Un document interne, révélé par CNN ce 11 avril 2025, dévoile l’intention de l’administration Trump de supprimer purement et simplement l’Office of Oceanic and Atmospheric Research (OAR), le cœur scientifique de la NOAA, la National Oceanic and Atmospheric Administration, institution de référence mondiale en matière d’observation atmosphérique et océanique. Derrière cette décision budgétaire, se profile une offensive idéologique majeure contre la recherche climatique fédérale, aux conséquences potentiellement dévastatrices bien au-delà des frontières américaines. Car en s’attaquant à l’un des piliers de la science du climat, c’est la capacité du monde entier à anticiper et affronter la crise climatique qui se trouve fragilisée.
Ces coupes drastiques ont été révélées par CNN et la revue spécialisée Sciences qui ont eu accès à un document de la Maison Blanche adressé au Congrès, chargé d’approuver le budget alloué aux différentes agences fédérales. S’il était mis en œuvre, ce plan pourrait avoir de vastes répercussions, la NOAA occupant une place prépondérante aux Etats-Unis, mais aussi à l’échelle mondiale dans l’établissement de prévisions météorologiques, l’analyse du climat et la conservation des océans.
Selon CNN, environ 75% des financements de la branche Recherche pourraient être supprimés dans le budget de l’année 2026, ce qui mettrait fin à de nombreux programmes. Des coupes que l’exécutif souhaiterait mettre en œuvre dès cette année.
Un cœur scientifique sacrifié : la disparition programmée de l’OAR
Parmi les mesures les plus alarmantes, la suppression de l’Office of Oceanic and Atmospheric Research (OAR) se distingue par sa portée symbolique et stratégique. L’OAR, pilier de la recherche scientifique de la NOAA, est chargé de développer des modèles climatiques, de surveiller l’évolution des océans, d’étudier les gaz à effet de serre ou encore d’anticiper les tendances météorologiques extrêmes. C’est cette structure — l’une des plus précieuses pour comprendre les dynamiques planétaires en mutation — que l’administration Trump projette de démanteler purement et simplement, comme le révèle en détail le Washington Post dans son article du 11 avril 2025.
Ce n’est pas un simple recentrage budgétaire. Il s’agit d’un démantèlement délibéré de l’outil scientifique public. Avec l’OAR disparaîtraient également ses laboratoires régionaux — à Boulder, Colorado, à Ann Arbor, Michigan, entre autres — et ses instituts coopératifs, qui collaborent avec des universités pour produire une science de terrain, utile, connectée aux réalités locales. Ces instituts sont à la croisée des mondes scientifique, académique et politique : leur disparition créerait un vide redoutable. Non seulement en matière de connaissances, mais aussi d’expertise appliquée, comme dans la gestion des ressources en eau, la prévision de sécheresses agricoles ou l’alerte aux inondations côtières.
L’objectif affiché de ce coup de balai ? Recentrer les missions de la NOAA sur ses fonctions dites « de base », essentiellement les prévisions météorologiques quotidiennes, en abandonnant la recherche fondamentale sur le climat. Une vision court-termiste et réductrice, qui nie l’évidence : sans modélisation à long terme, les prévisions immédiates perdent leur précision, leur contexte et leur fiabilité.
Mais cette attaque ne concerne pas seulement les États-Unis. Les données produites par la NOAA sont essentielles pour la communauté scientifique internationale. Elles alimentent les modèles climatiques mondiaux, servent de base aux prévisions météorologiques sur tous les continents et permettent aux pays vulnérables de mieux anticiper les catastrophes naturelles. En mars, l’agence météorologique australienne s’inquiétait déjà d’un affaiblissement de ses propres capacités de prévision, dépendantes en partie des satellites et algorithmes américains. Quant à l’Union européenne, elle a formellement dénoncé un « préjudice global à la science climatique », dans une déclaration relayée par l’AFP.
Une science mondiale mise en péril
Ce que certains à Washington présentent comme une « réorganisation administrative » est en réalité une secousse tectonique pour la recherche climatique internationale. La NOAA ne se contente pas de collecter des données pour un usage domestique : elle est l’un des plus grands fournisseurs mondiaux de données environnementales, utilisées quotidiennement par des agences scientifiques, des universités et des centres de recherche aux quatre coins du globe.
Des dispositifs cruciaux comme les balises Argos, développées en partenariat avec des institutions françaises (notamment le CNES) et embarquées sur les satellites américains, dépendent étroitement du soutien logistique et financier de la NOAA. Ces balises, déployées sur les océans, permettent de suivre la migration des espèces, de surveiller les courants marins, les températures de surface, ou encore de détecter les signes avant-coureurs d’événements climatiques extrêmes comme El Niño. Leur bon fonctionnement exige un réseau satellitaire robuste, des modèles de traitement sophistiqués et surtout un cadre institutionnel stable. En fragilisant la NOAA, les États-Unis prennent le risque d’interrompre ou de ralentir ces programmes vitaux, dans un moment où la planète entre dans une phase d’instabilité climatique sans précédent.
Plus largement, c’est l’accès aux bases de données scientifiques américaines qui inquiète la communauté internationale. Ces bases — souvent ouvertes, gratuites et interconnectées — constituent le socle de nombreuses recherches en cours, qu’il s’agisse de modéliser les inondations urbaines en Asie du Sud, d’anticiper les feux de forêts en Méditerranée, ou d’identifier des zones de fragilité dans les calottes glaciaires. Les chercheurs redoutent un scénario dans lequel ces données deviendraient plus difficiles d’accès, voire restreintes ou commercialisées, si certaines missions venaient à être privatisées, comme le prévoit le programme « Project 2025 ».
