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Course au vaccin : Sauve qui peut et chacun pour soi !

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Tout semble indiquer que le coronavirus qui fait trembler le monde pourrait s’imposer comme un virus endémique, présent pour longtemps, avec des pics de virulence saisonniers. Dans cette hypothèse, les experts médicaux craignent qu’il n’y ait pas assez de vaccin pour tout le monde. Selon les scientifiques, il faudrait vacciner 70 % de la population humaine soit 5,6 milliards de personnes pour atteindre l’immunité collective et éteindre pour toujours la pandémie. Mais même si nous arrivions à conjuguer des efforts sans précédent pour fabriquer des milliards de doses de vaccin, les priorités nationales, les égoïsmes et la loi du plus fort — du plus riche— rendrait cette tâche impossible et laisserait des pans entiers de l’humanité sans protection vaccinale. Le scénario que les experts de la santé publique craignent le plus est celui d’une lutte mondiale dans laquelle les fabricants ne vendent qu’aux plus offrants. C’est ce qui commence à se passer.

Les experts de santé publique tremblent. Ils voient se former sous leurs yeux une lutte sans merci d’accaparement du vaccin contre le coronavirus SRAS-CoV-2. Les pays riches, États-Unis en tête pré-achètent des stocks du vaccin avant même qu’il ne soit découvert et fabriqué. Le même scénario se retrouve dans les quelques rares pays où se trouvent des fabricants de vaccins : accaparement des stocks, commandes avant production, financement de la recherche pour bénéficier de la priorité sur les autres. La lutte pour le vaccin bat déjà son plein et fait éclater les égoïsmes et le chacun pour soi au grand jour.

Scénario impossible

Les scientifiques qui suivent ces dossiers sont catastrophés. Car en jouant le chacun pour soi, les dirigeants qui se livrent à ces jeux ne comprennent pas que le virus se propage au mépris de toutes les lignes géographiques et frontières fabriquées par les hommes. Un pays qui voudrait conserver pour lui tout seul ses vaccins devrait barricader ses frontières et s’interdire tout échange avec l’extérieur. Autant dire un scénario impossible.

« Le modèle des pays qui ne pensent qu’à eux-mêmes ne va pas fonctionner. Même si vous vivez dans un endroit parfaitement exempt de toute infection, vos efforts pour lutter contre le virus seront vains si vous ne fermez pas toutes vos frontières et tous vos échanges commerciaux« , se désole au Washington Post Seth Berkley, responsable de Gavi, un partenariat public-privé qui aide à fournir des vaccins aux pays en développement. « C’est un problème mondial qui nécessite une solution mondiale« .

America First

Une remarque de bon sens qui n’est pas partagée par tout le monde. Aux États-Unis, l’agence gouvernementale fédérale chargée du développement de vaccins d’urgence a indiqué qu’elle donnait la priorité aux préoccupations nationales – une mentalité « America First » qui a façonné une grande partie de la réponse de l’administration Trump à la pandémie. « Pour l’instant, nous nous concentrons sur l’approche américaine nécessaire pour accélérer la mise à disposition des vaccins« , déclare Gary Disbrow, directeur par intérim de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA). Cette agence fédérale est chargée de protéger les Américains contre les menaces biologiques.

Son action se traduit par la distribution de millions de dollars. Elle a ainsi accordé un demi-milliard de dollars de fonds d’urgence au laboratoire américain Johnson & Johnson pour développer un vaccin.

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Le patron de l’agence américaine BARDA affirme que le laboratoire Johnson & Johnson « a indiqué qu’environ 300 millions de doses de vaccin seraient disponibles aux États-Unis chaque année » ; une quantité qui serait suffisante pour vacciner 90 % de la population américaine, soit 330 millions de personnes. Ce nombre de doses correspond à la capacité annuelle prévue de l’usine de Baltimore, qui est exploitée par une société cotée en bourse appelée Emergent BioSolutions, et qui reçoit des fonds en tant que l’un des quatre sites fédéraux désignés comme Centre d’innovation en matière de développement et de fabrication avancés.

Le laboratoire se garde de confirmer ces propos et ces chiffres car il tient à rassurer ses autres marchés mondiaux. La société veut produire un milliard de doses d’ici la fin 2021, en mettant les premières doses à disposition dès cet hiver. « On ne sait pas où le vaccin sera le plus nécessaire, bien que les travailleurs de la santé soient une priorité absolue », a déclaré Paul Stoffels, vice-président exécutif et directeur scientifique de Johnson & Johnson, en invoquant dans une interview la nécessité d’évaluer les priorités mondiales pour stopper la pandémie. Il avoue :  » nous travaillons beaucoup avec les États-Unis« , mais s’empresse d’ajouter « mais d’autre part, nous faisons aussi de notre mieux pour nous assurer que nous pouvons servir le monde« .

