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Pour sauver les lions, les guerriers Masaï troquent leur lance pour un GPS

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Depuis près de 10 ans, à la réserve de Selenkay dans le sud du Kenya, au cœur du territoire masaï, se joue un projet à taille humaine et pourtant terriblement ambitieux : reconvertir les Masaïs tueurs de lions en protecteurs du grand fauve, et faire en sorte que le développement de la faune sauvage bénéficie économiquement à cette communauté tout en respectant sa culture. Bref, réconcilier l’homme et la faune.
 
Du guerrier masaï, Leiyio a tous les attributs : une fine couverture rouge vif pour couvrir le torse, une autre bleu roi ceinte autour des hanches, de nombreux bracelets de perles multicolores aux avant-bras et aux chevilles… À un détail près.
Ses boucles d’oreilles, demi-lunes de métal et de cuir, viennent encadrer deux yeux perçants et rehausser le tissage complexe de sa coiffure, mais en lieu et place de la traditionnelle lance acérée, le Moran – jeune guerrier masaï – tient à la main un petit appareil de géolocalisation satellitaire.
En cette tiède matinée de septembre, de lourds nuages masquent le Kilimandjaro qui, depuis la Tanzanie voisine, veille habituellement sur la réserve.
 
 
Comme chaque jour, les « gardiens des lions », ces Masaï employés par l’ONG « Lion Guardians » à l’initiative du projet, partent sillonner le « bush ». Cette fois, ils recherchent trois lionnes qui, la nuit précédente, se sont aventurées à l’intérieur du camp de l’ONG ouvert aux quatre vents.
Il faut toute la science des Masaïs pour suivre leur piste. La savane arbustive est ici dense. Et le sol bosselé, couvert d’herbes roussies par la sécheresse, laisse peu d’indices aux hommes en rouge.
 
La traque est d’autant plus compliquée que les lionnes se sont séparées pour chasser, puis, bredouilles, se sont regroupées pour passer la journée à l’ombre. Après deux heures de marche soutenue, d’un signe imperceptible, les quatre Masaï font signe de stopper : les lionnes sont à moins de 100 mètres.

Cheptel et enfants égarés

En d’autres circonstances, la battue se serait muée en chasse mortelle.
Chez les Masaï, la mise à mort d’un lion au cours d’un rite appelé Olamayio représente traditionnellement l’acte de bravoure ultime, et confère gloire et prestige au chasseur.
Les Masaï mènent aussi souvent des expéditions mortelles en représailles à une attaque sur leur cheptel. Mais pour Leiyio et les autres Moran du programme, ce temps est révolu : une fois les lionnes repérées et leur localisation envoyée au camp de base, une voiture vient à leur rencontre, avec à son bord la responsable scientifique et co-fondatrice du projet, Stephanie Dolrenry.
 
A la science centenaire des Masaï vient s’adjoindre celle, académique, de cette femme de 37 ans qui recense, photographie et étudie le comportement des lions qui peuplent de nouveau ce territoire de 3.684 km2. « Le programme n’est pas seulement fondé sur les lions. Tout ce que nous faisons porte sur la communauté« , explique Stephanie Dolrenry. « Les gardiens passent une bonne partie de leur temps à chercher du bétail perdu, des éleveurs ou des enfants égarés. Les gardiens sont là (en permanence) et ils connaissent la savane« , ajoute l’Américaine, qui évalue à environ 1 million de dollars la valeur du bétail restitué à ses propriétaires l’an dernier.
 
Ainsi, les Moran préservent leur statut de défenseurs de la communauté et leur contact quasi-quotidien avec les lions perpétue leur aura. Ce sont eux qui interviennent en premier quand une vache a été tuée et qui dissuadent l’éleveur d’organiser une expédition punitive. Ils mettent en avant les bénéfices du bétail récupéré et plaident pour la pérennité de leur emploi, ainsi que celui des Masaï composant la quasi-totalité du personnel des deux éco-lodges de la réserve.
 
Et le programme porte ses fruits : entre 2007 et 2016, la population de lions a environ quadruplé, pour atteindre à présent quelque 150 individus, selon le Dr Dolrenry.

Tueur en série reconverti

Outre les lions, la réserve offre à présent une densité de faune tout à fait singulière : les buffles ont récemment fait leur réapparition après des années d’absence, les éléphants se déplacent par troupeaux et des espèces souvent très discrètes au Kenya, comme l’élan du Cap ou l’élégante gazelle girafe (Gerenuk) se laissent admirer.
 
« Lion Guardians », qui a essaimé en Tanzanie, au Rwanda et au Zimbabwe, est financé par les dons de philanthropes, notamment américains. Pour la réserve de Selenkay, le programme coûte moins de 300.000 dollars par an. Au nombre de cinq au début du programme, les gardiens des lions sont à présent plus de quarente, payés au salaire minimum kényan, soit environ 120 dollars par mois (107 euros).
 
Parmi eux, une des dernières recrues symbolise le changement de mentalité qui est peut-être en train de s’opérer au sein des communautés masaï de la région. De petite taille, le regard habité, Mitiaki Kitasho affirme avoir tué cinq lions dans sa vie. Il a fait deux passages d’un mois en prison, l’un pour avoir tué un éléphant, l’autre pour un lion. « Il n’y a pas une espèce d’animal (dans la savane) que je n’ai pas tuée », reconnaît-il. « Pour protéger la communauté et pour devenir connu et respecté« .
 
Mais la bravoure ne met pas d’argent sur la table et, dans le dénuement le plus complet après ses condamnations, il a proposé ses services et a été embauché après une longue période d’essai. À présent, c’est lui qui dit de ne pas tuer les lions aux jeunes Moran qu’il croise chemin faisant, lorsque, jour après jour, il continue de s’adonner à ce qui fait le sel de son existence : la traque des grands fauves.
 
 
Image d’en-tête : TONY KARUMBA  /  AFP
 

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