Alors que les glaces fondent à un rythme alarmant partout dans le monde, la recherche scientifique sur le terrain peine à suivre. Trop coûteuse, trop risquée, trop de logistique. C’est dans cette impasse que s’engouffre IMAQA, une jeune structure belge à l’ADN unique. Mi-expédition, mi-laboratoire, elle met l’exploration extrême au service de la science, traquant les données là où personne ne va : dans les zones les plus hostiles de la planète. Leur dernière mission, au cœur de la “Dark Zone” du Groenland, en est la démonstration spectaculaire.
Et si la science repartait à l’aventure ? À l’heure où les modèles climatiques réclament des données de terrain toujours plus fines, l’accès physique aux régions polaires devient paradoxalement plus difficile. Face à ce mur logistique et humain, IMAQA propose un contre-modèle audacieux : réconcilier exploration et rigueur scientifique, effort physique et méthode expérimentale. Portée par une équipe hybride — physicien, chimiste, ingénieur — cette initiative belge conçoit des expéditions scientifiques de l’extrême. Là où les laboratoires ne peuvent aller, elle plante ses balises, prélève ses échantillons, installe ses capteurs. Leur dernière aventure en date, dans la mystérieuse “Dark Zone” du Groenland, donne lieu à un documentaire saisissant : Something in the Water. Un film qui témoigne d’une réalité climatique brutale, mais surtout, d’une nouvelle manière de faire science : sur le terrain, les crampons aux pieds, le protocole en tête.
La « dark zone » du Groenland : un signal d’alerte climatique
Parmi les phénomènes inquiétants liés à la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, la « dark zone » — ou « zone sombre » — attire de plus en plus l’attention des scientifiques. Située sur la partie sud-ouest de l’inlandsis, cette bande de glace, qui s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres, est caractérisée par une surface anormalement sombre durant l’été. Contrairement à la blancheur éclatante typique des glaciers, cette zone absorbe davantage la lumière solaire, ce qui accélère la fonte des glaces.
Cette obscurité est principalement causée par l’accumulation de poussières, de particules de suie issues des incendies de forêt, mais aussi par la prolifération de micro-organismes, notamment des algues glaciaires. Ces algues, en se développant à la surface de la glace, forment une fine couche pigmentée qui réduit considérablement l’albédo — la capacité de la surface à réfléchir les rayons du soleil.
L’effet est doublement problématique : non seulement la glace fond plus vite, mais cette fonte révèle encore plus de surfaces sombres (poussières, impuretés, etc.), créant un cercle vicieux. Certains chercheurs estiment que la « dark zone » pourrait à elle seule contribuer de manière significative à l’accélération de la perte de masse de la calotte glaciaire.
Ce phénomène, bien que localisé, a des conséquences à l’échelle mondiale, car il participe à l’élévation du niveau des mers. Comprendre et surveiller l’évolution de la « dark zone » est donc crucial pour anticiper les futurs impacts du changement climatique sur les océans et les zones côtières habitées.
IMAQA : Et si l’aventure devenait un outil scientifique ?
C’est le pari, aussi simple que subversif, sur lequel repose le concept d’IMAQA. À contre-courant des expéditions spectaculaires sans objectif autre que la performance, cette jeune structure belge a fait un choix radical : dédier chaque kilomètre parcouru, chaque sommet atteint, chaque effort consenti à un objectif de recherche. Parce que la science a besoin de terrain, et que le terrain, lui, ne s’apprivoise pas depuis un laboratoire.
Des aventuriers “hybrides” : entre challenge sportif et rigueur scientifique
Les fondateurs (un physicien, un chimiste et un ingénieur) savent ce que signifie « protocoler », modéliser, valider. Mais ils connaissent aussi le silence du froid, les imprévus d’une paroi glacée, la lenteur d’un déplacement en zone blanche. C’est cette double culture, intellectuelle et physique, qui donne à IMAQA sa pertinence singulière : une structure capable d’intégrer des contraintes scientifiques strictes dans des expéditions en conditions extrêmes, et de les transformer en données exploitables pour la recherche.
IMAQA n’invente pas une science de l’aventure. Elle propose une aventure au service de la science.
Des expéditions construites pour la recherche
Chaque mission est bâtie sur un besoin concret exprimé par des scientifiques. Ce sont les hypothèses, les protocoles et les zones d’études qui dictent l’itinéraire. En 2023, l’équipe part ainsi pour la mission GR23, au Groenland, avec pour objectif de prélever des échantillons d’eau, de neige et de glace, et de démonter des stations météo pour plusieurs universités belges.
Ces données, une fois intégrées aux modèles climatiques en cours, viennent affiner la compréhension des dynamiques liées à la fonte des glaces, au pergélisol, aux glaciers ainsi qu’aux phénomènes environnementaux et climatiques propres aux régions polaires.
