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Journal d’un paysan

Journal d’un paysan, de Jean-Noël Falcou – Editions Wildproject / Collections « Littératures » – Février 2025 – 224 pages

Chaque soir, pendant un an, un paysan témoigne en quelques lignes de sa journée de travail. Ses textes nous donnent un accès rare à l’intimité d’un métier fondamental, devenu méconnu. Entrez dans la vie d’un agrumiculteur. »

« Dimanche 20 février. Enfant, je me demandais pourquoi le mot temps désignait à la fois l’écoulement des jours et la météo. Depuis que je suis paysan, je sais. Pour la même raison que le mot culture désigne tout à la fois le travail de la terre et notre rapport au monde. »

Chaque soir, pendant un an, un paysan témoigne en quelques lignes de son activité du jour. Ses textes nous donnent accès à l’intimité rugueuse d’un métier fondamental devenu méconnu. On y trouve, entre autres, des bigaradiers, du désherbage, des souvenirs d’enfance, des oiseaux, des coups de gueules, des alambics… On y découvre de l’intérieur, dans l’oeil d’un naturaliste, des champs, une filière, un pays.

Ce journal rend compte d’un engagement corps et âme dans une vocation. Il est aussi une ode à la matière – naturelle, transformée, vivante, spirituelle.

Premières pages

Dimanche 20 février 2022
Depuis 8h20 ce matin, c’est le printemps par ici.
Il y avait bien quelques indices précurseurs, pour ceux qui se soucient de la fin de la
floraisondes amandiers, ou des rosiers centifolia qui débourrent malgré la sécheresse
hivernale. Des indices oui, mais le printemps ce n’est pas ça. C’est une odeur changeante de la terre, une assurance imprévue du soleil, les rougequeues qui ne sentent
plus à leur place dans une vibration nouvelle connue de tous. Les saisons font mentir
le calendrier.
Enfant, je me demandais pourquoi le mot temps désignait à la fois l’écoulement des
jours et la météo. Depuis que je suis paysan, je sais. Pour la même raison que le mot
culture désigne tout à la fois le travail de la terre et notre rapport au monde.
Ce matin, tout a changé.

Mercredi 23 février
Les gens imaginent que les agriculteurs passent leurs journées à cultiver.
Aujourd’hui, j’ai réparé le portail, bricolé un appentis, rangé mes engrais sous
l’appentis, réceptionné du compost, déplacé les outils du tracteur, rapporté les roues
increvables de brouettes à mon fournisseur, car le modèle ne convenait pas, acheté
des raccords d’irrigation, passé des coups de fil, bougonné parce que je voulais visiter
mes plantes.
Comme tous les chefs d’entreprise, cinquante pour cent de mon temps est occupé
par des servitudes vitales.

Jeudi 24 février
Sur une jeune plantation, mes collègues m’ont demandé pourquoi j’avais assoiffé
les bigaradiers. Il est vrai que je ne les ai pas arrosés plus de deux fois en un mois et
demi, délibérément, alors qu’il n’a pas plu une goutte.
Les températures ont été si douces que si les arbres avaient eu de l’eau ils seraient
repartis en sève, s’exposant alors dangereusement à une potentielle gelée. Maintenant
que le risque est derrière nous, nous pouvons, devons, les arroser abondamment pour
favoriser leurs pousses.
Le « bon sens paysan » est souvent contre-intuitif pour celui qui n’en a pas l’expérience.

Vendredi 25 février
Dernier jour avant mon départ pour le salon de l’agriculture, pour la première fois
en près de vingt ans de métier. J’en ai une mauvaise image, d’agriculteurs VRP qui
distraient les citadins et les candidats aux élections, qui vont à la rencontre des vraies
choses, eux, sous un chapiteau avec des tables en plastique et des kakemonos colorés.
Dans le même temps, j’ai hâte de découvrir. J’espère pouvoir quitter mon stand pour
aller à la rencontre des professionnels qui auraient les outils, les plantes, les techniques
qui compléteraient ma palette d’actions, sur le terrain.
Bref, je ne sais pas si je suis content d’aller m’emmerder ou si je suis dégoûté de faire
un truc qui va me plaire. Hé les ploucs, j’arrive, camarades !

Samedi 26 février
En fait, c’est le salon des agriculteurs en vacances. Ils font semblant de montrer leur
métier pour se faire payer le trajet et l’hôtel, ce qui explique que tout le monde a le
sourire à huit heures et quatre grammes d’alcool à dix-huit heures.
La débauche de moyens, de personnels et de stands onéreux ne me laisse pas insensible, comparée à la dure réalité du métier. J’ai un peu l’impression de trahir les miens,
de passer de l’autre côté de miroir, comme toujours, et je ressens de l’injustice, comme
toujours.
Il paraît qu’à quatre grammes on oublie tout ça, la culpabilité, l’injustice, et la pénibilité des deux côtés du miroir.

Jean-Noël Falcou est un paysan naturaliste du pays grassois, précurseur en France de la culture d’agrumes bio.

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