Suivant l’adage « on ne met pas tous ses œufs dans le même panier », la BARDA a aussi apporté des centaines de millions de dollars en soutien financier aux efforts de recherche sur le vaccin de Sanofi, la grande entreprise pharmaceutique française, et de Moderna, une société de biotechnologie du Massachusetts qui s’associe à une société suisse pour la fabrication de vaccins.

« En travaillant avec plusieurs entreprises, nous avons plus de chances d’avoir un ou plusieurs vaccins disponibles le plus rapidement possible« , justifie Gary Disbrow le patron de l’agence BARDA.

Le Français Sanofi servira les Américains en premier

Que les Américains veuillent récupérer en priorité un vaccin qui serait produit par une société américaine, choque au regard des enjeux planétaires du risque pandémique, mais peut, en faisant quelques efforts, se comprendre. Mais qu’un laboratoire étranger serve en priorité les Américains au détriment de ses propres concitoyens pose question. C’est le cas avec le laboratoire pharmaceutique français Sanofi.

Son dirigeant, Paul Hudson, vient d’annoncer à l’agence Bloomberg vouloir servir en priorité les Américains dès que son laboratoire trouvera le vaccin.  « Le gouvernement américain a le droit à la plus grande précommande parce qu’il est investi dans la prise de risque« , a déclaré M. Hudson. Les États-Unis, qui ont élargi leur partenariat avec la société en février, sont mus par une logique simple « si nous vous avons aidé à fabriquer les doses à risque, nous nous attendons à recevoir le vaccin en premier« .

Sanofi est l’un des principaux acteurs parmi les dizaines de sociétés à la recherche d’un vaccin, nécessaire pour relancer les économies après une chute de la production provoquée par le confinement. Elle s’est associée à son rival britannique GlaxoSmithKline dans le cadre du projet soutenu par les États-Unis et affirme qu’elle pourrait produire 600 millions de doses par an – une capacité que M. Hudson a déclaré vouloir doubler.

Le dirigeant affirme « les États-Unis se feront vacciner en premier. Il en sera ainsi parce qu’ils ont investi pour essayer de protéger leur population, pour relancer leur économie« . M. Hudson fait référence aux 226 millions de dollars accordés en décembre par l’agence BARDA à son groupe pour augmenter ses capacités de production de vaccins contre la grippe pandémique et aux 30 millions accordés par la même agence pour le programme de recherche sur le vaccin.

Sanofi a donc décidé que les Européens passeraient après. Fin avril dernier, Paul Hudson déplorait le manque de coopération européenne, en particulier d’engagement de la Commission dans la stratégie vaccinale contre le coronavirus. Celle-ci se serait réveillée un peu tard : le 4 mai, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçait ainsi avoir levé 7,4 milliards d’euros pour financer la recherche et le développement d’un vaccin contre le Covid-19. Mais cela ne changera rien pour Sanofi. Les Américains seront servis en premier.

Le laboratoire français confirme pourtant avoir entamé des discussions avec les gouvernements européens sur la possibilité de leur fournir des vaccins contre le coronavirus. « Nous recevons régulièrement des appels téléphoniques« , confie Paul Hudson, certains pays proposant de partager le risque financier de la production d’un candidat vaccin avant que son innocuité et son efficacité ne soient prouvées.

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Sanofi a deux projets de vaccins Covid-19 en cours. Celui qui est financé par la BARDA s’appuie sur des travaux de développement antérieurs concernant l’épidémie de SRAS et sur la technologie qu’il utilise déjà dans l’un de ses vaccins antigrippaux. La société française et GSK prévoient de commencer les essais sur l’homme au cours du second semestre de cette année et visent à disposer d’un vaccin d’ici le second semestre 2021. Sanofi a également un candidat vaccin distinct contre les coronavirus en cours de développement avec Translate Bio Inc, qui utilise la technologie dite de l’ARN messager pour inciter l’organisme à fabriquer une protéine clé à partir du virus, déclenchant ainsi une réponse immunitaire.

Le point fort de Sanofi dans cette course au vaccin est l’énorme capacité de production dont il dispose :  onze usines (trois en France, trois en Asie, et le reste sur le continent américain) et 10 000 salariés dédiés à travers le monde, via Sanofi Pasteur. « Il y a peu d’entreprises qui peuvent produire des vaccins à cette échelle » déclare son PDG à l’Usine Nouvelle.