Pour Sophie Opfergelt, chercheuse qualifiée FNRS et professeure à l’UCLouvain : « La proposition d’IMAQA fut une véritable aubaine. Ces échantillons, que mes confrères ou moi-même n’aurions pas pu récolter par manque de compétences de terrain et de temps, viennent enrichir nos recherches et permettent de valider des modélisations scientifiques.«
Un nouveau modèle de collaboration terrain-science
IMAQA ne se limite pas à remplacer les scientifiques sur le terrain. Elle les accompagne aussi. En Alaska, début 2024, elle encadre une mission hivernale inédite aux côtés de chercheurs de l’UCLouvain. Pour eux, IMAQA forme, sécurise, guide. Ensemble, ils réalisent des observations inédites sur le pergélisol (ou permafrost).
Cette capacité à articuler formation, logistique et rigueur méthodologique dans des conditions extrêmes fait d’IMAQA un opérateur scientifique à part entière. Un pont entre la recherche fondamentale et les territoires critiques.
Something in the Water, une expédition au cœur de la “Dark Zone”
L’année 2024 marque un tournant pour la jeune structure, avec une mission à très haute intensité : une expédition en autonomie dans la “Dark Zone” du Groenland. Cette région encore méconnue est l’un des laboratoires naturels les plus sensibles au changement climatique. Comme expliqué plus haut, on y observe une réduction spectaculaire de l’albédo (capacité de la glace à réfléchir la lumière), due à l’apparition de particules sombres à la surface de la calotte glaciaire. Résultat : une accélération de la fonte, aux conséquences globales.
Pendant plusieurs semaines, dans des conditions climatiques imprévisibles, les membres de l’expédition ont mené une mission complexe : observation et cartographie de l’évolution des lacs supraglaciaires, prélèvements d’échantillons, installation d’instruments de mesure. Cette opération s’inscrit dans un projet scientifique de trois ans, réunissant plusieurs partenaires européens.
Pendant plusieurs semaines, dans des conditions climatiques imprévisibles, les membres d’IMAQA ont mené une mission complexe : observation et cartographie de l’évolution des lacs supraglaciaires, prélèvements d’échantillons, installation d’instruments de mesure. Cette opération s’inscrit dans un projet scientifique de trois ans, réunissant plusieurs partenaires européens.
Mais sur place, rien ne s’est déroulé comme prévu. Des tempêtes brutales, des équipements mis à mal par les conditions, des parcours modifiés à la dernière minute… L’équipe a dû faire preuve d’une résilience exceptionnelle pour garantir la validité scientifique de la mission.
Ce vécu intense a donné naissance à un documentaire puissant, Something in the Water, réalisé par Alex Eggermont et Jaron Pham, spécialistes des tournages en conditions extrêmes. Le film mêle images à couper le souffle, témoignages sincères et éclairages scientifiques. Il révèle la beauté fragile des milieux polaires, tout en soulignant l’importance d’y conduire des recherches de terrain.
« Il ne s’agit pas seulement d’un film d’aventure. Ce documentaire raconte une urgence, une nécessité : celle de comprendre ce qui se joue là-haut pour anticiper ce qui nous attend ici. » explique Alexandre Buslain, cofondateur d’IMAQA.
Le documentaire sera projeté en avant-première en juin 2025, avant une tournée dans plusieurs festivals européens consacrés à l’environnement, à la recherche et à l’exploration sportive et scientifique.
Un outil pédagogique pour une génération à inspirer
La mission d’IMAQA ne s’arrête pas aux pôles. Depuis quelques mois, la startup mène des ateliers éducatifs dans les écoles de Belgique, avec le soutien du programme INNOVIRIS. Plus de 50 interventions ont déjà été réalisées, touchant plus de 1500 élèves.
À travers des témoignages, des récits d’expédition et des expériences concrètes, les membres d’IMAQA vulgarisent des enjeux complexes comme le réchauffement climatique, le permafrost ou la glaciologie. Avec pour objectif : montrer que la science peut être aussi passionnante qu’une aventure.
« Chez IMAQA, nous sommes convaincus que la science peut être passionnante. À travers le récit de nos aventures, nous espérons susciter des vocations », explique Gilles Denis.
Une équipe à double compétence, un impact triple
Le modèle d’IMAQA repose sur une force rare : une équipe pluridisciplinaire, capable de conjuguer logistique d’expédition, protocoles scientifiques et médiation grand public : Gilles Denis, physicien et explorateur, connaît le terrain arctique depuis ses 18 ans ; Kyril Wittouck, chimiste, apporte à la structure une expertise technique et entrepreneuriale ; Alexandre Buslain, ingénieur et expert média, façonne l’impact médiatique et pédagogique des missions. Rejoints récemment par Pauline (projets éducatifs et développement international) et Sandra (communication), ils prolongent l’impact du projet vers l’éducation et la médiation scientifique.
En 2025, IMAQA franchit un cap avec le soutien de Syensqo via The Syensqo Fund. Cette multinationale scientifique belge qui développe des solutions novatrices répondant aux principales mégatendances mondiales – électrification et allègement, connectivité, amélioration de la qualité de vie, a été séduite par le projet d’exploration d’IMAQA et par son ambition de sensibiliser à la science par l’aventure. Elle est désormais devenue son partenaire principal. Une reconnaissance stratégique qui renforce la crédibilité scientifique et logistique de la structure.
En savoir plus : www.imaqa.be