Des climatologues européens, australiens ou africains ont déjà fait part de leurs inquiétudes. Pour beaucoup, cette décision sonne comme un signal d’alarme : si les États-Unis, moteur historique de la science climatique, se retirent de leur rôle de garant de la donnée scientifique globale, alors la coopération internationale s’affaiblit, la qualité des prévisions se dégrade, et le monde devient plus vulnérable encore face aux crises écologiques à venir.
Il serait naïf de croire que ces mesures n’auront qu’un effet temporaire. En mettant fin à des programmes de recherche climatologiques, en dissuadant les jeunes scientifiques de s’engager dans une carrière publique, en rompant des décennies de coopération internationale, l’administration Trump compromet l’avenir scientifique et diplomatique des États-Unis. Elle cède volontairement sa place à d’autres puissances — Chine en tête — qui, elles, investissent massivement dans la recherche climatique pour mieux anticiper les crises à venir. C’est un recul stratégique majeur, qui affaiblit à la fois la capacité d’anticipation du pays et sa crédibilité dans les négociations climatiques mondiales.
Une manœuvre idéologique, pas seulement budgétaire
La suppression de l’OAR et la réduction de la NOAA ne sont pas des décisions isolées : elles s’inscrivent dans une stratégie politique plus vaste de transformation de l’appareil d’État. Cette stratégie est théorisée dans le document « Project 2025 », un plan programmatique de plus de 900 pages rédigé par la Heritage Foundation et d’autres think tanks conservateurs influents. Ce projet vise à purger les agences fédérales de ce qui est perçu comme une culture « hostile » au trumpisme : indépendance, défense de l’environnement, lutte contre le changement climatique ou encore respect du droit administratif.
Le climat y est présenté comme un domaine infiltré par une « idéologie woke » à éradiquer. L’idée n’est pas simplement de réduire les dépenses publiques, mais bien de soumettre les institutions scientifiques à un contrôle politique étroit, voire à une réécriture idéologique de leurs missions. Dans cette logique, la NOAA, comme d’autres agences fédérales (EPA, NIH, CDC), est visée non pour inefficacité, mais pour avoir produit une expertise susceptible de contredire les discours climatosceptiques ou les intérêts économiques de secteurs polluants.
L’un des axes clés du « Project 2025 » est de rétablir la « loyauté politique » dans les agences en remplaçant les hauts fonctionnaires de carrière par des responsables nommés directement par la Maison Blanche, plus enclins à appliquer sans réserve les directives de l’exécutif. Cette vision remet en cause le principe même d’une administration neutre, experte et au service de l’intérêt général.
En d’autres termes, la science, l’environnement, la santé publique ne sont plus considérés comme des champs autonomes régis par des faits, mais comme des territoires idéologiques à reconquérir. Ce glissement est éminemment dangereux. Il fragilise les garde-fous démocratiques qui garantissent une information scientifique accessible à tous. Il éloigne la connaissance des citoyens. Il ouvre la porte à une science instrumentalisée, moins rigoureuse, plus perméable aux pressions.
Un affaiblissement qui engage l’avenir de tous
Ce qui se joue aujourd’hui aux États-Unis dépasse largement les frontières américaines. La recherche climatique n’est pas une affaire domestique ; c’est un bien commun mondial. Les instruments de mesure, les satellites, les modèles climatiques, les données produites par la NOAA et d’autres agences américaines sont intégrés à un écosystème scientifique planétaire. Ils permettent à des milliers de chercheurs, de décideurs, d’agriculteurs, de collectivités, dans les pays riches comme dans les plus vulnérables, de mieux comprendre les menaces environnementales et d’y répondre de manière éclairée.
En affaiblissant volontairement ces infrastructures, les États-Unis compromettent non seulement leur propre sécurité climatique, mais aussi celle du reste du monde. La montée des eaux, l’intensification des ouragans, les sécheresses extrêmes ou l’extension des zones arides ne connaissent pas les frontières politiques. Les données détruites aujourd’hui manqueront demain aux modèles qui pourraient prévenir les famines, les conflits liés à l’eau ou les déplacements massifs de populations.
Ce retrait brutal de la science climatique traduit un dangereux aveuglement : face à un défi planétaire, il n’y aura pas de refuge national. Dans un monde interdépendant, toute tentative de repli idéologique devient un facteur d’instabilité globale.
Quand la science vacille, la démocratie vacille aussi
Ce que révèle la tentative de démantèlement de la NOAA, ce n’est pas seulement une bataille budgétaire ou un désintérêt passager pour la question climatique. C’est un changement profond de paradigme : un pouvoir politique qui cherche à transformer les agences scientifiques en outils de propagande ou en coquilles vides, au nom d’un agenda idéologique qui nie la réalité du dérèglement climatique. En restreignant l’accès aux données, en imposant des cadres narratifs idéologisés, en remplaçant les experts indépendants par des exécutants loyaux, c’est la neutralité même de la science publique qui est menacée.
Mais plus encore, c’est la capacité des sociétés à débattre sur une base factuelle, à prendre des décisions éclairées, à anticiper les crises futures qui s’en trouvent altérées. Quand la connaissance est asservie, la démocratie vacille. Car sans données fiables, sans recherche libre, il ne reste que l’opinion, la peur ou la manipulation.
Dans un monde déjà traversé par des chocs climatiques, géopolitiques et sociaux, affaiblir la science revient à désarmer l’humanité face à ses plus grands défis. Et c’est une responsabilité historique : protéger les institutions scientifiques, c’est préserver la possibilité d’un avenir commun fondé sur la raison, la coopération et la vérité.