Une course au vaccin pleine de risques

La course à un vaccin est pleine de risques, car personne ne sait quels projets réussiront. Cela oblige les entreprises à passer à l’échelle pour produire des millions de doses de vaccin qui pourraient finir par ne plus avoir de valeur.

Le laboratoire Pfizer, autre concurrent dans la course au vaccin, qui teste plusieurs candidats vaccins, a identifié des usines aux États-Unis et en Belgique et sécurise sa chaîne d’approvisionnement, avec l’objectif d’avoir 10 à 20 millions de doses disponibles d’ici l’automne et des centaines de millions de doses l’année prochaine.

« Nous pensons complètement en dehors de ce qui est normal« , a déclaré Kathrin Jansen, responsable de la recherche et du développement des vaccins chez Pfizer. « Nous proposons des approches uniques, nous entamons des négociations de contrat avec les fournisseurs et nous n’avons pas vu un seul point de données cliniques. C’est du jamais vu« .

Le vaccin de Pfizer, en cours de développement avec la société allemande BioNTech, contient du matériel génétique encapsulé dans une gouttelette de graisse composée de quatre lipides. Avant même de savoir quel vaccin allait être mis au point, Pfizer devait obtenir une quantité suffisante de chacun de ces lipides. Les dirigeants de Pfizer ont besoin d’enzymes pour fabriquer le matériel génétique et ont donc dû trouver des fournisseurs pour s’assurer un approvisionnement suffisant capable de répondre à la demande prévue.

Prévision du pire

Au sommet de la chaîne d’approvisionnement logistique se trouve l’incertitude scientifique. Le scénario de planification de Pfizer repose sur une « prévision du pire » selon laquelle le vaccin qu’il finira par fabriquer sera celui qui nécessitera la dose la plus élevée. Si l’entreprise réussit avec une version différente – une version qui fait des copies de lui-même une fois à l’intérieur des cellules et qui est donc efficace à environ un dixième de la dose – Pfizer pourrait penser à des milliards de doses au lieu de centaines de millions.

« Ce sont tous des jokers, et toute la planification actuelle nécessite une certaine flexibilité« , explique Kathrin Jansen. « Nous ne voulons pas avoir une capacité trop faible. Nous ne voulons pas avoir une capacité trop importante. Nous ne savons pas de combien nous avons besoin. C’est une danse très intéressante qui se déroule en ce moment pour bien faire les choses, et aucun d’entre nous n’a jamais fait cela« .

Kathrin Jansen pense que la communauté mondiale devra trouver un moyen de distribuer équitablement le vaccin dans le monde, par l’intermédiaire d’organisations telles que l’OMS. Elle n’a pas dit où iraient les vaccins de Pfizer. « Je pense que lorsque nous serons confrontés à ce problème, je suis très confiante qu’il y aura des plans en place, pour s’assurer qu’il y ait un déploiement équitable ».

Un espoir qui ressemble à un vœu pieu tant les égoïsmes se révèlent avec cette course au vaccin, qui promet d’être un tragique affrontement de nationalismes vaccinaux.

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Membre
almahieu.es@gmail.com
3 années

Au 1er paragraphe, 4ème ligne, vous dites qu’  » il faudrait vacciner 70 % de la pop. humaine, soit 5,6 milliers…. de personnes. Corriger et indiquer milliards. Plus loin, sous le titre « Une course au vaccin pleine de risque », il est indiqué : « Cela oblige les entreprises à passer à l’échelle pour produire des… ». Passer à l’échelle… ? Chouette article en tous cas. Bien sincèrement, Alain

Membre
dominiquetranquy@gmail.com
3 années

Bonjour, vous écrivez « les experts médicaux » craignent…., disent….etc. Je n’ai pas du tout les mêmes infos que vous lorsque je lis et écoute divers médecins et chercheurs (infectiologues, virologues…) à propos de la suite de l’épidémie de covid 19 et de l’utilité d’un éventuel vaccin… Pourriez vous citer des noms et des références d’articles ? Merci

Administrateur
Gérard AYACHE
3 années

D’abord, une précision : l’article ne met nullement et jamais en doute l’utilité d’un vaccin. En revanche, il fait état de chiffres qui établissent que, pour être efficace et éradiquer le virus, il faudrait que 70 % de la population de la planète soit immunisée. La grande majorité des études s’accordent sur ce chiffre. Voir à ce sujet la synthèse de l’université Johns Hopkins : https://www.jhsph.edu/covid-19/articles/achieving-herd-immunity-with-covid19.html . Le meilleur moyen d’atteindre cette immunité collective est de vacciner en masse (5.6 milliards de personnes). Les batailles rangées autour de l’accaparement par des États du vaccin ne sont pas de bons augures… Lire la suite »

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