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François, prophète du climat dans un monde sourd

François, prophète du climat dans un monde sourd

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La mort du pape François ce 21 avril 2025 marque la fin d’un pontificat profondément engagé dans la lutte contre le dérèglement climatique. Premier pontife issu du Sud global, il a su allier foi, science et politique pour faire de l’écologie une priorité morale et spirituelle. Depuis son élection en 2013, le pape a fait de la défense de la planète et de ses plus vulnérables un combat central. À travers ses encycliques Laudato Si’ et Laudate Deum, il a bousculé les lignes, provoqué des débats et ouvert une nouvelle ère d’engagement pour l’Église catholique. Mais, au-delà des discours, quelle est la portée réelle de ses actions face à un monde toujours plus dévoré par la crise climatique ? Dans un contexte mondial marqué par le scepticisme politique, les résistances internes au sein du Vatican et l’urgence des catastrophes écologiques, son héritage semble bien fragile.

Une encyclique fondatrice : Laudato Si’

Dès 2015, le pape François publie Laudato Si’, une encyclique qui bouleverse les lignes traditionnelles de l’Église en matière d’écologie. Inspiré par saint François d’Assise, il y dénonce la « poursuite vorace de gains à court terme » et appelle à une « conversion écologique » globale. François y affirme que la crise climatique n’est pas seulement environnementale, mais aussi sociale, économique et spirituelle. Il pointe du doigt les pays riches et les industries polluantes, tout en plaidant pour la justice envers les plus vulnérables, notamment les migrants climatiques.​

Ce texte, salué par la communauté scientifique, a profondément influencé les négociations de l’Accord de Paris sur le climat, adopté en décembre 2015. Il ne s’agissait pas d’un simple document théologique, mais d’un appel global, interpellant autant les décideurs politiques que les citoyens du monde entier. En plaçant la crise écologique au cœur du message pontifical, Laudato Si’ a contribué à redéfinir les termes du débat, en insistant sur l’éthique de la responsabilité collective face aux dérèglements climatiques.

Lorsque les chefs d’État se sont réunis à Paris pour tenter de trouver un accord sur la limitation du réchauffement planétaire, le contexte était tendu. Les précédentes conférences, notamment celle de Copenhague en 2009, s’étaient soldées par des échecs relatifs, minées par les rivalités géopolitiques et l’absence de volonté commune. L’intervention du pape François, quelques mois plus tôt, avait donné une impulsion nouvelle. Des diplomates, y compris dans les coulisses des négociations, ont reconnu que Laudato Si’ avait permis de recadrer le débat en termes moraux et humains, en rappelant l’importance de la justice climatique et de la solidarité avec les pays les plus vulnérables.

Au-delà du texte lui-même, c’est aussi le poids symbolique de l’institution catholique — plus d’un milliard de fidèles à travers le monde — qui a eu un effet de levier inédit. Pour beaucoup, voir un chef spirituel mondial faire cause commune avec les climatologues et les ONG environnementales a constitué un tournant. Il n’était plus possible d’ignorer l’ampleur de la crise ou de la reléguer au rang de préoccupation d’experts.

De fait, l’encyclique a été citée dans les débats parlementaires, relayée dans les médias internationaux, discutée dans les milieux économiques. Elle a créé une pression éthique sur les dirigeants, rappelant que la protection de la planète ne relevait pas d’un choix politique circonstanciel, mais d’un impératif moral fondamental.

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Laudate Deum : le cri d’alarme d’un pape désabusé

En 2023, soit huit ans après Laudato Si’, le pape François publie Laudate Deum, une exhortation apostolique au ton bien plus grave. Là où la première encyclique appelait à une « conversion », cette seconde intervention constate un échec collectif. Le climat, écrit-il, continue de se dérégler, les catastrophes naturelles s’intensifient, les plus pauvres continuent de souffrir, et les États continuent d’hésiter. Le ton se fait plus dur, plus direct. François ne cache pas son indignation face aux inerties politiques et économiques : il dénonce le manque de volonté, la toute-puissance des lobbies des énergies fossiles, la superficialité des promesses prononcées lors des COP.

Le pape, pourtant réputé pour sa diplomatie, fustige dans ce texte une « fragilité des accords internationaux » et leur « absence de mécanismes contraignants ». Il critique notamment les mécanismes de compensation carbone, qui permettent aux grandes entreprises de continuer à polluer en finançant des projets verts ailleurs. Pour lui, ces pratiques relèvent d’un verdissement cosmétique du système, un écran de fumée qui ne remet jamais en cause le modèle économique dominant.

