniquement assurés par d’autres professionnels et transférés vers l’assurance maladie obligatoire. Ce transfert de charge alourdirait de manière non anecdotique le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale, fixé à 15,3 milliards d’euros par l’ONDAM 2025.
Rembourser les consultations ostéopathiques relève d’un modèle économique cohérent et solidaire
Les assurances-maladie, obligatoire et complémentaire, relèvent d’un principe solidaire de mutualisation des moyens, dans lequel chaque assuré accepte de financer par ses cotisations des catégories de soins dont il n’aura peut-être jamais besoin.
Permettre le remboursement des soins en ostéopathie par les OCAM revient ainsi à lutter contre les inégalités sociales et refuser le principe d’une médecine à deux vitesses. Il garantit la liberté de chacun de choisir la façon dont il souhaite être soigné des troubles fonctionnels dont il souffre.
Enfin, le parallélisme des modèles justifie que si le régime obligatoire de l’assurance maladie prend en charge les actes des professions de santé, il est légitime que le régime complémentaire prenne en charge les actes des professions réglementées de la santé.
Le seul coût portant sur les finances publiques représenté par les soins en ostéopathie est représenté par l’exonération partielle de taxe de solidarité additionnelle dont bénéficient les OCAM sur les contrats solidaires et responsables. Celui-ci est négligeable en comparaison des transferts qui surviendraient inévitablement si le Gouvernement donnait suite aux revendications du collectif No Fakemed.
Prohiber le remboursement de l’ostéopathie par les complémentaires, c’est fragiliser la santé des Français, pénaliser leur pouvoir d’achat, et renier l’engagement solidaire de notre système de soins.
Une déontologie stricte et un engagement éthique renforcé
Les membres de l’UPO adhèrent à la norme AFNOR de déontologie (NF S99-806), aux recommandations de bonne pratique de la SEROPP en matière d’ostéopathie pédiatrique, et s’engagent pour la création d’une autorité indépendante de régulation de la profession.
Appel à une approche fondée sur les faits, le dialogue et la responsabilité
La question du remboursement des soins ostéopathiques ne peut être réduite à une posture idéologique.
L’UPO appelle les pouvoirs publics, les mutuelles et les représentants des professions de santé à mettre en place des critères d’évaluation scientifique, adaptés aux spécificités des interventions individualisées et complexes, ainsi qu’à défendre une logique de santé publique inclusive fondée sur les besoins des patients.
Alors que la demande de soins ostéopathiques ne cesse de croître en France, exclure cette discipline du champ des remboursements complémentaires reviendrait à nier une réalité de terrain bien ancrée : celle d’un recours massif, conscient et éclairé des Français à une pratique réglementée, utile et encadrée. Derrière le débat technique sur le remboursement se joue une question de justice sociale, d’accès équitable aux soins et de reconnaissance d’une approche globale de la santé. Loin des postures idéologiques, l’avenir du système de soins doit s’appuyer sur une évaluation rigoureuse, mais adaptée, sur le dialogue entre professions et sur le respect du libre choix des patients. Refuser cela, c’est fragiliser inutilement l’équilibre déjà précaire de notre système de santé. À l’inverse, défendre l’inclusion de l’ostéopathie dans les politiques de remboursement, c’est faire le choix d’un modèle plus humain, plus souple, et résolument tourné vers les besoins réels de la population.
[1] C. Garret, L. Le Glatin, P. Sterlingot, S. Perrot, C. Touizer, H. Barberousse, F. Cosnard, M. Binst, C. Acknin. Impact de séances d’ostéopathie réalisées en entreprise sur les arrêts de travail des salariés souffrant de lombalgies. Douleur et analgésie. 2024;37(4):249-258. doi:10.1684/dea.2024.0304
[2] Khalaf ZM, et al. Valid and Invalid Indications for Osteopathic Interventions: A Systematic Review of Evidence-Based Practices and French Healthcare Society Recommendations. Cureus. 2023, doi: 10.7759/cureus.49674
[3] Sondages réalisés par Odoxa auprès d’un échantillon représentatif en 2019 puis en 2024