Laudate Deum s’inscrit dans un moment historique : après des vagues de chaleur meurtrières, des incendies géants, des inondations à répétition, les peuples commencent à se mobiliser plus fortement. François prend acte de ce sursaut citoyen, mais il déplore le décalage entre cette urgence ressentie par la population et la lenteur institutionnelle. Le texte vise alors à réveiller les consciences, en appelant à une refonte totale de notre rapport au monde. Il ne s’agit plus seulement de réduire les émissions de CO₂, mais de revoir nos modes de vie, nos priorités collectives, notre consommation.

Un engagement au-delà des mots

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le message du pape François ne s’est jamais limité aux textes et aux allocutions. Très tôt dans son pontificat, il a compris que les symboles ne suffisent pas, et il s’est engagé dans une diplomatie verte active. Il a rencontré des PDG de grandes compagnies pétrolières comme ExxonMobil, TotalEnergies ou BP au Vatican, dans des échanges tendus mais nécessaires. Il leur a demandé explicitement de « se détourner du profit à court terme » et de « prendre leurs responsabilités envers l’humanité ».

Il a aussi fait pression sur les institutions catholiques : en 2020, le Vatican a annoncé qu’il se retirait progressivement des investissements dans les énergies fossiles. Plusieurs diocèses, universités et congrégations ont suivi, opérant un véritable « désinvestissement éthique ». C’était là un geste politique fort, mais aussi un acte de cohérence : François a voulu que l’Église ne prêche pas seulement la sobriété, mais qu’elle l’incarne.

Sur le terrain, des initiatives ont fleuri : des projets de reboisement, des actions de solidarité avec les réfugiés climatiques, des campagnes d’éducation à l’écologie intégrale dans les écoles catholiques. Le pape a également soutenu les mouvements de jeunes, allant jusqu’à les rencontrer personnellement, comme Greta Thunberg, qu’il a saluée pour son courage moral.

Une écologie spirituelle et universelle

Ce qui distingue profondément François des autres leaders mondiaux, c’est la dimension spirituelle de son écologie. Pour lui, la Terre n’est pas un simple capital naturel à préserver : elle est une « sœur » et une « mère » que nous avons maltraitée. Ce langage, hérité de saint François d’Assise, donne à son combat une profondeur existentielle. Il ne s’agit pas seulement de survie, mais de sens. Pourquoi vivons-nous ? Quel est notre lien au vivant ? Avons-nous le droit de dominer sans limite ?

En parlant d’ »écologie intégrale », François veut montrer que tout est lié : la pauvreté, les inégalités, la violence, la solitude moderne, le dérèglement climatique sont les facettes d’un même effondrement. Son message ne s’adresse pas seulement aux catholiques. Il interpelle les scientifiques, les croyants d’autres religions, les non-croyants, les jeunes, les décideurs… C’est un appel transversal, qui propose une autre manière d’habiter la Terre.

Un héritage à préserver

La mort du pape François laisse un vide. Peu de figures religieuses ou politiques ont aujourd’hui son autorité morale et son audace intellectuelle. La question qui se pose est simple : son message survivra-t-il à son pontificat ? Rien n’est moins sûr. Certains membres de la curie sont hostiles à son approche, trop politique, trop progressiste à leurs yeux. Dans un monde marqué par la montée des nationalismes et du climatoscepticisme, le vent pourrait tourner.

Qui reprendra le flambeau de cette lutte morale pour la planète ? Certains cardinaux, comme Luis Antonio Tagle ou Peter Turkson, ont exprimé des positions fortes sur le climat, mais l’avenir reste incertain.​

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Un message contesté, y compris au sein de l’Église

Car si le pape François a été salué comme un champion de la cause climatique par une large partie de la communauté internationale, il n’a jamais fait l’unanimité, y compris dans son propre camp. Au sein de la curie romaine — l’administration centrale du Vatican —, plusieurs voix, parfois influentes, ont exprimé leurs réserves, voire leur opposition frontale à son engagement écologique. Certains cardinaux et archevêques conservateurs ont vu dans ses prises de position un glissement dangereux vers la politique, une confusion des rôles entre autorité spirituelle et militantisme social.

Dans les coulisses, ces critiques se sont faites plus virulentes avec la publication de Laudate Deum, où le pape dénonçait ouvertement l’inaction des dirigeants politiques et la complicité silencieuse de certains intérêts économiques. Pour ses détracteurs, cette posture risquait de « diluer » le message religieux dans les débats mondains, voire de « fragiliser l’unité doctrinale » de l’Église. Derrière cette critique de forme, se cache souvent une opposition de fond : une partie du clergé n’adhère pas à la remise en cause du capitalisme extractiviste, ni à la dénonciation des privilèges du Nord global, qu’ils jugent trop marquée idéologiquement.

Ce clivage traverse l’Église catholique contemporaine. D’un côté, une frange conservatrice, attachée à une vision doctrinale rigide et à une lecture littérale des Écritures, voit d’un mauvais œil les évolutions du pontificat de François — qu’il s’agisse de ses positions sur le climat, l’accueil des migrants, ou l’ouverture aux périphéries sociales. De l’autre, une génération de prêtres, de laïcs engagés et de théologiens progressistes, surtout dans les pays du Sud, voit dans cet engagement écologique une incarnation vivante de la foi chrétienne.

Un monde politique sous tension : nationalismes, climatoscepticisme et repli identitaire

Le contexte mondial ne joue pas en faveur de la perpétuation de l’héritage de François. Ces dernières années, on assiste à une montée des nationalismes identitaires dans de nombreuses régions : en Europe centrale, aux États-Unis, en Amérique latine, en Inde… Ces régimes ont souvent en commun une hostilité affichée envers les institutions multilatérales, un repli sur les intérêts nationaux, et un scepticisme plus ou moins assumé à l’égard du changement climatique.

Dans ce climat, la voix du pape François a parfois été perçue comme un contre-pouvoir moral gênant. Ses appels à la solidarité internationale, à l’accueil des réfugiés, ou à la régulation du marché mondial vont à contre-courant du discours dominant. Là où certains gouvernements refusent de participer à des mécanismes de solidarité climatique, ou remettent en question la légitimité des COP, François leur oppose un impératif universel : celui de la responsabilité commune.

Ce désalignement est devenu plus flagrant au fil du temps. Ainsi, dans des pays où les dirigeants se revendiquent pourtant chrétiens, les discours du pape ont été soit ignorés, soit critiqués pour leur supposé « gauchisme » déguisé en morale chrétienne. Certains évangélistes ou catholiques traditionalistes ont même publiquement accusé François de trahir les fondements de la foi en s’engageant sur des terrains qu’ils jugent « idéologiques ».

Le risque d’un retour en arrière

Avec la disparition du pape François, le risque est réel de voir ces tendances prendre le dessus. Le prochain conclave, chargé d’élire son successeur, sera décisif. La question climatique pourrait passer au second plan si un pape plus conservateur venait à être choisi — un pape soucieux de rétablir l’autorité doctrinale plutôt que de prolonger les efforts d’ouverture et d’engagement du pontificat précédent.

Ce scénario n’est pas hypothétique : plusieurs cardinaux influents, notamment dans les sphères européennes et nord-américaines, plaident déjà pour un « retour aux fondamentaux », une Église moins politisée et plus centrée sur les sacrements. La tentation d’un recentrage pourrait effacer des années de diplomatie verte, reléguant Laudato Si’ et Laudate Deum au rang de textes symboliques, mais orphelins de toute stratégie d’application.

Ne pas trahir l’héritage

Le pape François n’a pas été un simple spectateur du monde en feu : il a pris position, avec courage, constance et lucidité. Il a parlé quand d’autres se taisaient, il a bousculé les puissants, interpellé les croyants et tendu la main aux jeunes générations. Il a fait de l’écologie une question morale, une urgence spirituelle, un impératif politique. En cela, il a déplacé les lignes, réveillé des consciences, suscité des engagements.

Mais son message, aujourd’hui, vacille. Dans les sphères conservatrices de l’Église comme dans les cénacles climatosceptiques du pouvoir, nombreux sont ceux qui n’attendent qu’un relâchement pour enterrer, à peine né, ce souffle d’espérance. La tentation du retour à l’ordre, du confort doctrinal, du silence complice guette.

Il ne faut pas laisser faire. Car renoncer à l’héritage écologique de François, c’est laisser gagner l’indifférence. Si l’Église recule, si les politiques capitulent, si la société oublie, alors la prophétie de François restera lettre morte. Et avec elle, l’avenir de notre planète. Le temps n’est plus aux demi-mesures. Il est urgent d’agir, guidés par la sagesse et le courage que le pape François a incarnés tout au long de son pontificat.​

François a laissé des semences. Son combat pourrait perdurer, à condition que chacun s’en empare. Car comme il le disait lui-même : « Le climat est un bien commun, de tous et pour tous ». Si nous échouons à le protéger, c’est notre humanité que nous sacrifions.

Image d’en-tête : Johannes Eisele / AFP 

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